Contre La sansure

Le jazz, « c’est quelque chose qu’on se partage avec amour, sans concurrence et avec gaieté de cœur » (*)

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A l’occasion de la Journée internationale du jazz, célébrée chaque année le 30 avril, un concert est organisé samedi dans la salle de l’Assemblée générale des Nations Unies, à New York. Une manière de souligner l’importance du jazz comme moyen de parvenir à l’unité et à la paix par le dialogue et la diplomatie.

 

« Le jazz est porteur d’un message universel qui a le pouvoir de renforcer le dialogue, notre compréhension mutuelle et notre respect mutuel. Alors que le monde est touché par de multiples crises et conflits, cette journée internationale souligne combien la musique et la culture peuvent contribuer à la paix », a déclaré Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO.

« Dans un contexte de conflits et de divisions dans de nombreuses régions du monde, j’espère que, grâce au langage universel du jazz, notre célébration de cette année pourra inciter les gens de toutes les nations à guérir, à espérer et à travailler ensemble pour favoriser la paix », a déclaré Herbie Hancock, président de l’Institut du jazz, qui copréside la Journée avec la cheffe de l’UNESCO.

Le programme comprendra des prestations de certains des artistes de jazz les plus accomplis au monde. Un de ces artistes est Alune Wade, chanteur et bassiste virtuose sénégalais.

Né à Dakar au Sénégal, il a été baigné dans la musique dès sa plus tendre enfance. A l’âge de six ans, son père, qui dirige l’orchestre symphonique de l’armée sénégalaise, lui fait donner des cours de solfège à la maison. Il apprend la basse, le piano et la guitare. Considéré comme un véritable pilier du jazz, il promeut à travers ses différents projets une irrépressible ouverture d’esprit. 

 

Alune Wade, chanteur et bassiste sénégalais
@Alune Wade Alune Wade, chanteur et bassiste sénégalais 

 

Alune Wade : Je pense que la musique, surtout le jazz, est l’une des choses qui a été créée par l’homme. C’est, durant ce siècle ou même depuis le 19e siècle, l’une des choses les plus positives. Parce que c’est quelque chose qu’on se partage, sans tiraillement. C’est quelque chose, qu’on soit de Los Angeles ou qu’on soit de Dakar, ou de Madagascar, de Paris, du Japon. Partout, où on va, il y a un évènement qui s’appelle le Festival de jazz. Ça n’existe que dans le jazz. Comme je le dis aussi, le jazz, c’est comme un arbre : les racines viennent de l’Afrique, l’arbre a grandi aux États-Unis, mais les feuilles viennent de partout dans le monde. C’est cette image que j’ai du jazz. C’est quelque chose qu’on se partage, même si on ne parle pas la même langue avec notre prochain. C’est quelque chose qu’on arrive à se partager avec amour, sans concurrence et avec gaieté de cœur. C’est ce qui m’a vraiment donné envie d’aller vers cette musique qui s’invite à écouter et qui ouvre ses portes, qui ouvre son cœur. Hélas, ce n’est pas le cas dans pas mal de choses de nos jours.

ONU Info : Vous avez commencé très jeune dans le monde de la musique.  Quels ont été vos débuts ?

Alune Wade : Mes débuts, c’était assez naturel parce que j’ai grandi dans l’univers de la musique. Mon père était musicien, mes oncles ont fait de la musique. Du coup, il y avait de la musique partout dans la maison. Je ne pouvais pas m’en échapper. Mon seul choix, c’était la musique. La musique est venue vers moi. Je ne suis pas allé vers elle.

ONU Info : Votre mère, était-elle d’accord ?

Alune Wade : Ma mère vient d’une génération dans les années 1960, 1970 où les musiciens africains, surtout sénégalais, étaient très mal vus. Parce que, comme aux États-Unis avec le jazz dans les années 1950, 1940, il y avait pas mal de junkies. C’était plus l’alcool, les cigarettes au Sénégal. Du coup, c’était sa façon de protéger son fils, son enfant. Elle ne voulait pas que je fasse de la musique. Elle aurait peut-être préféré que je sois docteur ou avocat.

ONU Info : Mais vous êtes arrivé à la convaincre ?

Alune Wade : Oui, finalement. Après elle a vu qu’il n’y avait rien à faire. Elle a pourtant essayé de couper les cordes par-ci par-là mais après elle était quand même fière d’avoir un fils qui a réussi à faire ce qu’il avait envie de faire, en l’occurrence la musique et surtout de le faire bien. C’est le plus important dans tout ça : tu choisis ton métier, ce qu’on veut faire dans la vie et bien le faire.

@Alune Wade Officiel Alune Wade, chanteur et bassiste sénégalais s’est produit aux Nations Unies à New York, à l’occasion de la Journée internationale du Jazz, célébrée chaque année le 30 avril

ONU Info : Et qu’est-ce qui vous a lancé exactement ?

Alune Wade :  J’ai commencé très jeune. Du coup, ce qui m’a vraiment lancé, je ne le sais même pas parce que c’était des années d’insouciance ou des années d’inconscience. Pour moi, c’est l’amour de la musique et le fait aussi d’avoir de la musique autour de moi. J’étais entouré de sons, j’étais entouré de musique, toutes sortes de musiques, que ça soit de la musique classique avec mon père, que ça soit du jazz avec mes oncles ou du reggae et de la musique pop aussi, pop américaine, pop française. Du coup, c’est la musique qui est venu vers moi. Je l’ai fait naturellement. Et bien sûr aussi le fait d’avoir au Sénégal, en Afrique, beaucoup d’artistes africains, des grands, des très bons chanteurs, surtout au Sénégal. Quelqu’un comme Youssou N’Dour, Touré Kunda, et au Mali avec Salif Keïta. Le fait aussi de voir ces gens réussir dans la musique. Surtout, leur professionnalisme m’a beaucoup poussé aussi à choisir ce métier.

ONU Info : Et quelles sont vos influences et votre style de jazz ?

Alune Wade : C’est très large, je dirais, j’écoute du boogie jusqu’au new soul, j’écoute de tout. J’ai écouté Coleman comme j’ai écouté Bill Evans. J’écoute tout le monde. J’ai beaucoup écouté Miles (Davis) et c’est dans sa musique que j’ai découvert Marcus Miller et j’ai été impressionné par son son de basse. J’ai choisi son style, mais sans savoir qui était ce bonhomme qui était à la basse. Du coup, j’ai une vision ou un amour de la musique ou du jazz, qui est assez éclectique.

ONU Info : Et maintenant, ces influences se reflètent-elles dans votre musique ?

Alune Wade : Effectivement. Dans ma musique, quand je compose, je pense à Miles Davis, je pense à Youssou N’Dour, je pense à Weather Report, je pense à Salif Keïta. J’ai eu surtout l’occasion de les croiser sur mon chemin et du coup c’est ce qui fait ce que je suis devenu aujourd’hui, ce mélange qui est en moi. C’est à dire il y a le reflet du jazz, il y a la world music, la musique malienne, sénégalaise. C’est toutes sortes de musiques, c’est vraiment un sac fourre-tout, mais bien ficelé, bien réfléchi et bien pensé.

ONU Info : Vous allez participer à cette Journée internationale du jazz, le 30 avril. Le thème cette année porte sur la paix et l’unité mondiale. Pensez-vous qu’on puisse arriver à une unité mondiale par la musique et par le jazz ?

Alune Wade : Oui, parce que je pense que c’est quand même quelque chose d’assez sage  parce que la musique, c’est cette chose qui est assez neutre. Je pense que tous les problèmes de nos jours, pour pouvoir les régler, il faut être quelqu’un de neutre. Il ne faut pas de parti pris. Et dans la musique, on ne trouve pas de parti pris. C’est quelque chose qu’on se partage. Quand on est Syrien, quand on est Sud-africain, Israélien, Russe, Ukrainien, Français, on se partage. Par exemple sur ma scène, quand je joue dans mon groupe, il y a un Argentin, il y a un Réunionnais, il y a un Cubain, il y a un Américain, il y a tout le monde et on a tous le même amour, qui est la musique. Je pense que par le biais de la musique, on peut à arriver à résoudre beaucoup de choses. En tout cas moi, c’est mon rêve, c’est mon rêve d’unifier ces peuples et de résoudre, à ma manière, plein de choses grâce à la musique.

Alune Wade, chanteur et bassiste sénégalais s'est produit aux Nations Unies à New York, à l'occasion de la Journée internationale du Jazz, celébrée chaque année le 30 avril
@Alune Wade Officiel
Alune Wade, chanteur et bassiste sénégalais s’est produit aux Nations Unies à New York, à l’occasion de la Journée internationale du Jazz, celébrée chaque année le 30 avril

ONU Info : On a vu pendant la Covid-19 et même en ce moment, avec la crise en Ukraine, des personnes qui jouent de la musique dans les rues. Est-ce que la musique peut être un moyen de s’unir ?

Alune Wade : Effectivement. Comme on peut le voir, ce sont des pays frères, ce sont des frères, l’Ukrainien et le Russe. Ils peuvent se mettre sur scène, jouer ensemble. Mais je sais que cette histoire va finir ainsi. Un artiste ukrainien, un artiste russe, sur scène ensemble vont jouer et créer quelque chose de magnifique, ensemble. C’est le but et c’est ce qui fait la magie de la musique, de l’art. C’est le fait de se mélanger, d’être autour d’un seul but qui est la musique, de créer quelque chose ensemble. Je pense qu’il est temps de mettre aussi cet aspect en avant, c’est à dire d’unifier ces ondes de culture, ces musiciens, ces artistes, pour créer quelque chose. Je pense que c’est eux qui vont créer, qui vont régler cette situation.

ONU info : Le jazz à sa création parlait vraiment de ce que les personnes vivaient au jour le jour par la musique. Est-ce que c’est toujours le cas ? Est-ce un moyen d’exprimer ce qui se passe dans le monde ?

Alune Wade : Oui, parce que, en fait, cela a été le socle du jazz depuis le début. On sait tous qui a créé le jazz et d’où vient le jazz : les esclaves qui sont partis. Ils exprimaient ce qu’ils vivaient de jour en jour. C’était le journal de leur journée dans les champs de coton, avec le blues, après, c’est devenu du jazz. C’est sortir ce qu’on a dans les tripes, sortir ce qu’on a dans le cœur et le raconter.

C’est pour cela que moi je dis souvent, il n’y a pas un meilleur musicien ou bien un meilleur jazzman. Chacun, on sort ce qu’on mange, on sort ce qu’on écoute, on sort ce qu’on a dans le cœur. Et du coup, quand on joue le jazz aujourd’hui, quand on a un instrument et on le pratique aujourd’hui, on arrive à découvrir des choses qu’on n’avait pas il y a 2 jours. Parce qu’on a changé, on a gagné en expérience et en vécu. Du coup ce n’est jamais pareil avec le jazz, c’est comme ça, c’est spontané, c’est naturel.

ONU Info : Avez-vous un message en cette Journée du jazz ?

Alune Wade : Pour moi, la chose dont on a vraiment besoin ces temps-ci, c’est cette sagesse de pouvoir écouter l’autre, de pouvoir comprendre les problèmes. Qu’est ce qui amène les problèmes et comment faire pour trouver une solution, par le biais de la musique, par le biais du jazz. On a quand même vécu deux années très dures, on ne savait pas où aller. On a réussi quand même à trouver des solutions parce que, comme on dit, quand une porte se ferme, retourne-toi, certainement il y a une autre porte qui vient de s’ouvrir. C’est comme ça qu’on a pu aujourd’hui créer cette magie de pouvoir faire des interviews par l’Internet avec Zoom et tant d’autres. Je dirais que c’est à cause, et aussi grâce à cette pandémie qu’on a eu cette facilité maintenant de le faire. Et je pense que j’en suis sûr et certain que nous allons encore trouver aussi d’autres moyens de communiquer, de s’entendre et de s’aimer après ces crises. Mais il faut juste le vouloir. Grâce à la musique, grâce au jazz on va continuer à se mélanger pour créer des choses positives pour notre monde.

 

(*) In https://news.un.org/fr/story/2022/04/1119182?utm

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