Contre La sansure

Quand la monnaie se cache, le pouvoir s’enfonce

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A propos de la pénurie de billets en Guinée et du silence étourdissant du sommet.

Il y a des silences qui disent tout. Depuis des mois, la Guinée traverse une crise monétaire d’une rare violence, et pourtant, rien ne filtre. Les billets manquent, les banques rationnent, les guichets deviennent des chambres d’humiliation pour citoyens et entreprises. Le système bancaire vacille, mais le pouvoir fait mine de ne pas comprendre.

Les retraits sont plafonnés. Les dépôts deviennent inaccessibles. Les cambistes, les commerçants, les opérateurs économiques tournent à vide. Dans un pays où l’essentiel de l’économie repose encore sur la circulation physique de la monnaie, ce blocage n’est pas un incident : c’est une asphyxie organisée.

Et que nous dit le Premier ministre Bah Oury ? Que cette pénurie est, en somme, la rançon du succès. La croissance serait telle (7 % en 2024) que la monnaie fiduciaire ne suffirait plus à satisfaire les besoins de l’économie. L’argument est habile, mais il est aussi grossièrement inversé : la croissance appelle la liquidité, elle ne l’étouffe pas. Ce n’est pas l’abondance qui crée la rareté. C’est la mauvaise foi.

Cette pénurie n’est pas le fruit d’un excès de dynamisme. Elle est la conséquence directe d’un effondrement de la confiance dans la gestion monétaire, et il faut avoir le courage de dire pourquoi.

À l’arrivée des militaires au pouvoir, les banques ont reçu l’ordre de geler les comptes des anciens dignitaires et de leurs proches, hors de tout cadre légal. Une violation manifeste du secret bancaire, un coup porté à la neutralité des institutions financières. Ce fut la première brèche dans le système. Puis, très vite, le pouvoir lui-même a pris peur : peur de subir, demain, le même sort qu’il avait infligé hier. Depuis, les nouveaux maîtres du pays ont déserté les banques, préférant thésauriser dans l’ombre. Comment exiger de la population une confiance que ceux qui gouvernent ont eux-mêmes abandonnée ?

Mais le plus grave reste à dire : selon plusieurs sources concordantes, une partie substantielle des réserves des banques commerciales — placées à la Banque centrale — aurait été détournée pour financer les dépenses informelles du régime. On parle de plus de 5 000 milliards de francs guinéens, injectés hors circuit productif, sans transparence, pour alimenter des caisses parallèles, financer des fidélités politiques, ou simplement engraisser les puissants.

L’argent existe, mais il est confisqué. Il ne circule plus dans l’économie, il circule dans le labyrinthe opaque du pouvoir. Il ne finance ni les PME ni l’agriculture, il finance la mamaya, les égos, et les vanités d’un régime replié sur lui-même.

 L’argent existe, mais il est confisqué. (…) il finance la mamaya, les égos, et les vanités d’un régime replié sur lui-même.

Et maintenant, on propose des mesurettes : supprimer les paiements en espèces dans l’administration, promouvoir les virements bancaires. Sur le principe, rien à redire. Mais sur le terrain, dans un pays à peine numérisé, c’est déplacer le problème, pas le résoudre. Le mal est ailleurs : la monnaie est en otage, et personne ne semble vouloir la libérer.

La Banque centrale, quant à elle, se mure dans un silence impardonnable. Elle n’explique rien. Elle ne rassure personne. Elle se comporte moins comme une institution régalienne que comme un compartiment verrouillé du système.

Résumons : le peuple ne peut plus toucher son argent. Les entreprises n’ont plus accès à leurs fonds. Les banques ne font plus confiance à la Banque centrale. Et le pouvoir, lui, détourne la monnaie pour ses propres besoins, puis accuse la croissance. C’est un mensonge d’État doublé d’une stratégie de prédation.

Car ce n’est plus seulement une crise de liquidité. C’est une stratégie de contrôle. Une façon de casser l’autonomie économique des citoyens en les rendant dépendants d’un système qui les tient à la gorge.

La vérité est simple, mais brutale : on ne gouverne pas durablement un peuple privé de sa propre monnaie. Une monnaie qui ne circule pas est une monnaie morte. Et un pouvoir qui la confisque pour se maintenir finit toujours par tout perdre, y compris sa légitimité.

𝐀𝐛𝐨𝐮𝐛𝐚𝐜𝐚𝐫 𝐅𝐨𝐟𝐚𝐧𝐚, 𝐜𝐡𝐫𝐨𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞𝐮𝐫

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