Une vie après le pouvoir
Pour le Sénégal, Macky Sall composerait sans états d’âme avec Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko. Car, tous savent devoir situer l’intérêt de leur patrie au-dessus de leurs rancœurs, tenaces ou passagères.
Deux semaines après son départ du pouvoir, l’ancien président Macky Sall, en sa qualité d’envoyé spécial du Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète, a pris contact, en cette mi-avril, avec le Secrétaire général des Nations unies, à New York, puis avec les milieux de la finance, à Washington, où se tenaient les Assemblées du Fonds monétaire international et du Groupe de la Banque mondiale. Pourquoi donc certains Sénégalais, ne veulent y voir qu’une anomalie, gênante pour son successeur ?
Chacun y verra ce qu’il voudra. L’essentiel, ici, est que la fin d’un mandat politique cesse d’être vécu, en Afrique, comme une malédiction. Sur la vitalité d’une démocratie, ce que deviennent les anciens chefs d’État après le pouvoir est édifiant ! Et le Sénégal, de ce point de vue, est un exemple plutôt plaisant. Fin 1980. Léopold Sédar Senghor, 75 ans, quitte volontairement le pouvoir. Trois ans plus tard, il passe à l’immortalité : élu à l’Académie française.
Mars 2000. Son successeur, Abdou Diouf, 65 ans, battu à la présidentielle par Abdoulaye Wade, devient, deux ans après, Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Peut-être que s’il n’avait pas préféré, à 86 ans, le repos du guerrier, Wade aurait eu droit à sa petite sinécure de jeune retraité, comme Macky Sall, qui l’avait battu en 2012, et qui a sa nouvelle vie, désormais, loin de la gestion de son successeur.
Que Paris ait été pour beaucoup dans la reconversion de trois des quatre anciens chefs d’État du Sénégal est peut-être une forme de soutien à la démocratie sénégalaise, en dépit des récriminations que nourrissent certains à l’égard de l’ancienne métropole.
Mais Macky Sall pourrait-il vraiment, dans ses nouvelles fonctions, gêner son successeur ou nuire au Sénégal ?
Sa mission est celle d’un ambassadeur de bonne volonté, qui plaidera pour lever des fonds en faveur des pays confrontés aux dérèglements climatiques. Les nationaux de certains États africains craindraient plutôt qu’il favorise, parfois, le Sénégal de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko. Parce que les Sénégalais aiment leur pays. Qui a toujours eu une diplomatie des postes dans les institutions internationales, déployant tous les efforts, pour promouvoir ses ressortissants dans la fonction publique internationale. À charge, pour ceux-ci, d’aider en retour leur patrie à mériter les meilleurs projets et financements. À la différence d’autres nationalités africaines, le Sénégal ne brise pas ses propres ressortissants, sous prétexte qu’ils ne seraient pas du parti au pouvoir, ou de la région d’origine du chef de l’État. À l’international, les Sénégalais savent transcender leurs rivalités partisanes. Ce qui peut subsister d’animosité entre eux se joue ailleurs. Sur la scène internationale, Senghor n’a jamais gêné Diouf ; qui n’a jamais gêné Wade, qui, même s’il lui en voulait, n’a jamais gêné Sall. C’est à leur capacité à situer la patrie au-dessus de leurs rancœurs, tenaces ou passagères, que l’on apprécie les hommes d’État.
Le Sénégal n’est tout de même pas seul à compter de tels hommes d’État !…
On en trouve en nombre, notamment dans les pays lusophones et anglophones que nous citons souvent en exemple ici. Mais, on n’oublie pas qu’en francophonie, une des successions les plus violentes, après coup, a été celle du Cameroun, où Ahmadou Ahidjo avait, en novembre 1982, transmis le pouvoir à son Premier ministre, Paul Biya, tout en gardant le contrôle du Parti, afin, disait-il, de calmer certains barons hostiles au successeur. Cela se transforma bientôt en une omniprésence d’un Ahidjo campant sur la prééminence du parti, avec des incongruités protocolaires, qui achèveront de ruiner les relations avec Biya. Et lorsque survient, en avril 1984, une violente tentative de coup d’État, l’ancien président, qui avait publiquement regretté d’avoir cédé le pouvoir à Biya, s’empresse de suggérer que le putsch réussirait, s’il était le fait de ses partisans. À Yaoundé, on le tiendra pour responsable, même si certains auteurs présumés confient ensuite n’avoir rien à voir avec lui. Peut-être que Ahidjo – peu habitué à ne plus passer en premier – s’était morfondu dans l’ennui et une certaine nostalgie… Ce qui ne risquait pas d’arriver à Senghor, le poète, devenu… académicien français !