Contre La sansure

La science politique en Guinée : entre marginalisation et espoir de reconnaissance

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La science politique demeure une discipline encore méconnue en République de Guinée, tant par le grand public que par une partie des acteurs institutionnels. Souvent confondue avec la pratique politique ou le droit, cette filière universitaire souffre d’une faible visibilité et d’un déficit de reconnaissance sociale. Pourtant, elle constitue l’un des piliers essentiels pour comprendre le pouvoir, la gouvernance et la société.

L’enseignement supérieur guinéen s’est structuré autour de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, fondée en 1962, avant de s’élargir avec la création de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia en 2005. C’est au sein de cette dernière que le département de science politique s’est véritablement institutionnalisé, marquant une étape importante dans la diversification des filières universitaires du pays. Ce département offre trois concentrations principales : l’administration publique, les relations internationales et l’analyse politique.

En Guinée, nombreux sont ceux qui ont une mauvaise interprétation de la science politique. La plupart du temps, on nous colle l’étiquette de « politicien » au lieu de « politologue ». D’autres nous confondent avec les juristes. Pourtant, ces trois notions, le juriste, le politicien et le politologue/politiste, sont complètement différentes, bien qu’elles demeurent intimement liées.

Le juriste : le gardien du droit

Le juriste est d’abord un diplômé en droit privé ou public. Il maîtrise les lois, les règles et les principes qui régissent la vie en société. Son rôle est de protéger le cadre légal dans lequel s’exerce le pouvoir. Il peut être avocat, magistrat, conseiller juridique, consultant ou enseignant en droit. Il veille à ce que toute décision politique respecte la Constitution et les lois en vigueur. Le juriste parle le langage de la loi. Il encadre le pouvoir pour éviter l’arbitraire et garantir la justice.

Le politicien : l’acteur du pouvoir

Le politicien, encore appelé « homme politique », est celui qui agit directement sur la scène politique. Il cherche le pouvoir, l’exerce ou le conserve. Il appartient souvent à un parti, milite pour un programme et propose un projet de société. Il n’a pas forcément besoin d’une formation en science politique ; n’importe quel citoyen peut devenir politicien. Cependant, au vu des défis du monde contemporain, il serait souhaitable que la politique soit portée par des esprits formés, conscients et intellectuellement outillés. Le politicien parle le langage du pouvoir. Il agit, il décide, il gouverne parfois avec passion, souvent avec intérêt.

Le politologue/politiste : l’observateur du pouvoir

Le politologue (ou politiste) est celui qui étudie, analyse et explique le fonctionnement du pouvoir, de l’État et des institutions. Il est diplômé en science politique, une discipline dont l’objet principal est le pouvoir. Selon le Guide de méthodologie en science politique (de Deslandes Émond, Lalande-Bernatchez, Meilleur, Pronovost, 4e édition), cette science s’articule autour de quatre concepts majeurs : le politique, la politique, le pouvoir et les relations de pouvoir. Le politologue éclaire la lanterne des citoyens, analyse les faits politiques sans parti pris, et aide à comprendre les enjeux sociaux et institutionnels. Il ne cherche pas à conquérir le pouvoir, mais à le comprendre pour mieux en montrer les logiques. Le politologue est avant tout un analyste, il peut être un conseiller politique, un consultant, un fonctionnaire d’État ou des institutions privées et internationales. Le politologue parle le langage de la science. Il observe, analyse et explique le pouvoir sans en être acteur.

Ces trois figures sont différentes mais complémentaires :

– Le politicien conquiert et exerce le pouvoir

– Le juriste organise et encadre la loi

– Le politologue observe et analyse le pouvoir

Sans juriste, le pouvoir serait arbitraire. Sans politicien, la société serait sans direction.
Sans politologue, la politique serait incomprise et sans recul critique.

Défis et perspectives en science politique

Malgré la pertinence de la science politique, les diplômés de cette discipline font face à d’importantes difficultés d’insertion professionnelle en Guinée. Le manque de compréhension de leur rôle dans la société conduit souvent les offres d’emploi et les recruteurs à négliger leurs compétences, tant dans la société que dans l’administration (ministères, parlement, ambassades, institutions, collectivités) et parfois dans les ONG.

Il est regrettable de constater que de nombreuses institutions guinéennes nomment systématiquement des conseillers juridiques, tout en ignorant la nécessité des conseillers politiques. Or, ces derniers pourraient aider à comprendre, anticiper et orienter les décisions publiques.

Notre défi, en tant que diplômés en sciences politiques, est clair : mieux faire comprendre, connaître et apprécier notre discipline pour briser les stéréotypes qui la réduisent, plutôt que de se reconvertir dans un autre domaine.

Quant à l’État, il peut :

Soutenir les travaux de recherche en science politique, organiser des conférences et des médias spécialisés pour montrer l’utilité pratique des sciences politiques dans la société.

Créer des passerelles ou concours pour les diplômés en sciences politiques en vue d’intégrer les institutions publiques, ONG, médias ou entreprises, afin de démontrer l’impact concret de la discipline.

Valoriser les experts en invitant des politologues à conseiller l’État ou à intervenir dans les processus décisionnels afin de renforcer leur crédibilité et leur visibilité.

Permettez-moi de vous raconter cette anecdote : D’abord, mon défunt père voulait que j’étudie le droit pour devenir un jour juge. Lorsque j’ai obtenu mon bac en 2021 (promotion 9 %), je suis allé en ville acheter des fournitures pour mes jeunes frères et sœurs. Entre-temps, je croise mon proviseur de l’époque, M. Camara, surnommé « Américain » au GSP Fodé Seinkoun Sylla à Kindia. Il me félicita et me demanda où j’allais m’orienter. Je lui répondis : « À Sonfonia, au département de science politique. » Une maman à côté m’a alors regardé avec mépris, de haut en bas, comme pour dire : « C’est eux les futurs problèmes du pays ! ». Voilà une histoire parmi tant d’autres.

Ainsi, loin d’être « un futur problème du pays », l’étudiant en science politique est, au contraire, un acteur du changement, un observateur critique et un éclairage indispensable pour toute démocratie en construction.

Moïse Haba
Diplômé en science politique à l’UGLC/Sonfonia et activiste des droits humains.

In. https://www.visionguinee.info/la-science-politique-en-guinee-entre-marginalisation-et-espoir-de-reconnaissance-2/

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