Chasse aux sorcières par des apprentis sorciers dans un conte des faits
Pendant que l’on n’a pas encore fini de se marrer à propos des injonctions faites la semaine dernière aux procureurs généraux, par le ministre chargé de la justice, voilà que le parquet de la cour d’appel de Conakry en rajoute une couche.
A la suite de la publication d’une liste de personnes (on ne dira pas au nombre de 187, puisque certains noms y figurent plusieurs fois), ce ministre avait dû écumer les rédactions pour expliquer qu’il s’agit de comptes bancaires déjà gelés, et dont les propriétaires seraient invités à prouver l’origine licite des fonds.
Bizarrement, cette semaine, le procureur général de Conakry vient ordonner de geler les mêmes comptes bancaires qui sont censés pourtant l’être déjà. Comprenne qui pourra.
C’est vrai qu’après les sorties bruyantes de Charles Wright, comme à son habitude, d’aucuns sont restés perplexes en voyant leurs noms sur la fameuse liste du ministre, alors que leurs comptes n’étaient pas gelés, contrairement aux allégations de ce dernier. Lorsqu’il s’est invité au talk-show de la télévision privée Djoma (On refait le monde), un chroniqueur lui a dit que les comptes de certaines personnes figurant sur sa liste n’avaient jamais fait l’objet d’un gel, le ministre a tenté d’abord de mettre en doute les dires de celui-ci avant de trancher : « alors, dans ce cas la poursuite engagée serait sans objet » !
Est-ce pour corriger de possibles aberrations du genre que le procureur général décide de geler les comptes en question (de nouveau) ?
Ne fallait-il pas alors pousser plus loin le travail de sapeurs-pompiers, après le « massacre » constaté sur la liste publiée la semaine dernière ? Où il est question d’engager des poursuites contre, entre autres, une personne dont l’identité se résume à « ex enfant de untel» ! Où, par exemple, en mettant sur la sellette une personne qui n’est plus de ce monde depuis au moins huit ans, parce qu’elle disposerait encore d’outre-tombe un compte ouvert et suffisamment garni au point de susciter des soupçons (ou des appétits ?) !
Visiblement, le procureur général de Conakry est allé plus loin, dans l’autre sens. Lui ne semble pas se concentrer sur des comptes, mais entend engager des poursuites tous azimuts. Y compris contre des gens déjà poursuivis pour les mêmes raisons il y a belle lurette, qui sont derrière les barreaux pour certains, et qui réclament tous, à cor et à cris, l’ouverture d’un procès.
Et que dire de la décision d’interdire à ces personnes listées de quitter le territoire, alors que, selon toujours Charles Wright, elles doivent seulement justifier les fonds en leur possession au risque de les voir saisis puis reversés au compte du trésor public ? Comment peut-on engager des poursuites, et menacer de saisir d’éventuels biens, alors que les intéressés n’ont même pas eu l’opportunité de donner des explications concernant leurs avoirs bancaires ? Qui plus est, lorsque dans certains de ces comptes il n’y aurait pas de quoi payer le salaire d’un fonctionnaire de la hiérarchie B.
Par ailleurs, connaissant la porosité de nos frontières, et le fait que les personnes indexées disposent de leurs documents de voyage, cette décision ne ressemble-t-elle pas plus à un effet d’annonce, un brassage d’air, ou une simple diversion qu’à autre chose ? À quelle fin ? La crise socio-politique, l’exacerbation de la misère ambiante et la désillusion des populations y sont-elles pour quelque chose ?
Pendant ce temps, le procureur spécial de la CRIEF (cour de répression des infractions économiques et financières) joue de l’autre côté sa partition. À un moment où le doute gagne du terrain, tant sur les motivations que sur l’efficacité de cette juridiction d’exception.
Ali Touré a tenu donc une énième conférence de presse pour, dit-on, faire le point sur les procédures en cours. Et comme c’était quelques jours après l’embastillement de l’homme d’affaires Kabinet Sylla dit Bill Gates, d’aucuns n’ont pu s’empêcher de faire le lien.
Finalement rien de nouveau dans la besace du sieur Touré : se lancer dans l’énumération de transactions bancaires sans pouvoir convaincre de la réalité d’un détournement, d’une corruption, bref d’une infraction.
À l’occasion, il a évoqué également le cas d’autres inculpés qui se trouveraient à des milliers de bornes de là. Selon lui, Interpol serait à la manœuvre pour leur extradition. Un optimisme que de nombreux observateurs ne partagent pas.
Ce qu’il appelle abusivement « mandat d’arrêt international », en fait la « notice rouge », c’est-à-dire le message d’alerte que lance Interpol à l’intention des différents services nationaux de police des pays membres de l’organisation, pourrait ne pas prospérer dans certaines situations. Notamment lorsque le crime ou le délit a un caractère politique, ou lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique. Le gouvernement hôte ne voulant pas interférer dans les affaires politiques du pays demandeur. Ou lorsqu’il n’existe pas la garantie d’un procès équitable et juste dans le pays requérant. Comme dans les bleds où la justice est sous ordre, où elle n’est pas indépendante.
Est-ce le cas en Guinée où une junte est au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat militaire ?
Toujours est-il que pour de nombreux observateurs, tout ce qui précède ressemble fort à une chasse aux sorcières menée par des apprentis sorciers. Dans un conte des faits, digne d’un…conte de fées !