Contre La sansure

Comment la pêche illicite, non déclarée et non réglementée fait perdre environ 12 milliards de dollars par an à l’Afrique

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La pêche illicite non-déclarée et non-réglementée (INN) ou pêche illégale désigne toute activité de pêche menée en violation des lois et réglementations nationales ou régionales.

Cela inclut la pêche pratiquée par des navires sans autorisation dans des zones maritimes relevant de la juridiction d’un État, le non-respect des quotas de capture, la pêche dans des zones interdites ou avec des méthodes prohibées.

Elle est pratiquée principalement en haute mer et dans les zones côtières des pays où les réglementations et contrôles sont plus faibles.

« La pêche n’est plus aussi fructueuse par rapport aux années passées, le poisson se fait de plus en plus rare », déplore Mbor Faye, la quarantaine, teint noir.

Trouvé sur le quai de Soumbédioune sur la corniche de Dakar, ce pêcheur originaire de Mbour sur la petite côte sénégalaise, est un témoin de la diminution progressive des stocks de poissons et des ressources marines observée ces dernières années.

« L’activité (de pêche) ne nourrit plus son homme, le travail ne marche pas comme avant et les prises comme celles d’aujourd’hui ne permettent pas de couvrir toutes nos charges » déclare-t-il un brin nostalgique, à la BBC.

La pêche INN ruine les efforts nationaux, régionaux et mondiaux en faveur d’une pêche responsable et durable. Cette activité illicite a des répercussions dévastatrices sur la durabilité des pêches et les moyens de subsistance de ceux qui en dépendent, ainsi que sur la conservation des écosystèmes marins.

Elle constitue en outre une menace pour la survie des communautés, en entraînant la perte de millions d’emplois et crée les conditions d’une émigration irrégulière.

La pêche illicite pénalise non seulement les économies de ces pays, mais aussi la pêche artisanale et les millions de personnes qui en vivent.

Le manque à gagner pour les pays africains est estimé à 11,5 milliards de dollars par an, dont 2,3 milliards et quelque 300 000 emplois pour les six pays de la région ouest africaine.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un poisson sur cinq pêché chaque année dans le monde provient de la pêche non déclarée.

Environ 20 % des poissons illégalement pêchés dans le monde proviennent des eaux de six pays ouest-africains : Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sénégal et Sierra Leone selon un rapport publié par Investigative Journalism Reportika (Ij–Reportika), un réseau international de journalisme d’investigation.

Des ressources de plus en plus rares

Du poisson frais est vendu au marché aux poissons sur la plage du canal de Vridi à Abidjan le 29 juin 2024.
Crédit photo, Getty Images. Du poisson frais est vendu au marché aux poissons sur la plage du canal de Vridi à Abidjan, en Cote d’Ivoire.

 

Sur le quai de pêche de Soumbédioune, une pirogue vient d’accoster en cette soirée d’août, avec à son bord une dizaine d’hommes en combinaison de pêche, s’efforçant de tirer un filet rempli de poisson sur le rivage.

Après plusieurs heures passées en mer, Aladji et ses collègues regagnent la terre ferme. Dans leur pirogue faite de planches en bois, il n’y a que de petits poissons, des crevettes et des sardinelles.

Un maigre butin pour Aladji et ses camarades d’infortune. « Il n’y a plus rien ici, c’est très dur de trouver du poisson par les temps qui courent « , lâche t-il dépité, le regard triste et l’esprit sans doute tourné vers les Canaries, destination à la mode chez les jeunes pêcheurs sénégalais, confrontés à la crise qui frappe de plein fouet la pêche artisanale. Partir en Espagne ? Il y songe sérieusement. D’autres avant lui ont déjà franchi le pas, avec plus ou moins de réussite.

Des pêcheurs débarquent avec leurs pirogues sur la cote sénégalaise.
Crédit photo, Getty Images. Les eaux au large d’Afrique de l’Ouest comptaient parmi les plus poissonneuses au monde. Mais elle subit durement les conséquences de la pêche illicite qui vide ses côtes.

L’importance de la pêche dans l’alimentation du continent africain n’est plus à démontrer. Ce secteur représente également une sources d’emplois et de revenus pour les États mais aussi pour les communautés locales.

Plus de 22 % des protéines animales disponibles sont issues des ressources halieutiques et ce chiffre atteint même plus de 50 % dans certains pays africains, en particulier en Afrique du Nord et de l’Ouest.

Les eaux qui bordent les côtes du Sénégal et le Golfe de Guinée sont parmi les plus poissonneuses du monde. Mais un certain nombre de facteurs épuisent les stocks de poissons, provoquant par conséquent des difficultés économiques et alimentent ainsi l’immigration irrégulière vers l’Europe.

Il s’agit notamment de l’afflux de chalutiers étrangers dans les eaux de la région qui s’adonnent à de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, d’accords de pêche déséquilibrés avec des gouvernements étrangers, de lois peu contraignantes et d’absence de sanctions pour les contrevenants.

La pêche illicite crée un déséquilibre et maintient une forte pression sur les stocks halieutiques au détriment des populations locales.

Outre la destruction des écosystèmes et la surexploitation des stocks, ce déséquilibre entraîne une perte d’emplois, de ressources financières et alimentaires pour les pêcheurs respectant les législations, particulièrement pour ceux des pays en voie de développement.

Quelles sont les conséquences de la pêche illicite sur les économies de la région ?

Des pêcheurs sénégalais vendent leur poisson sur la côte de Mbour qui abrite de nombreuses espèces de poissons.
Crédit photo, Getty Images. Des pêcheurs sénégalais vendent leur poisson sur la côte de Mbour qui abrite de nombreuses espèces de poissons.

 

D’après les dernières estimations, l’Afrique perd environ 11,5 milliards de dollars par an à cause de la pêche illégale. En Afrique de l’Ouest, la pêche INN coûterait entre 2,3 et 9,4 milliards de dollars par an aux pays de la région selon le dernier rapport de Financial Transparency Coalition (FTC).

Cette pêche illégale décime les stocks de poissons et menace les moyens de subsistance d’environ 5,2 millions de personnes travaillant dans les petites pêcheries. « Au Sénégal par exemple environ 600.000 personnes vivent de cette activité, si l’État ne renforcent pas la surveillance de la ZEE (Zone Economique Exclusive) , ces acteurs risquent de perdre leurs moyens de subsistances « , souligne le chargé de la campagne Océan pour Greenpeace Afrique.

Outre les pertes financières dont elle et son commerce sont la cause, la pêche illégale s’accompagne fréquemment d’une négligence des conditions de travail et du non-respect de la sécurité en mer et de la législation sur le travail en général.

Parmi les facteurs qui favorisent le développement de la pêche INN figure l’absence de gouvernance forte, de traçabilité et de moyens de dissuasion.

Existe t-il des liens entre pêche illicite et immigration irrégulière ?

La réponse est oui si l’on en croit Dr Aliou Ba, responsable de la campagne Océan pour Greenpeace Afrique.

Selon le spécialiste , la raréfaction des poissons en grande partie due à la pêche INN, prive ces pêcheurs de leurs moyens de subsistance. « Bien que certains contestent ce lien, la réalité sur le terrain est frappante. L’immigration irrégulière vers l’Europe se fait souvent à bord des mêmes pirogues utilisées pour la pêche, et ce sont souvent les capitaines de pêche eux-mêmes qui conduisent ces embarcations périlleuses. Ce fait est révélateur. Si les ressources halieutiques étaient suffisantes, ces capitaines expérimentés n’auraient aucune raison de quitter le Sénégal pour chercher un avenir meilleur en Europe. 

Lire la suite … https://www.bbc.com/afrique/articles/c4gej4v2708o

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