Le limogeage de Mandian Sidibé est révélateur d’une crise de compétence dans la transition CNRD
Le samedi 14 décembre 2024, Mandian Sidibé, directeur de l’Office guinéen de publicité (OGP), a été limogé par un décret diffusé à la télévision nationale. Officiellement motivée par des accusations de « mauvaise gestion », cette décision prise par le président de la transition, Mamadi Doumbouya, a rapidement alimenté débats et réactions au sein de la population.
Ce congédiement survient dans un climat déjà tendu, marqué par des grèves et des revendications du personnel de l’OGP, dénonçant notamment des retards de salaires de plus de six mois ainsi que des frustrations liées à des problématiques de promotion interne. Cette affaire met en lumière des dysfonctionnements profonds dans la gestion des ressources humaines au sein de l’administration publique guinéenne, soulevant des interrogations dans le contexte délicat de la transition.
Il est important de noter, tout d’abord, que les grèves du personnel de l’OGP ont servi de catalyseur à cette décision. Ces mouvements sociaux révèlent non seulement un malaise profond au sein de l’institution, mais également un échec dans la mise en place d’un leadership compétent et apte à assurer une gouvernance efficace. Si les accusations portées contre Mandian Sidibé se révèlent exactes, son limogeage était nécessaire et justifié. En revanche, cela ne règle pas le problème de fond : la désorganisation chronique qui gangrène certaines institutions publiques de notre pays.
Par ailleurs, cet épisode révèle l’une des principales lacunes de la transition en cours : le manque de rigueur et de transparence dans le recrutement des hauts responsables de l’État. Depuis le début de la transition, plusieurs nominations ont donné lieu à des controverses, souvent perçues comme le résultat de calculs politiques et de favoritisme plutôt que d’un véritable souci de compétence et d’intégrité. Le cas de l’OGP en est un exemple frappant.
La réussite du processus de transition exige des responsables compétents, capables de relever les défis complexes d’une administration aux moyens limités. Malheureusement, le congédiement de Mandian Sidibé montre que ce critère essentiel ne semble pas avoir été respecté. De plus, l’échec apparent de la plateforme #Servir224, lancée en grande pompe par le CNRD et son président le 28 décembre 2021, confirme ces inquiétudes.
Ce portail de recrutement devait servir à attirer des talents afin d’accompagner cette période critique, mais ce processus a, semble-t-il, été rapidement abandonné au profit de méthodes de recrutement « traditionnelles », opaques et controverses. La récente déclaration du général Amara Camara qui attribue le recrutement de centaines de cadres du régime de transition à cette plateforme relève davantage d’une tentative de réhabiliter un processus de recrutement caractérisé par l’opacité et le clientélisme.
Le président de la transition lui-même avait déclaré qu’« il n’y a pas d’écoles pour acquérir l’expérience », mais au vu du fonctionnement défaillant de l’administration guinéenne pendant cette transition, il est certainement le premier responsable dans ce fiasco qui continue d’affecter à la fois le personnel, le bon fonctionnement du service public et la situation financière de notre pays.
Les récentes allégations de détournement estimées à 100 millions de dollars, selon plusieurs médias, qui secouent actuellement les douanes guinéennes au Port autonome de Conakry en font foi. Certes, le général Mamadi Doumbouya a fait prêter serment aux cadres de la transition sur des livres saints. Mais rien de tout cela ne pouvait garantir la compétence, l’intégrité, l’éthique ni les résultats escomptés. Trois ans se sont écoulés depuis le début de cette transition et le bilan en matière de gestion reste alarmant à plusieurs égards. En même temps, que peut-on attendre des militaires qui n’ont aucune expérience de la gestion d’une nation, de surcroît de plus de 13 millions d’âmes ?
Certains soutiens de la junte prétendent que ces militaires sont entourés de cadres civils qui « seraient très expérimentés, connaissant parfaitement l’administration publique », et qui les conseillent dans la conduite des affaires du pays. Non seulement la véracité de cette affirmation est loin d’être prouvée, tant la gestion de la transition se résume en des formules creuses et vides de sens.
Cette affirmation, même si elle s’avérait, mènerait à une réalité dangereuse et préoccupante, qui repose sur une délégation tacite de responsabilités à des technocrates tapis dans l’ombre, sans aucun cadre institutionnel ni aucun contrôle démocratique. Une telle dynamique favorise une « gouvernance opaque » comme c’est présentement le cas, où des décisions importantes peuvent ainsi être prises sans consultation ni reddition des comptes, ce qui amplifie les risques de dérapages stratégiques, la corruption et des abus de pouvoir, au détriment de l’intérêt général et de la stabilité du pays.
Face à cette situation alarmante, le retour à l’ordre constitutionnel dans les plus brefs délais apparaît plus que jamais nécessaire pour permettre aux Guinéens de choisir librement leurs gouvernants, à qui il revient de se montrer à la hauteur des défis et des attentes du pays. Le but d’une transition n’est pas de développer le pays, quoiqu’en disent la junte militaire du CNRD et ses soutiens.
Par exemple, en s’engageant dans des projets du type Simandou 2040 plutôt que de bien gérer les affaires courantes pour rétablir l’ordre constitutionnel dans les meilleurs délais, selon des règles démocratiques, transparentes et inclusives, elle dilue les responsabilités et met le pays sur une trajectoire opaque dont une seule poignée de Guinéens détient les tenants et les aboutissants.
Toute réforme structurelle devrait attendre l’élection des représentants du peuple et ne devrait pas être mise en œuvre par une junte dépourvue d’un mandat du peuple. Les militaires ne disposant pas de mandat pour mener des réformes de fond, il est indispensable que le prochain président civil et le Parlement élus par le peuple de Guinée se chargent de cette mission.
Cette situation devrait enfin sensibiliser les prochaines autorités civiles sur la nécessité de réformes structurelles profondes en matière de recrutement des hauts fonctionnaires de l’État et d’organisation de leur travail. Il ne s’agit pas seulement de remplacer des personnes, mais de revoir complètement les procédures de sélection, de contrôle et de responsabilisation des agents publics. La Guinée ne peut espérer un développement durable si les institutions publiques continuent de fonctionner avec des dirigeants incompétents ou de moralité douteuse, sans aucune expérience professionnelle significative. Quid du « background check » ?
Le limogeage de Mandian Sidibé illustre les défis persistants liés au recrutement basé sur la compétence et le mérite en Guinée. Cette situation doit être considérée comme une opportunité de renforcer le processus de gouvernance et de gestion des affaires publiques, en s’assurant que les postes sont pourvus en fonction des qualifications des personnes les plus compétentes, capables de répondre aux exigences de leur poste de travail et d’en assurer le bon fonctionnement.
Karamoko Kourouma
Citoyen guinéen
Québec