Contre La sansure

Un journalisme égaré dans les ombres de l’ambiguïté

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Le texte de Thierno Oumar Diawara se veut une réflexion critique sur la situation guinéenne sous la junte militaire, mais il déçoit par une absence criante de rigueur intellectuelle. En entretenant un faux équilibre entre la critique et l’indulgence, l’auteur trahit l’esprit du journalisme engagé et passe sous silence des faits accablants.

Face à un régime dont la légitimité s’effrite chaque jour davantage, toute tentative de lui accorder un crédit conditionnel devient non seulement maladroite mais dangereusement complice. Ce texte se contente d’un regard flou là où la clarté et la fermeté sont impératives.

La trahison du serment : une manœuvre sous silence

Le premier manquement majeur du texte réside dans son omission de la promesse solennelle du Général Mamadi Doumbouya. En prêtant serment sur la Charte de transition et sur le Coran, Doumbouya s’était engagé, avec ses complices de la junte, à ne pas briguer le pouvoir à l’issue de la transition. Pourtant, l’éventualité de sa candidature est désormais discutée comme une option légitime. Où est donc l’indignation journalistique face à une trahison aussi flagrante ?

Plutôt que de questionner avec vigueur cette rupture d’engagement, Diawara se contente d’un exercice rhétorique flou, laissant entendre qu’une candidature de Doumbouya pourrait même représenter une voie d’espoir. C’est là une abdication morale : la parole donnée n’est pas une variable politique mais un fondement sacré du contrat social, dont la violation devrait suffire à disqualifier définitivement ce régime.

Un régime qui écrase la démocratie, et pourtant…

Il est regrettable que l’auteur minimise les dérives autoritaires du pouvoir en place. Depuis le 5 septembre 2021, la junte a méthodiquement muselé la presse, fermé des journaux indépendants, et orchestré des arrestations arbitraires d’activistes comme Foniké Manguè et Billo Bah. Des leaders politiques, tels que Cellou Dalein Diallo, sont pourchassés et contraints à l’exil. À cela s’ajoutent les répressions brutales contre des manifestants pacifiques, sans oublier l’économie nationale, aujourd’hui au bord de l’effondrement.

Devant ce sombre tableau, comment peut-on raisonnablement laisser entendre que le régime pourrait “rassembler les Guinéens autour d’un idéal commun” ? Ce qui se joue ici n’est pas un appel à l’unité, mais une tyrannie sous le masque d’un discours populiste.

L’apologie implicite du cynisme historique

Le texte de Diawara semble étrangement indulgent face à une décision symbolique profondément outrageante : le renommage de l’aéroport international de Conakry au nom d’Ahmed Sékou Touré, un despote sanguinaire. En agissant ainsi, Doumbouya ne célèbre pas l’unité, mais piétine la mémoire des victimes de ce régime funeste. La complaisance de l’auteur à l’égard de cet acte est une insulte à l’éthique journalistique. Le rôle du journaliste n’est pas de “s’accommoder” des dérives d’un pouvoir autoritaire, mais de les dénoncer avec lucidité et courage.

Un optimisme trompeur : entre aveuglement et déni

Diawara entretient une illusion pernicieuse en affirmant que la société guinéenne est “autonome et difficile à manipuler”. Une affirmation qui trahit un déni des réalités. Si la population guinéenne montre un attachement indéniable à la justice et à la liberté, elle est aujourd’hui piégée dans un climat de terreur où manifester ou s’exprimer librement relève de l’héroïsme. À quoi sert-il de glorifier une autonomie fictive quand le régime en place réprime chaque élan d’indépendance d’esprit ? Le journaliste ne peut se permettre un tel optimisme béat : il doit au contraire éclairer les défis réels, aussi sombres soient-ils.

Un appel à la rigueur et au courage journalistique

L’exercice de Thierno Oumar Diawara aurait pu être un cri de révolte contre un régime qui a failli à sa parole et qui confisque le destin du peuple guinéen. Malheureusement, son texte se perd dans des circonvolutions stériles et une volonté illusoire de ménager toutes les parties. Or, la situation actuelle ne tolère plus les demi-mesures : il est temps d’appeler un tyran par son nom. Le journalisme a pour devoir de dire la vérité, non de la diluer dans des considérations ambiguës.

Dans un contexte où le peuple guinéen se bat pour sa liberté, le journaliste doit être un phare, non une ombre hésitante. À vouloir ménager l’espoir et la critique, Diawara ne fait que desservir son pays. Le véritable espoir ne réside pas dans une réconciliation illusoire avec un pouvoir oppresseur, mais dans l’exigence implacable de vérité et de justice.

Kunta Kanté, juriste

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