CRIEF et échiquier politique: A quand échec et mat? (Ali Camara)
« Où est passé l’argent ? »
C’est la question fatigue que pose notre Premier Ministre, Mohamed Béavogui, avant d’indiquer qu’il n’est « pas dans nos écoles, pas dans nos hôpitaux, pas chez les plus démunis, pas dans nos routes, pas dans nos infrastructures…» Mais où est passé l’argent ? Où peut-il bien se cacher ? Le constat frise l’amertume. La voix de Béavogui n’a pas été épargnée. Comment peut-on expliquer notre « descente aux Enfers » ? Pourtant « ce pays est riche. Il a produit l’année dernière 4 milliards de dollars de chiffres d’affaires [ uniquement] dans la bauxite, fait près de deux milliards de recettes. Mais aujourd’hui il finit l’année 2021 avec près de 5.000.000.000.000 GNF d’arriérés [ soit plus de 553. 000. 000 de dollars ]. Voilà la réalité. Nous devons changer cela. » avait-il martelé.
Trop longtemps de l’argent a « disparu » ou n’est jamais rentré dans les caisses de l’Etat !
La CRIEF, cour de répression des infractions économiques et financières est plus qu’opportune à ce titre. Il est temps de donner du sens au principe de redevabilité, au contrôle effectif des finances publiques, à la moralisation de la vie publique, à la loyauté envers la république etc…
En dépit des prérogatives institutionnelles évoquées, notamment, « Les attributions des Hautes Cours de justice instituée ou prévues depuis 1990, notamment celles relatives aux crimes et délits économiques et financiers », la CRIEF est enfin un moyen de soulagement. Ce soulagement est d’une dualité évocatrice. En un premier lieu, les affaires qui passeront devant cette juridiction permettront de situer l’opinion publique à la fois sur l’identité véritable des fossoyeurs de l’argent public, et surtout de démontrer à la face du monde l’intensité de ce mal et l’ingéniosité de la cabale. Pour tous ceux qui se sentent accusés ou jetés à l’opprobre à tort – en deuxième lieu – ce serait enfin un moyen sans équivoque d’être définitivement loin de tout regard malveillant, de laver leurs noms, comme on le dit bien chez nous.
Ce qui est aussi important. Ce sera certainement les retombées prochaines de toutes les affaires déjà soumises à la clairvoyance de cette cour. On peut citer entre autres, les affaires FUTURELEC, BCRG, vente AIR GUINÉE, le démantèlement des rails, ENCO-5, Projet Coton, SMD, Groupe Djoma. Toutes ces affaires auront tout aussi le privilège de nous garantir un certain nombres d’avantages :
– Combler le déficit budgétaire : en ces temps de transition où les aides budgétaires seront presqu’impossibles, où la pandémie ralentit les activités économiques, ainsi les recettes, on a besoin d’argent pour faire dans la continuité de l’Etat, faire aussi face à tous les grands chantiers de réforme et de restructuration ;
– Permettre de déterminer le degré de complicité ou non des acteurs sociopolitiques, notamment pour ceux qui ont encore des ambitions politiques. Il est impérieux que ceux qui veulent conduire notre destin national soient des exemples. On ne saurait demander d’avoir des saints. Mais pour ce qui est des deniers publics, l’intransigeance doit être la clé. On ne confie pas son coffre-fort à un voleur endurci et s’attendre qu’il va prier dessus. Ce serait, comme pour demander les mots à Césaire, « être la dupe de bonne foi. »
Dans une société où les partis politiques sont créés ou « tenus » dans la majorité des cas par d’anciens hauts dignitaires de l’Etat ( qui sont tout aussi « cités » parmi ses plus riches ), il y a aujourd’hui intérêt à clarifier les choses. L’autre constat, c’est le fait que très souvent ces partis politiques ne sont pas présents quand il s’agit de parler de préoccupations réelles des populations. Ils sont nombreux – si ce n’est d’ailleurs la majorité – ces guinéens qui estiment qu’il faut un renouvellement de la vieille garde politique. À tort ou à raison ? Toutes ces procédures judiciaires nous donneront le moyen d’y voir plus clair, en toute objectivité. Chacun(e) de nous sera situé(e) à moins de voir la brume là où il pleut déjà. C’est pourquoi il nous faut interpeller les membres de la CRIEF, leurs actions doivent être guidées par le sens de la responsabilité, de la neutralité, de la transparence et de la rigueur. Les guinéens attendent des résultats sans équivoques dans des délais raisonnables ( à défaut de la promptitude ). Il faut se mettre au travail. C’est maintenant, et le temps presse.
C’est ce dernier élément qui m’intéresse le plus aujourd’hui. J’aimerais bien rappeler certaines choses. Tout d’abord, il est important de savoir qu’on fait la politique avec trois choses (3) fondamentales :
– Le capital humain ;
– Le capital financier ;
– La capacité de mobilisation.
C’est la constatation la plus plausible. Encore faut-il préciser davantage qu’il s’agit de choses nécessaires pour tout accomplissement politique. S’il est très rare de retrouver ces trois (3) éléments au même moment avec un parti ou un leader politique, le premier reste primordial. Il devrait être associé à l’un ou l’autre à l’absence du concours des trois.
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Le capital humain
Il se définit comme l’ensemble de connaissances et compétences acquises par une personne, ses aptitudes à pouvoir réaliser des projets de société. L’école ne suffit pour en être sûr. Il y a l’éducation ou la formation continue, l’expérience professionnelle.
En politique, le capital humain est également apprécié par la moralité de la personne, ses collaborateurs, ses fréquentations. On peut aussi citer son carnet d’adresses.
À l’échelle mondiale aujourd’hui, « il apparaît de plus en plus que si les pays ne renforcent pas leur capital humain, ils ne pourront pas réaliser une croissance économique durable et inclusive, préparer leur main-d’œuvre aux emplois plus qualifiés de demain et faire face à la concurrence dans l’économie mondiale». C’est la même chose en politique. Il ne s’agit de faire le guignol ou le sac à paroles. Il faut savoir mener les troupes en temps de paix, comme en temps de guerre.
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Le capital financier
Ici, il faudrait l’appréhender comme la capacité à mobiliser des fonds, par les cotisations des membres d’un parti, des dons et legs. C’est aussi le lieu où le carnet d’adresses peut être très utile. La confiance a ce niveau est cruciale. Très souvent, pour tout ce qui est finance, les gens sont plus regardants. Les partis politiques ont tout aussi intérêt à diversifier leurs sources de revenus. Ils peuvent donc disposer d’autres revenus privés, mais dans les limites étroites d’une législation de plus en plus restrictive : des ressources provenant d’activités économiques du parti. Il y’a aussi le financement public sous forme de subventions, notamment pendant les campagnes électorales. Parce qu’il faut faire attention à ce que les partis politiques soient pris en otage par des gros bonnets dont les intentions restent pour le moins inavouées ou tout simplement égoïstes. Ce sont ces financiers des partis politiques qui prennent en otage le système démocratique au sein de ces nombreuses formations politiques et sapent les initiatives de congrès électif transparent.
Cela ne vous rappelle rien ? Combien de partis politiques guinéens ont un réel mécanisme démocratique d’alternance politique? Combien de congrès se sont terminés par de la « dissidence »? Combien de leaders politiques restent malgré tout indéboulonnables? Cela est en réalité un véritable danger pour un système démocratique. Comment réussir l’alternance politique au sommet du pays quand depuis plusieurs années consécutives nos politiques règnent en maîtres absolus au sein de leurs formations politiques ? L’habitude est l’autre nom de notre nature. Nous en avons eu l’expérience pour suffisamment prendre garde.
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La capacité de mobilisation
Comme son nom l’indique, c’est la force de mobilisation autour des idéaux politiques. C’est le fait de pouvoir fédérer autant de monde sur son programme ( pour le parti ) et sur sa personne ( pour le candidat ). Cela veut dire clairement que l’adhésion des personnes dépend à la fois de la ligne du parti et du choix sur son candidat. Un parti pourrait donc perdre à cause d’un mauvais choix de candidat, tout comme un candidat pourrait perdre pour avoir mal choisi son parti ou mal scellé ses alliances politiques. Mais cette deuxième hypothèse est très rare chez nous tant les électeurs sont plus attachés à la personne des candidats que ce qu’ils représentent ou proposent.
C’est donc dire qu’à chaque fois que la première condition sur le capital humain est minimale, c’est toute la société qui se désorganise. Si le capital humain fait défaut, s’ensuivent l’enrichissement illicite, les détournements de deniers publics très généralement en vue de miroiter les plus démunis et d’acheter les consciences même de ceux qui sont censés tenir la boussole. Aussi, on active le ralliement social : l’ethnie, la communauté, la région deviennent le socle de la politique. Quand la politique est faite pour garder des positions sociales, pour passer au-delà des lois ou tout simplement pour exhiber ses assises financières, et derrière aucune vision réelle, la titubance politique devient le jeu favori des acteurs politiques. Tout se calcule ainsi en terme de profits personnels et tant pis pour l’intérêt général. c’est une catastrophe pour l’avenir du pays.
L’argent est le nerf de la guerre, c’est vrai. Mais en politique, le plus important c’est la vision et le plan ( programme ) pour la mettre en action. Il ne s’agit pas de rafistoler quelques bouts de documents ou de faire un livre de » la bonne parole « . La vision politique est vue « prématurée » de l’avenir, une conviction, un horizon lointain à rapprocher, une destination que les partis et les leaders politiques devraient tous démontrer, et chaque fois s’adapter aux différents changements à la fois endogènes et exogènes. La vision politique est l’esprit de l’action politique. C’est elle qui détermine les moyens, jamais l’inverse.
Pour éviter de conclure, nous faisons le vœu que des actions du CRIEF nous permettent à tous de faire – pour une fois – la politique véritable, de quitter les retranchements ethniques, interpersonnelles, et de faire le moment venu des choix utiles, un vote citoyen et responsable. Le vote est un droit parce que c’est un privilège, et un devoir parce qu’il devrait obéir à l’idéal républicain, de sorte que nous ayons tous après avoir voté, le sentiment d’avoir fait le bon choix pour l’avenir de la Guinée. Le bon choix pour l’avenir de la Guinée ! C’est ce qui compte au final.