« Plus rien ne pousse » : au Malawi : manger, un combat quotidien dû au dérèglement climatique
Au Malawi, les effets conjugués des cyclones et des épisodes de sécheresse, amplifiés par le dérèglement climatique, ont plongé le pays dans l’insécurité alimentaire. Si des tentatives d’adaptation commencent à émerger dans ce pays dépendant de son agriculture, elles peinent à se généraliser.
« Je ne supporte plus ce goût. Mais c’est ça ou rien. » Musamude Binzi coupe sa mangue en deux. Il réfrène une grimace en la mordant à pleines dents. Pour lui comme tous les habitants de son village de Kamuga, dans la région de Chikwawa, dans le sud du Malawi, ce fruit tropical est sa seule nourriture à laquelle il a accès depuis plus d’un an. « On les fait bouillir, griller, en porridge, en jus… On connaît toutes les façons de les cuisiner« , ironise le jeune homme.
Pendant longtemps, le maïs, céréale essentielle de l’alimentation au Malawi, abondait dans les assiettes. Il était récolté directement par les habitants dans les nombreux champs alentour. Mais depuis deux saisons, ils sont désespérément vides. « Il y avait largement de quoi nourrir tout le monde et vendre l’excédent pour avoir un revenu« , explique le chef du village, Joseph Yona. « Mais aujourd’hui, tous nos champs sont inondés et le niveau de l’eau ne descend pas. Nous ne pouvons plus cultiver quoi que ce soit. »
De cyclones en sécheresses
En mars 2023, le Malawi a été frappé par Freddy, le cyclone le plus long jamais enregistré. Six mois de pluies se sont abattues en seulement six jours, provoquant inondations et coulées de boue. Quelque 1 200 personnes sont mortes et 700 000 ont été déplacées. Deux millions d’agriculteurs ont perdu leurs récoltes et vu leurs champs ravagés. Près de 1,4 million de têtes de bétail ont péri, les champs autour de Kamuga ont été noyés. Et l’eau est toujours là.
En novembre 2023, quelques mois à peine après le passage de Freddy, El Niño est arrivé. Le phénomène climatique a plongé le pays, où plus de 16 millions de personnes dépendent de l’agriculture pluviale, dans une sécheresse historique. Plus de 4,4 millions de personnes étaient alors déjà confrontées à une crise alimentaire.
Selon l’indice mondial des risques climatiques, le Malawi fait partie des cinq pays les plus touchés par les phénomènes météorologiques extrêmes. Les précipitations sont devenues de plus en plus irrégulières et les périodes de sécheresse ont alterné avec cinq cyclones depuis 2019.
Une rivière infestée de crocodiles
Pour les habitants de Kamuga, il était encore plus difficile de s’alimenter. Dans ce village aux allures désertiques, trouver des mangues est un défi périlleux. Les rares manguiers se trouvent à plusieurs centaines de mètres des habitations, juste derrière la rivière Shire, infestée de crocodiles.
En octobre 2023, Jusa Levison a été attaqué alors qu’il cueillait des fruits pour sa famille. « Nous étions quatre. Les mangues commençaient tout juste à mûrir, il fallait grimper dans les arbres pour les cueillir », se souvient-il. « J’ai trouvé un manguier où il y avait beaucoup de fruits. J’ai laissé le groupe et je suis monté les chercher. C’est en redescendant que le crocodile m’a attaqué. »
Le reptile le charge alors qu’il range son précieux butin dans un sac et le mord au mollet. « Heureusement, mes amis m’ont entendu et ont accouru avec un bâton. Le crocodile a fini par me lâcher et ils m’ont conduit à l’hôpital« , termine, placide, le jeune homme de 25 ans. Dans des villages voisins, deux autres attaques ont été enregistrées. Un homme et un adolescent de 15 ans sont morts.
Alors que Jusa Levison livre son récit, de nombreux enfants âgés d’une dizaine d’années passent derrière lui. Ils reviennent de la rivière avec des grands sacs de jute remplis de ces fruits verts – des provisions qui dureront à peu près deux jours. « Nous connaissons le danger, mais nous n’avons vraiment pas le choix« , insiste le chef du village, avant de balayer la question. « Dans environ un mois, la saison des mangues se terminera. Je ne sais pas comment nous allons faire. »
En prévision, certaines familles ont déjà commencé à cueillir des tubercules de nénuphars dans les cours d’eau alentour, qu’elles vont consommer pelés et coupés en petits morceaux, ou séchés puis moulus. Un aliment « sans goût et certainement sans vitamines », admet le chef, « mais qui peut nous éviter de mourir de faim ».
Détourner l’eau des cours d’eau
À quelques kilomètres en contrebas de Kamuga, la multiplication des catastrophes climatiques a fini par pousser le village de Nsomo à passer à l’action. « Nous avons vécu de graves inondations en 2016, qui ont détruit de nombreuses maisons et nos champs », raconte Alfred Mbalame, membre du comité local pour la gestion des désastres. « Nous avons dû déplacer le village un peu plus loin et nous reconstruire. »
Dans les années suivantes, ces épisodes se sont multipliés. « Nous avons alors eu l’idée de replanter des arbres près du lit de la rivière pour nous protéger », poursuit le villageois. Jadis, ces arbres étaient présents, mais ils ont été progressivement coupés pour être vendus.
Les Malawites sont de plus en plus nombreux à se tourner vers la vente de bois et de charbon pour se dégager une source de revenus. Mais, cette activité illégale est responsable d’une déforestation massive qui vient renforcer la vulnérabilité du territoire aux événements climatiques extrêmes. Privée de ses arbres, la terre perd sa capacité à absorber l’eau et le sol s’érode progressivement, rendant de vastes zones plus vulnérables aux inondations et aux coulées de boue. En 1992, le Malawi avait déjà perdu plus de la moitié de ses forêts. Il en perd aujourd’hui 0,63 % de plus par an, selon les chiffres du gouvernement.
« On s’est vite rendu compte que cela ne suffisait pas », poursuit Alfred Mbalame. En 2023, le comité des risques met alors une nouvelle idée sur la table : créer une digue pour détourner le cours d’eau lors des fortes pluies et ainsi protéger le village et les champs.
Le projet est lancé un an plus tard, grâce à un financement de l’ONG danoise DanChurchAid de 6,5 millions de kwacha malawien, soit environ 3 500 euros. « C’était un gros défi de mener ce projet avec cette somme d’argent« , concède en riant Charles Herbat Mandafzuwa, ingénieur en charge du projet et membre du village. Décidé, ce dernier conçoit les plans les plus économes possibles, achète les matériaux, en récupère d’autres et embauche des artisans locaux et des habitants. À peine trente jours plus tard, la digue voit le jour.
Aujourd’hui, des rangées d’arbres parfaitement alignés cachent les deux petits murs de pierre qui bordent directement le lit de la rivière totalement à sec. Mais s’ils font la fierté du comité de gestion des risques et permettent déjà de rassurer de nombreux membres du village alors que la saison des pluies arrive, beaucoup de travail reste à faire.
« Normalement, ces deux murs doivent être plus longs et plus hauts, et des sacs de sable doivent être installés au milieu. Mais nous n’avons plus assez d’argent« , déplore l’ingénieur, qui estime que 20 millions de kwacha malawiens (10 780 euros) sont encore nécessaires pour terminer le projet. « Si nous sommes honnêtes, ce n’est pas sûr que cela suffira en cas de fortes pluies« , avoue-t-il. « Espérons seulement que cela permettra de limiter les dégâts. »
Diversifier les cultures
À son échelle, Davi Tsoka a envisagé d’autres solutions pour s’adapter à ces événements climatiques extrêmes à répétition. Depuis deux ans, cet agriculteur a décidé de diversifier au maximum ses productions avec l’espoir d’avoir toujours quelque chose à récolter.
« En 2016, ma famille et moi avons été touchés par les inondations. Mes champs et ma maison ont été ravagés, nous obligeant à nous reloger. Depuis, nous subissons chaque année des sécheresses ou des inondations. Nous n’avons plus jamais une récolte normale. » À ses débuts, raconte cet homme de 45 ans, il parvenait à récolter environ 16 sacs de maïs par an. Désormais, il peine à en remplir un seul.
Aujourd’hui, en parallèle du maïs, il essaie, selon la période de l’année, de faire aussi pousser du soja – qui apprécie les climats plutôt secs –, du riz – qui pousse dans des zones humides – et des pois. « Mes grands-parents faisaient déjà pousser du soja et ils m’avaient transmis leur savoir. Pour le riz, je suis parti observer des agriculteurs de la région qui en faisaient déjà pousser pour tout apprendre. »
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