Contre La sansure

Le droit à la vie à l’épreuve des manifestations en République de Guinée (Par Dr Sadou Diallo)

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Encore des morts ! En République de Guinée, ôter la vie lors des manifestations est devenue une banalité ! Cette vie humaine est pourtant sacrée. En effet, au cours de ces dernières années, des individus pour la majorité très jeune ont été tués au cours des manifestations de rues.

Ils ont été tués pour avoir manifesté contre les fraudes électorales ! Tués pour avoir dénoncé la mauvaise gouvernance ! Tués pour avoir manifesté pour un retour à l’ordre constitutionnel !

Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Il est protégé par la loi. Il est consacré dans la Charte de la transition (article 10 et 11 en filigrane), de manière implicite dans la DUDH (reconnaissance dans son préambule) et dans les instruments des droits de l’Homme ratifiés par la Guinée (article 3 de la DUDH, article 6 du PIDCP, article 4 de la CADHP).

En le garantissant dans ces instruments juridiques, l’État guinéen reconnait à tout individu le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne (article 3 DUDH). Il doit l’exercer sans distinction aucune, notamment …, de langue, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, ou de toute autre situation. À cet effet, l’article 4 de la CADHP stipule que «nul ne peut être arbitrairement privé de la vie».

Selon le Conseil des droits de l’homme (CDH), il s’agit d’un droit extrême auquel aucune dérogation n’est permise, même dans les situations de conflit armé et autres situations de danger public exceptionnel. Il s’entend comme «le droit de ne pas subir d’actes ni d’omissions ayant pour but ou résultat leur décès non naturel ou prématuré, et de vivre dans la dignité» (voir le paragraphe 1 de l’observation générale n° 36 du CDH sur l’article 6 du PIDESC).

Cette présente réflexion vise à répondre à deux questions principales.

D’une part, elle cherche à répondre à la question de savoir quelles sont les obligations juridiques de l’État guinéen dans la garantie du droit à la vie au cours des opérations de maintien de l’ordre?

D’autre part, elle s’attèle à répondre à la question de savoir sur comment concilier le droit à manifester et le maintien de l’ordre public dans ce contexte de transition ? C’est-à-dire comment avoir un maintien d’ordre sans effusion de sang et un droit à manifester sans dérapage?

Les obligations juridiques de l’État guinéen dans la garantie du droit à la vie au cours du maintien de l’ordre public

Partie aux différents instruments des droits de l’Homme, l’État guinéen est soumis à plusieurs obligations juridiques. Il s’agit entre autres de l’obligation de respecter, de protéger et mettre en œuvre le droit à la vie. Ainsi, dans le cadre du maintien de l’ordre, le Gouvernement est censé prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute atteinte arbitraire de la vie par ses organes de maintien de l’ordre.

Ces mesures sont entre autres : l’adoption d’une législation appropriée relative au contrôle de l’utilisation de la force létale par les agents du maintien de l’ordre ; la mise en place de procédures visant à garantir que les opérations de maintien de l’ordre seront correctement planifiées compte tenu de la nécessité de réduire au minimum le risque qu’elles représentent pour la vie humaine ; le signalement obligatoire des incidents mortels et la conduite obligatoire d’enquêtes sur ces incidents et la mise à disposition des forces de police responsables de la lutte antiémeute de moyens non létaux efficaces, complétés par des équipements de protection appropriés qui évitent le recours à la force létale.

En particulier, toutes les opérations menées par des agents de maintien de l’ordre devraient être conformes aux normes internationales pertinentes, notamment au Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (résolution 34/169 de l’AG) et aux principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, et les agents du maintien de l’ordre devraient recevoir une formation appropriée relative à ces normes afin de garantir, dans toutes les circonstances, le plus grand respect du droit à la vie (voir le paragraphe 19).

La conciliation du maintien de l’ordre public et du droit à manifester

Dans l’état actuel des choses, il est très difficile de concilier le maintien de l’ordre avec le droit à manifester en République de Guinée. Selon l’article 2 de la loi n°/2015/…009/AN portant maintien de l’ordre public en République de Guinée, «le maintien de l’ordre public est l’ensemble des mesures visant à prévenir les atteintes à l’ordre et à rétablir lorsqu’il est troublé. Son objectif vise à garantir les conditions d’une vie paisible des groupes et des individus, tout en conciliant l’expression de leurs droits avec le respect des intérêts de l’État».

Fort malheureusement, à l’occasion des manifestations politiques, cet ordre public est menacé. Ces deux concepts sont antagoniques. Dans leur mise en œuvre, ils sont différemment appliqués ou revendiqués.

D’une part, ceux qui sont chargés du maintien de l’ordre abusent de sa mise en œuvre (des arrestations arbitraires, des descentes musclées dans les concessions, des saccages…). D’autre part, ceux qui bénéficient de l’exercice du droit à manifester exagèrent dans sa jouissance (des pillages, des attaques en mains armées, l’utilisation des armes blanches…). Ce qui fait que, le contenu même du droit à manifester est totalement en déphasage avec la réalité sur le terrain.

De ce fait, la marche pacifique se transforme en une guérilla urbaine entre les forces de l’ordre appuyées par des unités de l’armée contre des jeunes survoltés, excités et, qui sont prêts en en découdre avec ceux-ci. On assiste, du côté des manifestants, à des jets de pierres et à des cocktails molotov, à des scènes d’inflammation des pneus. Du côté des forces de l’ordre, on assiste à des tirs de gaz lacrymogènes et, lorsqu’elles sont débordées, à des tirs de balles réelles qui sont le plus souvent meurtrières pour les manifestants.

Ainsi, pour concilier les deux : il faut une véritable prise de conscience de l’ensemble de la société guinéenne.

D’une part, le Gouvernement devrait faciliter l’exercice du droit à manifester à tout individu, quel que soit son bord. À mon avis, en détenant le monopole de la puissance publique, rien n’empêche le Gouvernement d’encadrer les manifestations. Qu’il s’agisse des autorités centrales (Gouvernement), ou des autorités locales (Mairies), rien ne les empêche à autoriser une manifestation pacifique. Ils doivent le faire. À mon avis, c’est le refus d’obtenir les autorisations qui rend la situation très délétère et qui fait monter la tension du côté des organisateurs. C’est de là que la menace à l’ordre public et à la sécurité publique prend source.

Ce n’est pas parce que nous sommes dans une situation qualifiée par certains «d’exception» que les droits de l’Homme ne peuvent être respectés. Hélas ! Nous sommes dans un État de droit. Le pays est régi par une Charte qui fait office de constitution. Cette charte garantit l’exercice des droits de l’Homme, dont le droit à manifester. Il s’agit là d’un droit fondamental de participation. C’est un droit qui garantit la dignité humaine dans les œuvres de participation de l’homme à l’animation de la vie sociale (voir Abdoulaye SOMA, Traité de Droit constitutionnel général, 2022, LIBES, pp. 436-438).

Ainsi, elles (autorités) devraient mettre à la disposition des organisateurs, une autorisation légale et des forces de l’ordre qui seront chargées d’encadrer la marche. Choisir parmi ceux-là, les plus instruits et les plus compétents avant de les amener sur le terrain ; éviter de les équiper des armes létales dans leurs missions de maintien de l’ordre.

D’autre part, aux organisateurs des manifestations, d’inculquer, d’éduquer et de vulgariser à l’égard des militants, des activités de formations et de sensibilisation avant que ceux-ci ne descendent dans la rue. Le constat est que, la grande majorité des manifestants est illettrés et, ils sont pour la plupart, très violents.

Il faut éviter une radicalisation des parties. Un dialogue sincère et fraternel est indispensable pour conduire à terme cette transition. On doit s’écouter, se pardonner, laisser les querelles partisanes, ethniques et autres. Le pays à trop souffert, sa population est fatiguée.

Dr. Sadou DIALLO (Docteur en Droit public)

Enseignant-chercheur

Consultant en droit de l’Homme

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