Une trêve de bienséance en politique aux États-Unis
Il souffle sur Washington DC une légère brise de tolérance. Sans doute l’esprit de Jimmy Carter et Gerald Ford, ces rivaux devenus amis. La coexistence est toujours plus simple, lorsque les adversaires politiques s’accordent sur quelques valeurs communes. Mais, ici, l’harmonie ne durera que le temps que voudront certains.
À la cérémonie couronnant, ce jeudi, les obsèques de l’ancien président Jimmy Carter à la cathédrale nationale, à Washington, il régnait une harmonie, qui tranche avec les tensions politiques de ces dernières années dans la capitale fédérale. D’où vient donc l’impression que ce seul événement pourrait réconcilier la classe politique américaine ?
Cette harmonie est à l’image de la vie politique de Jimmy Carter, tout en bienveillance, loin de ce détestable mélange d’intolérance et de vulgarité qui semblait être devenu la norme, ces derniers temps, à Washington DC. La décence, la dignité, la bonté, le souci des autres et de l’intérêt général propres à l’ancien président comptent aussi dans la place que fait l’Histoire à chaque homme d’État. Que démocrates et républicains s’accordent à lui reconnaître ces qualités à Carter prouve que dans l’esprit de tous, elles constituent des valeurs que tous attendent des leaders politiques. Jimmy Carter était comme sous-coté. C’est à sa mort que tous semblent découvrir qui il était vraiment, alors que beaucoup se fondaient sur son échec à se faire réélire pour conclure qu’il n’avait pas été un grand président. Lui-même n’était pas assez narcissique pour vanter ce qu’il a réussi, en un seul mandat.
Qu’a-t-il donc réussi, que l’on ne savait pas ?
D’abord, Jimmy Carter, premier président élu après la démission de Richard Nixon, avait ramené un peu d’intégrité à la Maison Blanche, après les années Watergate. Il osait des décisions courageuses, en associant, dans un esprit bipartisan, l’opposition républicaine à l’adoption de ses textes. Il mettait l’accent sur les droits civiques, aux États-Unis, et sur les droits de l’homme, à l’étranger. Il a fait libérer des centaines de prisonniers politiques en Amérique latine, piloté les Accords de Camp David, initié la création de l’US Holocaust Memorial Museum… C’est aussi lui qui a créé le Département de l’Education ; accru les financements en faveur des étudiants les moins bien lotis ; créé la FEMA, l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence, en première ligne dans les ouragans, feux de forêts et autres catastrophes naturelles.
Jimmy Carter a promu des femmes dans d’importants départements ministériels : Commerce, Éducation, Habitat, Développement urbain, et ce que l’on appelle aujourd’hui Éducation Santé et Bien-être… 39e président des États-Unis, il a, en un seul mandat, promu cinq fois plus de femmes et de personnes de couleur dans divers postes de responsabilité que n’en ont promu ses trente-huit prédécesseurs réunis.
Jimmy Carter a, le premier, installé des panneaux solaires sur le toit de la Maison Blanche ; fait passer des lois sur l’économie d’énergie, la dérégulation des prix du pétrole, et beaucoup investi dans les énergies renouvelables, comme alternative aux énergies fossiles, sans sacrifier l’indépendance énergétique des Etats-Unis. Grâce à son audace, la consommation d’énergie des Etats-Unis baissera de 10% entre 1979 et 1983. Pour affronter les défis importants, il savait se libérer des calculs politiciens.
Pourquoi, alors, n’a-t-il pas été réélu ?
La prise en otages, à Téhéran, de cinquante-deux diplomates américains par des étudiants se réclamant de l’ayatollah Khomeini lui a été d’autant plus fatal qu’il s’est refusé à risquer la vie des otages dans une opération militaire. Pour l’opinion, sa prudence était un signe de faiblesse. Bien que battu, Jimmy Carter a continué à travailler à leur libération, finalement intervenue le dernier jour de sa présidence. Il a préféré perdre l’élection, plutôt que de risquer la vie d’un seul otage. Ainsi était l’homme.
Après son départ du pouvoir, il a œuvré, tous azimuts, à la salubrité démocratique et aidé, partout, les démunis. Pour cela, il inspire un respect qui lui survivra, à jamais. Il inspirait aussi le respect à ses adversaires politiques. Tel le républicain Gerald Ford, qu’il a battu… en 1976, et qui lui a rendu le plus bel éloge. Sauf que le président Ford est décédé depuis 2006. C’est son fils qui a lu l’éloge. Mais ces deux rivaux-amis s’estimaient, au point de rédiger l’éloge funèbre, l’un de l’autre. D’où l’harmonie, ce jeudi, à la cathédrale nationale, et qui règne naturellement partout où des adversaires politiques partagent les mêmes valeurs, et qui durera le temps que voudront certains…
Image de la UNE : (L-R) Former US Vice Presidents Al Gore and Mike Pence, Karen Pence, former US President Bill Clinton, former Secretary of State Hillary Clinton, former US President George W. Bush, Laura Bush, former US President Barack Obama, US President-elect Donald Trump and Melania Trump attend the state funeral for former US President Jimmy Carter at Washington National Cathedral on January 09, 2025 in Washington, DC. (Getty Images via AFP)