Du Professeur Alpha Condé au général Doumbouya : quand la Nation est plus grande que l’Homme (Par Kèfina Diakité)
La Guinée a été récemment dirigée par deux figures au magnétisme indéniable : Alpha Condé, l’intellectuel chevronné, et Mamadi Doumbouya, le militaire de la rupture. Les récits populaires, fascinés par les destins individuels, s’attardent souvent sur leurs atouts personnels – la verve d’un opposant historique, la poigne d’un légionnaire.
Pourtant, l’histoire récente de notre pays nous impose une vérité crue : les qualités personnelles d’un seul homme ne peuvent jamais suffire à diriger une nation.
L’illusion du leader omniscient
Il est de notoriété publique que le Professeur Alpha Condé possédait une vivacité intellectuelle et rhétorique hors du commun. Son multilinguisme – sa capacité à haranguer les foules en français, soussou et malinké – lui conférait une proximité politique unique. Cet atout linguistique aurait dû être le ciment de l’unité. Son long combat en tant qu’opposant tenace forçait le respect, le posant comme un Nelson Mandela potentiel d’Afrique de l’Ouest.
Mais l’Histoire a montré que la science politique et la pugnacité ne garantissent pas la bonne gouvernance. Ces atouts ont été progressivement éclipsés par des dérives, prouvant que la ténacité personnelle peut se transformer en entêtement autoritaire si elle n’est pas tempérée par des institutions robustes et des contre-pouvoirs.
La Justice face au piège de la solitude
Le Général Mamadi Doumbouya, de son côté, s’est imposé avec une culture de la discipline héritée de la Légion étrangère et des Forces Spéciales. Il a promis une ‘’justice-boussole’’, symbolisée par une rigueur sans concession ni favoritisme. Mon propre témoignage, où j’ai vu un proche, pourtant au sein de son cercle, purger sa peine jusqu’au dernier jour malgré les suppliques et le drame familial, illustre cette volonté de fer.
C’est là un atout crucial : la lutte contre l’impunité et la corruption. Mais l’engagement pour la justice, aussi ferme soit-il, ne peut rester l’apanage d’un seul homme. Le risque d’un leadership solitaire est qu’il soit perçu comme arbitraire, ou pire, qu’il s’épuise face à l’immensité du chantier national. La justice doit être institutionnelle, pas seulement un trait de caractère.
Le véritable mal guinéen
En définitive, le plus grand défi de la Guinée réside ailleurs que dans le talent ou le courage de son Chef d’État. Le problème, c’est ce que j’appelle le ‘’Syndrome de Kassa-Lola’’.
Nous connaissons tous ces compatriotes, dont les marabouts portent des chapelets aussi longs que la distance entre Kassa et Lola, qui entourent le pouvoir. Ces individus, souvent plus préoccupés par le mysticisme, l’enrichissement personnel et l’intrigue que par la compétence, forment un lobby d’influence occulte qui dévie la trajectoire nationale. Ces courtisans murmurent : « Doumbouya, signe au nom de ton seigneur, et ce sera illico presto ».
C’est ce chuchotement permanent d’intérêts mesquins, de clientélisme et de mauvaise foi, qui étouffe le potentiel de nos leaders, qu’ils soient professeurs ou généraux.
La voie de l’institution et de la compétence
Le temps est venu de démythifier la figure du ‘’sauveur’’ ou du ‘’père de la nation’’ omnipotent. La Guinée ne décollera que lorsque nous aurons accepté cette vérité : une seule personne ne peut pas diriger son pays, quelle que soit sa ténacité, sa volonté ou son courage.
Le véritable courage aujourd’hui n’est pas de diriger seul, mais de s’entourer de compatriotes compétents, intègres et visionnaires, de s’affranchir du Syndrome de Kassa-Lola, et de bâtir enfin des institutions fortes qui garantissent la justice, l’équité et la prospérité au-delà du mandat et du tempérament d’un seul homme.
L’histoire nous a donné deux leaders aux atouts certains. Il est temps que nous donnions à la Guinée une gouvernance collégiale et transparente.
Kèfina Diakité
