Contre La sansure

Le Sénégal « se dirige vers une présidentielle inclusive » malgré la barrière des parrainages

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Au Sénégal, le Conseil constitutionnel examine actuellement les candidatures en vue de l’élection présidentielle du 25 février prochain et pour laquelle 21 candidats sur 93 ont passé, mardi, l’étape cruciale des parrainages. Le président sortant Macky Sall a annoncé début juillet qu’il renonçait à briguer un troisième mandat. France 24 décrypte les enjeux du scrutin avec Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis.

La liste des candidats doit être finalisée d’ici le 20 janvier. Alors que le Conseil constitutionnel du Sénégal planche depuis plusieurs semaines sur les 93 dossiers déposés pour la présidentielle du 25 février, 21 candidats ont désormais passé, mardi 9 janvier, l’étape cruciale des parrainages. Parmi eux, l’actuel Premier ministre et candidat du parti au pouvoir Amadou Ba, l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, ou encore l’ancien ministre et maire de Linguère Habib Sy.

Plusieurs profils issus de la société civile figurent également sur cette liste dont l’économiste Mamadou Lamine Diallo, le scientifique spécialiste des maladies infectieuses Daouda Ndiaye et la gynécologue obstétricienne Rose Wardini.

Le dossier de l’opposant Ousmane Sonko, actuellement détenu pour « appels à l’insurrection et complot » contre l’État, a été rejeté, jugé incomplet. Visé par de nombreuses procédures judiciaires depuis qu’il a été accusé de viol en 2021, ce dernier accuse le pouvoir d’instrumentaliser la justice pour l’écarter du processus électoral.

Pour faire le point sur l’organisation des élections et les thèmes qui se dégagent de cette présidentielle, France 24 s’est entretenu avec Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de science politique à l’université sénégalaise Gaston Berger de Saint-Louis.

France 24 : Plusieurs dizaines de dossiers de candidats ont été rejetés pour des problèmes liés au nombre de parrainages. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette étape fait polémique ?

Maurice Soudieck Dione : Les parrainages sont un filtre instauré à partir de 2018 par Macky Sall pour réduire le nombre de candidats à la présidentielle de 2019. Cette disposition a généré beaucoup de contestation dans l’opposition car elle a été imposée sans concertation. Avec ce système, seuls cinq candidats ont pu concourir lors de la dernière présidentielle, alors qu’une vingtaine d’autres ont été éliminés pour des raisons qui n’ont pas été clairement comprises. Cela a donné le sentiment que le pouvoir avait choisi les candidats selon ses propres intérêts et non de manière démocratique.

Depuis, les conditions ont évolué. La commission qui statue sur les candidatures a été élargie, les postulants ont désormais un droit de regard sur le processus et des membres de la société civile y ont été intégrés.

Dr Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis.

Néanmoins, des problèmes persistent. Les candidats sont tenus d’obtenir un nombre de parrainages compris entre 0,6 % et 0,8 % du fichier électoral, soit quelque 44 500 parrains, dont au moins 2 000 dans sept régions. Même si cela est interdit, certains citoyens parrainent plusieurs candidats, ce qui génère des « doublons externes » et conduit au rejet de certains dossiers. Enfin, la loi prévoit que seuls les candidats ont accès au fichier électoral, pour des questions de protection des données personnelles. Le problème est que lorsqu’ils soumettent leurs dossiers, ils ne sont pas encore candidats. Ils sont donc jugés sur la base d’un document qu’ils ne détiennent pas, ce qui complique beaucoup le processus. Il y a encore des progrès à faire pour que le système des parrainages devienne davantage équitable et transparent.

Malgré de nombreux recours, l’opposant Ousmane Sonko n’a toujours pas réussi à faire valider sa candidature. Quel impact son absence pourrait-elle avoir lors du scrutin ?

Ousmane Sonko a été radié des listes électorales suite à sa condamnation le 1er juin 2023 pour « corruption de la jeunesse », dans une affaire de mœurs. Il a déposé un recours auprès du tribunal d’instance de Ziguinchor [Casamance] qui a ordonné, en octobre, sa réintégration. Lorsqu’une telle décision de justice est rendue, elle est immédiate. Mais l’État sénégalais s’était pourvu en cassation et a renvoyé le dossier devant la Cour suprême. Contrairement à son habitude, celle-ci a refusé de trancher et a renvoyé le dossier au tribunal d’instance de Dakar. Ce dernier a de nouveau décrété qu’Ousmane Sonko devait être réintégré sur les listes électorales. Pourtant, l’administration refuse toujours de respecter la décision de justice. Il s’agit d’une violation flagrante du droit.

On lui dit aujourd’hui que l’attestation de dépôt de caution manque à son dossier alors que celle-ci a bien été payée. Encore une fois, on lui met des bâtons dans les roues, mais des recours sont encore possibles. En parallèle, son parti, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), a évolué et n’est plus dans la perspective d »Ousmane Sonko ou rien’. Une autre figure du Pastef, Bassirou Diomaye Faye, compte concourir, bien qu’il soit lui aussi en détention [notamment pour « actes de nature à compromettre la paix publique », NDLR]. Par ailleurs, 13 députés du Pastef ont apporté leurs parrainages à un autre candidat de l’opposition Habib Sy, du Parti démocratique sénégalais, qui s’est engagé à se retirer au profit de Sonko si celui-ci était finalement autorisé à se présenter. Habib Sy est plus âgé et expérimenté. Il a été à plusieurs reprises ministre de l’ancien président Wade et pourrait capter un électorat d’opposition plus mature, parfois effrayé par la fougue et la radicalité du Pastef.

Au cours de l’année écoulée, plusieurs ONG ont alerté sur le rétrécissement de certaines libertés au Sénégal ainsi que sur la répression lors des manifestations liées à l’affaire Sonko, qui ont fait plus de 20 morts. Le climat politique est-il particulièrement tendu ?

Le climat a en effet été très tendu avant et après l’arrestation d’Ousmane Sonko. Mais la situation s’est beaucoup calmée depuis que Macky Sall a annoncé renoncer à un troisième mandat, manifestement illégal au regard de la Constitution. Il existait un consensus au sein des forces politiques contre cette troisième candidature. Certes l’affaire Sonko a déclenché les manifestations violentes que nous avons connues, mais en sourdine il y avait derrière la question du troisième mandat. Depuis qu’elle n’est plus là, la contestation a perdu beaucoup de sa force et le Pastef a dû revoir sa stratégie. Il a abandonné sa confrontation violente avec le régime et est revenu dans une compétition démocratique institutionnelle. C’est une bonne chose car au Sénégal, la lutte contre le régime peut vite virer à la lutte contre l’État, du fait de mesures liberticides comme le mandat de dépôt automatique pour toute manœuvre de nature à discréditer les institutions.

Aujourd’hui le climat s’apaise, un large éventail de candidatures a passé l’étape des parrainages et nous nous dirigeons vers une élection inclusive. Celles de Khalifa Sall, Karim Wade, Habib Sy et d’Idrissa Seck [ancien Premier ministre, NDLR] représentent à elles seules quatre pôles forts dans l’opposition, ce qui est un gage de crédibilité.

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