Contre La sansure

Face au blocus et multiples attaques du JNIM, l’UA appelle à une action internationale urgente au Mali

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Le président de la Commission de l’Union africaine, Mahmoud Ali Youssouf, appelle à  »une action internationale urgente face à l’escalade de la crise au Mali ».

Dans un communiqué rendu publique ce dimanche, Mahmoud Ali Youssouf appelle à  »une réponse internationale forte, coordonnée et cohérente pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent au Sahel ».

Il appelle à un  »renforcement de la coopération, du partage de renseignements et du soutien technique et financier aux États confrontés à ces menaces ».

Le Président de la Commission de l’UA qui a réaffirmé sa  »solidarité au gouverment, aux familles des victimes et au peuple malien » a  »condamné fermement les attaques ciblant des civils innocents, qui ont entraîné des pertes humaines inacceptables et amplifié l’instabilité dans les zones affectées ».

Les attaques des camion-citerne par le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), coalition affiliée à Al-Qaïda, dirigé par Iya Ag Ghaly autour de la capitale malienne inquiètent de nombreux observateurs.

L’enlèvement mardi dernier de deux commerçants égyptiens à l’ouest de Bamako, l’attaque du convoi de carburant le même jour à 50 km de Kati, proche de la capitale, véritable base de la junte au pouvoir depuis plus de 5 ans, ajoutés aux nombreuses attaques précédentes font craindre le pire pour ce pays.

La France et les Etats-Unis demandent à leurs ressortissants de quitter le Mali

 »Il est recommandé aux ressortissants français de prévoir un départ temporaire du Mali dès que possible par les vols commerciaux encore disponibles » a déclaré le Quai-d’Orsay.

 »Depuis plusieurs semaines, le contexte sécuritaire se dégrade au Mali, y compris à Bamako » écrit le ministère français des affaires étrangères.

Il précise que  »les déplacements par voie terrestre restent déconseillés, car les routes nationales sont actuellement la cible d’attaques de groupes terroristes » et il reste  »formellement déconseillé de se rendre au Mali, quel que soit le motif ».

La semaine dernière, les Etats-Unis avaient lancé le même appel, demandant à leurs ressortissants de quitter « immédiatement, par vol commercial, le Mali ».

« La poursuite du conflit entre le gouvernement malien et les terroristes accroit l’imprévisibilité de la situation à Bamako » a indiqué Washington.

C’est la première fois que les Etats-Unis émettent une telle alerte dans ce pays où le blocus du groupe djihadiste sur le carburant fait tourner au ralenti l’économie et rend le quotidien des habitants extrêmement difficile depuis plus de deux semaines, contraignant les autorités maliennes à fermer les écoles et universités du pays.

Un blocus qui impacte le quotidien des populations

Selon le ministre de l’Education nationale, Dr Amadou Sy Savane, le déplacement du personnel éducatif et des étudiants a été affectés par le blocus de Jnim.

La difficulté de la population à faire face au pénurie du carburant et les problèmes économiques qui en découlent contribuent à la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays, notamment dans les villes autour de Bamako que les Djihadistes du JNIM tentent d’isoler.

Les habitants de Bamako ne sont pas près du bout du tunnel. Ce jeudi, le correspondant de BBC News Afrique a encore constaté de longues files d’attente dans les rares stations encore ouvertes. Certains y ont déjà passé des jours pour réussir à avoir un peu de carburant seulement.

« La situation nous dépasse tous », a regretté un habitant interrogé par notre correspondant à Bamako. Il a confié que sa moto était garée depuis plus d’une semaine et ses activités économiques paralysées. « C’était hier que quelqu’un m’a donné un demi-bidon d’essence que j’ai utilisé pour faire rapidement certaines courses ».

Un autre indique avoir passé plus de 24 heures dans une station sans pouvoir avoir une goutte de carburant. « Pour pouvoir faire le trajet maison-boulot, c’est un casse-tête qu’on vit au jour le jour. La situation est catastrophique. Il faut faire trois nuits pour avoir 2 litres de carburant, et quand ça finit, on revient faire encore des nuits ».

« Beaucoup d’entreprises ont demandé à leurs employés de rester à la maison à cause de la crise du carburant », indique un autre, qui ajoute que les plus fortunés sont en télétravail. « Beaucoup n’ont pas cette chance-là ».

Selon Hervé Wendyam Lankouande, Analyste et spécialiste de l’Institut de recherche sur la paix, la sécurité et le développement en Afrique, Think tank basé en Hollande, le JNIM a décidé de « s’attaquer aux poches des Maliens, à leur pouvoir d’achat, parce qu’une fois qu’on a le problème du carburant, tout flambe. C’est le pouvoir d’achat qui est attaqué d’une manière indirecte. Et par là aussi, la survie du régime ».

Mesure de représailles et tentative d’isoler Bamako

Vue aérienne de la ville de Bamako
Légende image,Les camions qui ne sont pas brûlés lors des attaques deviennent des butins pour le groupe armé qui en fait des stocks. Crédit photo, Reuters

Le groupe multiplie des attaques sur les axes routiers autour de Bamako depuis près de deux mois. La plupart des biens qu’importe le Mali, un pays enclavé, transite par des routes qui viennent de ses voisins, notamment le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

Depuis septembre, Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin s’attaque aux camion-citernes de carburant qui viennent de ces pays. Malgré les escortes de l’armée, plusieurs camions sont incendiés, avec des chauffeurs et militaires tués ou enlevés dans des embuscades.

Les camions qui ne sont pas brûlés lors des attaques deviennent des butins pour le groupe armé qui en fait des stocks.

Ces attaques constituent une mesure de représailles, selon le Jnim, contre les autorités maliennes qui ont interdit la vente du carburant hors stations en milieu rural, le but étant d’assécher les moyens d’approvisionnement des djihadistes.

La multiplication des attaques dans les alentours de Bamako montre que Jnim cherche à isoler la capitale malienne. Le centre et le sud du pays sont fortement touchés.

« Dans le passé, on avait l’habitude de voir un JNIM qui s’en prenait à des emprises militaires, à des sites stratégiques de grande valeur ou à des civils qu’ils jugeaient proches de l’armée. Mais maintenant, ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient aussi faire mal au régime malien en lançant une forme de guerre économique, un sabotage économique », fait remarquer Hervé Wendyam Lankouande, qui ajoute qu’« il s’agit de s’en prendre aux sources d’approvisionnement du pays et de couper les corridors commerciaux ».

Le groupe djihadiste a même imposé des règles pour les voyageurs, demandant aux femmes le port du voile et la séparation avec les hommes dans les transports, selon l’AFP.

Dans le centre du pays, le groupe a fait signer des accords à plusieurs villages dont les populations sont contraintes de ne plus parler avec les forces de sécurité ni obéir aux injonctions du gouvernement.

Assimi Goita, le chef de la junte au pouvoir a limogé et remplacé la semaine dernière le chef d’Etat-major des armées, le directeur de la sécurité militaire et le chef d’Etat-major de l’armée de terre, pour insuffisance de résultats sur le terrain.

Une capacité continue de nuire de JNIM « qui pourrait se retourner contre lui » ?

Le groupe djihadiste a réussi à étaler ses opérations sur l’ensemble du territoire malien, surtout ces derniers temps avec le blocus sur le carburant.

Le JNIM a « développé une capacité opérationnelle et logistique ainsi qu’une présence sur l’ensemble du territoire qui lui permet de lancer ces genres d’opération », selon Dr Seidik Abba, Universitaire et journaliste, président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (CIRES), un Think Tank basé à Paris.

Il ajoute que le groupe est très présent sur les axes routiers de ravitaillement venant de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, et « il a des capacités logistiques qui lui permettent d’entraver l’approvisionnement en carburant du Mali, particulièrement de sa capitale ».

Cependant, le Dr Abba, également auteur du livre « Mali/Sahel : notre Afghanistan a nous ? » souligne que cette opération du JNIM pourrait se retourner contre lui de par son impopularité.

« Comme on le voit, la population malienne, notamment celle des grandes villes est totalement excédée par cette absence du carburant et ça peut créer le rejet du JNIM lui-même en tant qu’acteur », dit-il, faisant remarquer que l’opération ne nuit pas seulement aux autorités militaires.

Il est vrai que les actions du JNIM ont pour seul but de nuire au pouvoir militaire, mais c’est la population qui en pâtit le plus.

« C’est possible que les populations tiennent pour responsables le pouvoir. Mais celui qui va être le plus grand responsable, c’est le JNIM dont le seul agenda est de nuire économiquement au Mali, de créer les conditions d’un chaos et de déstabilisation », affirme Dr Seidik Abba.

Le départ de la Minusma et des forces françaises a-t-il favorisé cette situation ?

Des soldats maliens montrent le drapeau du groupe djihadiste, JNIM après l'attaque de Radisson Blu à Bamako.
Dr Seidik Abba indique qu’en 2015 les forces étrangères étaient présentes au Mali lorsqu’il y a des attentats de grande ampleur comme celui contre Radisson Blu à Bamako et bien d’autres. Crédit photo, Reuters

 

Beaucoup ont craint une situation chaotique non seulement au Mali, mais aussi dans les deux autres pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) avec le départ des forces internationales, notamment la force française, Barkhnane, le Minusma et les forces de l’Union européenne.

Certains analystes croient savoir que la conséquence est une dégradation de la situation sécuritaire, la réorganisation des groupes armés dans le pays et la résurgence des affrontements intercommunautaires.

Hervé Wendyam Louankande estime que le vide créé par les forces étrangères a été comblé à un moment donné par Wagner, même si cette opération ne dispose pas d’effectifs comme celui de Barkhane ou de la Minusma.

Pour lui, les djihadistes ont surtout joué sur la psychologie après le départ de ces forces.

« Je pense que les djihadistes ont sûrement exploité ça psychologiquement, en se disant qu’une fois que vous avez des partenaires qui soutenaient l’action anti-terroriste ont plié bagage, le régime était seulement face à eux. Psychologiquement, ça leur a permis de dérouler leurs opérations, d’avoir un souffle nouveau et de lancer les hostilités », analyse-t-il.

Cela a permis au JNIM, selon lui, de ne plus se figer sur une partie du pays, mais de constituer de petites unités mobiles qui se déplacent très vite sur l’ensemble du territoire malien. Le groupe voulant à tout prix parer à la guerre dans les airs à travers les drones initiée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger avec l’aide de leurs nouveaux partenaires.

« Il y a certaines analyses qui comparent le Mali à ce qui s’est passé en Afghanistan ou dans d’autres théâtres. Mais moi, je pense que le JNIM, jusqu’à preuve du contraire, peut peut-être contrôler des villages, des zones rurales. Mais est-ce qu’ils auront cette capacité vraiment à contrôler et à prendre Bamako ? Je ne pense pas ».

Le Dr Seidik Abba, quant à lui, ne trouve pas que la montée en puissance des mouvements djihadistes, notamment du JNIM, soit la conséquence du départ des forces étrangères. En 2015, cite-t-il, ces forces étaient présentes au Mali lorsqu’il y a des attentats de grande ampleur comme celui contre Radisson Blu à Bamako et bien d’autres.

Selon lui, des facteurs endogènes qui militent en faveur de cette capacité à nuire du JNIM. « C’est le fait qu’on ait pas changé de paradigme. Avec les pouvoirs militaires et avant eux, on a continué à penser que la solution à la crise sécuritaire au Mali est une solution militaire ».

Le chômage des jeunes, la cohésion sociale, l’absence de l’Etat dans de nombreuses zones, poursuit-il, sont des facteurs exploités par le groupe djihadiste pour se renforcer dans le pays.

« Parce qu’on n’a pas corrigé cela, on se retrouve dans une situation où le JNIM est devenu très puissant sur le plan militaire. Parce qu’il a continué à avoir la capacité de recruter des jeunes exposés à la fragilité économique ».

Le président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel souligne que si on ne change pas la donne en intégrant une solution holistique plutôt qu’une solution militaire « qui se traduit par l’achat des armes, l’acquisition des drones, l’augmentation des effectifs des forces armées », cette expansion de JNIM ne fera que perdurer.

Tout en reconnaissant que la solution militaire n’est pas à balayer totalement du revers de la main, Dr Abba indique que les questions sociales sont des éléments importants qui pourraient amener à avoir un début de solution aux défis sécuritaires et à la crise multiforme qui menace le Sahel.

« Même si on ramène les forces internationales et on ne change pas de paradigme, on restera toujours dans la même situation », fait-il savoir, rappelant que la présence de ces forces n’avait pas empêcher la progression des djihadistes, notamment le centre du Mali que la menace a gagné malgré la présence des forces françaises dans le nord, une région qui n’avait pas aussi été épargnée.

La situation au Mali, un test pour l’AES ?

Des militants de l'AES brandissent des pancartes, l'une soutenant l'alliance du sahel, l'autre accusant la CEDEAO.
Crédit photo, EPA-EFE/REX/Shutterstock

 

L’expert souligne que la situation qui prévaut au Mali est un test pour l’Alliance des Etats du Sahel (AES) pour montrer sa solidarité, son efficacité et son utilité.

Cette organisation créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, tous dirigés par des militaires, qui sont sortis de la CEDEAO qui a vivement critiqué les coups d’Etat dans ces pays, doit prouver son efficacité.

Mais pour le moment, elle semble être limitée devant les actions du JNIM qui tente de déstabiliser un de ses membres.

L’organisation a annoncé, il n’y a pas longtemps, la création d’une force militaire commune de 5 000 hommes pour lutter contre les groupes armés et renforcer la sécurité de ses membres. La force, composée des soldats du Mali, du Niger et du Burkina Faso, va opérer de manière conjointe avec des moyens aériens, terrestres et des renseignements propres à l’AES, selon les trois pays.

« Cette force est en train de se mettre en place. Des officiers de liaison sont arrivés dans les différentes capitales, et la force est en train de se mettre en place progressivement », fait savoir l’universitaire.

Mais les choses ne se précisent pas encore. « Je pense que les pays de l’AES ont intérêt à faire vite. C’est une question d’agenda, mais il faut faire vite parce qu’il y a urgence aujourd’hui. Il faut aller vite pour que les programmes aux défis sécuritaires s’organisent », déclare Dr Abba.

Et d’ajouter : « La charte de Liptako-Gourma qui organise les pays de l’AES prévoit un élan de solidarité à la fois sur le plan militaire et économique. Je crois qu’ils sont attachés à le faire ».

Quant à M. Louankande, analysant que la force unifiée n’étant pas encore prête, il serait « dangereux » pour les deux autres pays d’envoyer des forces au Mali quand on sait qu’ils ont aussi des fronts ouverts sur leur territoire face aux djihadistes.

« Les groupes terroristes, leur logique, c’est de disperser les forces. Donc, une fois que vous massez les forces dans un front, ils en créent un nouveau. C’est ce qui peut se passer si les deux autres pays décident d’un soutien militaire. On peut s’attendre à ce qu’on ait un soutien symbolique, mais je ne m’attends pas non plus à un soutien d’envergure », dit-il.

Dans le cas d’espèce, Dr Seidik Abba indique que le soutien des pays membres de l’AES s’organise, même s’il y a une lenteur dans les opérations. Le Niger a décidé d’envoyer une centaine de citerne au Mali, selon lui. Sauf qu’il reste à savoir comment ces citernes vont arriver dans le pays

« Il a déjà été documenté que le Niger approvisionnait le Mali à partir de Gao, sur la frontière à partir de la zone de Tilabéri. Des trois pays de l’AES, le Niger est le seul producteur de pétrole. Le pays produit 120 mille barils par jour. Il a la capacité de répondre à la demande du marché malien ».

Une réunion s’est déjà tenue entre le ministre nigérien du Commerce et des opérateurs du secteur pétrolier.

Comment mettre fin à l’avancée du JNIM ?

Une foule de personnes dans une station d'essence en train d'attendre.
Crédit photo, Reuters

 

La menace djihadiste est prise au sérieux par toute la région, pas seulement l’AES. Et donc les deux blocs ont l’impérieux devoir de s’entendre pour lutter contre cette menace commune.

Car, pour Dr Seidik Abba, un effondrement du Mali aura sûrement des conséquences pour des pays comme le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire qui ne sont pas des pays de l’AES mais de la CEDEAO.

« Il est important qu’on puisse organiser la solidarité régionale. Il faut reprendre les discussions entre l’AES et la CEDEAO, notamment sur des questions d’intérêt commun comme la sécurité ».

Pour lui, la solidarité peut ne pas être forcément l’envoi des troupes au Mali, mais elle peut consister en la sécurisation des convois vers le Mali par des pays de la CEDEAO. Cela peut être un élan de solidarité sur le plan économique.

Le spécialiste de l’Institut de recherche sur la paix, la sécurité et le développement en Afrique, le Think tank basé en Hollande, Hervé Wendyam Louankande souligne que les trois pays ont fait un choix assumé de quitter la CEDEAO.

Mais l’organisation sous régionale ne doit pas pour autant les laisser s’effondrer devant les groupes djihadistes. Il en va de la stabilité de toute la région.

Par Isidore Kouwonou

BBC News Afrique

Source: https://www.bbc.com/afrique/articles/cyv86v0dvj3o

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