Contre La sansure

Le texte de Soninké Diané, malgré la richesse de ses idées, pèche par excès de prudence.

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Le texte de Soninké Diané (*), bien qu’ambitieux dans son projet de proposer une voie d’apaisement des fractures mémorielles en Guinée, tombe dans une rhétorique consensuelle qui en atténue l’impact.

En cherchant à préserver un équilibre entre les parties en conflit et à éviter la “guerre de mémoire”, l’auteur semble parfois sacrifier la nécessité de confronter frontalement certaines vérités historiques. Cette approche, louable en surface, risque de diluer l’urgence de la justice et de minimiser l’importance de la responsabilité collective face aux violences du passé.

1. La “guerre de mémoire” : un faux danger surestimé

Le concept de “guerre de mémoire” est présenté ici comme une menace principale, un obstacle à l’unité nationale. Pourtant, cette crainte apparaît démesurée. Si la mémoire est un terrain conflictuel, ces affrontements peuvent aussi être des catalyseurs de changement. Plutôt que de voir dans l’évocation du passé un danger à éviter, il serait plus pertinent de souligner que ce travail de mémoire, bien que douloureux, est essentiel pour garantir que les erreurs ne soient pas répétées. En dénonçant une “surenchère mémorielle”, l’auteur semble suggérer qu’une certaine amnésie volontaire serait préférable. Mais une société qui refuse de revisiter son histoire de manière critique ne fait que repousser les conflits, les laissant fermenter dans le silence.

2. Une réconciliation vidée de sa substance

La “politique d’évacuation responsable” suggérée par l’auteur est séduisante en théorie, mais sa mise en œuvre reste floue. Il est problématique que le texte insiste sur une réconciliation qui semble mettre sur le même plan les bourreaux et les victimes, sans jamais s’attarder sur les impératifs de justice.

La mention de commissions Vérité, Justice et Réconciliation est pertinente, mais l’auteur n’aborde pas les difficultés spécifiques à la Guinée. Ces institutions peuvent échouer lorsqu’elles sont instrumentalisées par le pouvoir politique ou minées par un manque de transparence. Une réconciliation sans justice n’est qu’une injonction à l’oubli, et l’oubli est l’antichambre de l’impunité.

3. Une approche trop scolaire de l’éducation

Si la révision des programmes scolaires est un levier important, la proposition faite ici reste insuffisamment ambitieuse.

Soninké Diané

En se concentrant sur la transmission d’une histoire “équilibrée”, l’auteur semble vouloir neutraliser les débats historiques plutôt que d’en faire un terrain de confrontation constructive. L’éducation ne devrait pas se limiter à enseigner une version aseptisée du passé, mais encourager l’esprit critique chez les jeunes générations. Les contradictions de l’histoire guinéenne – les promesses trahies, les luttes intestines, les violences d’État – doivent être explorées en profondeur, même si elles dérangent.

4. Des propositions culturelles sans ancrage réel

L’appel à des “initiatives locales et nationales” ainsi qu’à des événements culturels unitaires paraît idéaliste, mais il manque de précision. Comment faire en sorte que ces projets ne soient pas réduits à de simples symboles, mais deviennent des leviers réels de transformation sociale? Trop souvent, en Afrique de l’Ouest, les festivités culturelles servent d’alibis à des pouvoirs en quête de légitimité, sans que des actions concrètes soient menées en parallèle. Le texte aurait gagné à proposer des exemples plus précis d’initiatives culturelles réussies, en expliquant leur impact au-delà du symbole.

5. Le rôle de l’État sous-estimé

Enfin, le texte semble omettre un élément central : la responsabilité de l’État dans la gestion des mémoires. L’auteur appelle à une “participation active” de la société civile, mais il est illusoire de penser que cette dernière peut à elle seule porter le fardeau de la réconciliation. Sans une réelle volonté politique et des réformes institutionnelles, ces efforts resteront vains. L’État doit non seulement faciliter le dialogue, mais aussi reconnaître officiellement les torts commis, garantir des réparations et offrir un cadre législatif qui empêche la répétition des abus.

En conclusion : de l’audace nécessaire

Le texte de Soninké Diané, malgré la richesse de ses idées, pèche par excès de prudence. En cherchant à concilier toutes les positions, il finit par proposer une réconciliation tiède qui risque d’éluder les vérités nécessaires à une paix durable. La Guinée a besoin d’un véritable courage politique pour affronter son passé : un courage qui ne craint ni les conflits mémoriels ni les débats houleux. Car c’est seulement en traversant ces épreuves avec lucidité que la nation pourra espérer transformer ses fractures en forces et avancer vers un avenir collectif apaisé.

A. F.

(*) https://guinafnews.org/pour-une-politique-devacuation-responsable-des-fractures-memorielles-en-guinee/

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