Contre La sansure

DE BAMAKO À CONAKRY, LE POUVOIR AU PRIX DE L’ISOLEMENT

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Les lourdes sanctions imposées par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Mali ont plongé le pays dans une vague nationaliste. Impopulaires, elles ont, pour le moment, renforcé la légitimité de la junte sur le plan national. Si elle s’est, dans le passé, montrée relativement muette face à certains coups d’État constitutionnels, comme récemment dans la Guinée d’Alpha Condé, la CEDEAO semble aujourd’hui décidée à faire revenir les régimes putschistes dans le droit chemin.

Le Mali sur la voie de l’isolement international

Rarement depuis le début du coup d’État militaire du 18 août 2020, le Mali du colonel Assimi Goïta a été autant isolé sur la scène diplomatique régionale et internationale. L’embargo sur les échanges commerciaux et les transactions financières imposé à Bamako par la CEDEAO le 9 janvier dernier répond aux récentes prises de position d’Assimi Goïta, dont les promesses de transition civile dans des délais raisonnables s’éloignent de plus en plus. Après les coups d’État successifs menés entre août 2020 et mai 2021, il s’est pourtant engagé à transférer le pouvoir à un gouvernement civil en février 2022, à la suite d’échéances présidentielles et législatives qu’il était supposé organiser. Une posture volontariste qui avait à l’époque grandement rassuré la communauté internationale, frileuse devant une junte qu’elle voyait s’éterniser.

Aujourd’hui, à la suite des Assises de la Refondation menées en décembre et boycottée par une grande partie de l’opposition, Assimi Goïta s’oriente désormais vers un délai de… cinq ans avant une éventuelle transition. Une durée insupportable pour la CEDEAO, confrontée depuis plusieurs mois à la montée des périls putschistes en Afrique de l’Ouest. La mobilisation de la CEDEAO en faveur du retour à l’ordre constitutionnel apparait salutaire pour la crédibilité de l’organisation, tant elle n’a pas toujours été exemplaire. La CEDEAO avait ainsi, le 10 novembre 2020, félicité Alassane Ouattara et Alpha Condé pour leurs « victoires » respectives — et contestées — en Côte d’Ivoire et en Guinée, alors même qu’ils étaient restés au pouvoir après des modifications de la Constitution leur interdisant un troisième mandat.

Si les conséquences des sanctions sur le régime malien restent encore floues, les analystes s’accordent pour conclure que, dans les prochains mois, le Mali pourrait connaître des heures difficiles. De même, en refusant de donner des gages à la communauté internationale, il devra aussi sans doute faire face à la colère de sa population, qui ne manquera pas d’être économiquement fragilisée par les sanctions. Déjà, mercredi dernier, le pays n’a pas pu emprunter les 30 milliards de francs CFA qu’il souhaitait sur le marché financier régional, dont il est désormais exclu. La fermeture des frontières avec la plupart des pays de la région devrait mener à une chute des recettes douanières. À terme, une crise des liquidités pourrait advenir et menacer les salaires des fonctionnaires, notamment des militaires engagés contre les groupes terroristes armés dans le nord du pays. Pire, les sanctions de la CEDAO pourraient être suivies de nouvelles mesures, décidées notamment par la Banque mondiale ou encore l’Union européenne, alors même que l’ONU a réclamé le jeudi 13 janvier un calendrier électoral « acceptable » au Mali. Si les sanctions venaient à s’aggraver, l’économie malienne serait quasiment étouffée.

Craintes d’une situation similaire en Guinée

Dans la région, le Mali a pourtant pu compter sur le soutien prudent de la Guinée voisine, dont le président de transition, le colonel Doumbouya, a refusé de fermer ses frontières aériennes, terrestres et maritimes avec la Guinée. Une forme de solidarité entre régimes illégitimes, tant les situations entre les deux pays semblent similaires. Car, en Guinée aussi, le colonel Doumbouya, à l’origine d’un coup d’État mené contre Alpha Condé en septembre 2021, est dans le collimateur la CEDEAO. En débarrassant les Guinéens d’Alpha Condé, réélu dans des circonstances douteuses à un troisième mandat inconstitutionnel en octobre dernier, Mamadi Doumbouya avait pourtant réalisé, autour de lui, un semblant d’unanimité. Il s’était aussi fermement engagé en faveur d’une transition réalisée dans des délais courts. Mais, selon un acteur de la société civile guinéenne, pour RFI, les deux putschistes « ont un point commun : tous les deux veulent rester longtemps au pouvoir ». Depuis son arrivée aux responsabilités par les armes, Mamadi Doumbouya multiplie en effet les atermoiements sur la durée de la transition. La défiance de la classe politique guinéenne se fait quant à elle sentir de plus en plus.

Rassemblées derrière Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et ancien Premier ministre, les principales formations politiques guinéennes se sont unies sous l’égide d’un Collectif des partis politiques (CPP). Longtemps divisées, elles ont réussi à faire valoir des positions de principe communes sur la durée de la transition, la refonte du fichier électoral ou encore la Constitution. Dans ses vœux pour la nouvelle année, Cellou Dalein Diallo, qui en a pris la tête, a ainsi rappelé que « la durée de la transition devrait être définie sur la base des délais nécessaires à la réalisation des actions indispensables à l’organisation d’élections crédibles ».

Une phrase en forme de rappel à Mamadi Doumbouya de ses promesses initiales. Le président de Transition a, aujourd’hui, montré suffisamment de gages à la CEDEAO pour limiter la casse — la Guinée reste cependant suspendue de l’organisation — et réussir à éviter les sanctions. Mais tout indique qu’un maintien coûte que coûte au pouvoir ou l’absence d’engagements clairs sur la durée de la transition conduirait la Guinée sur le chemin malien. Avec, pour les populations, des conséquences douloureuses et la perspective de nouvelles violences.

(*) https://lemonde-arabe.fr/18/01/2022/bamako-conakry-isolement-pouvoir/

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