Pourquoi le Niger a suspendu des centaines d’ONG, et les conséquences sur les populations bénéficiaires
Le gouvernement militaire du Niger, par la voix du ministère de l’Intérieur, a ordonné la suspension de toutes les activités des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations qui n’ont pas publié leurs états financiers pour l’exercice 2024 au Journal officiel du pays.
Cette mesure, annoncée le 15 novembre dernier par la radio nationale, vise à réguler les interventions associatives au Niger, selon le ministère de l’Intérieur.
Dans un document officiel, adressé aux gouverneurs de régions et diffusé le 15 novembre dernier par la radio nationale, le ministère nigérien de l’Intérieur a ordonné la suspension des activités de toutes les ONG qui n’ont pas publié leurs états financiers de 2024 au Journal officiel du pays.
A ce document est joint une liste d’environ 140 organisations et associations nationales ou internationales, qui sont autorisées à poursuivre leurs activités dans le pays.
Parmi les ONG et associations nigériennes de développement ayant satisfait « à l’obligation de publication de leur état financier au Journal officiel du Niger », on peut noter, entre autres (nb – la liste n’est pas exhaustive) :
- ABC Ecologie,
- Association des Aquaculteurs (ADA),
- ADCB Zamentakewa,
- Agence du Développement Nouritterre (ADN),
- Agir pour plus d’Action de Développement au Niger (APPADN),
- Action pour la Gestion Intégrée des ressources (AGIR),
- Bien-être de la Femme et de l’Enfant au Niger (BEFEN),
- Comité d’Appui au Développement local (CADEL),
- Convoy of Hope,
- Coalition Universelle pour la Solidarité et l’Aide au Développement (CUSAD),
- Action Damien,
- Africa 70,
- Aide et Action,
- Alima,
- Centre Africa Obota Niger,
- Conseil Norvégien pour les Réfugiés,
- Coopération internationale (COOPI),
- Conseil Danois pour les Réfugiés (DRC),
- EDEN Foundation,
- Entraide Prostestante Suisse, etc.
Cette mesure intervient seulement deux semaines après un forum national consacré au fonctionnement des ONG et associations, tenu du 29 au 31 octobre à Tillabéri dans l’ouest du pays.
Au courant de ce forum, l’accent a été mis sur la transparence financière, la reddition régulière des comptes, la coordination des interventions et l’alignement sur les priorités nationales.
Dans cette perspective, le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Publique et de l’Administration du Territoire, le Général de Division Mohamed Toumba avait souligné lors de la clôture des travaux que ce forum devait « poser les jalons d’un nouveau cadre juridique et institutionnel, mieux adapté à l’encadrement du monde associatif, ainsi qu’une nouvelle éthique régissant les rapports entre l’État et les ONG ».
« se conformer ou disparaître »
En revanche, les organisations et associations non comprises sur cette liste disposent d’un délai de 60 jours pour se mettre en règle, selon les indications du ministère de l’Intérieur.
Actives dans les domaines de l’humanitaire, du développement rural, de la santé communautaire et de l’éducation, les ONG et les associations concernées par cette mesure ont souligné selon Radio France International (Rfi) que « ces suspensions compliqueront leur travail sur le terrain, déjà entravé par les difficultés d’accès à certaines régions du pays ».
Selon le média français, « les organisations internationales s’appuient régulièrement sur les acteurs locaux pour mener à bien leurs activités. »
La BBC a recueilli à Niamey les réactions de quelques responsables d’ONG et Associations suspendues pour non-respect des nouvelles mesures du ministère de l’intérieur.
Djibo Hama Abdoul Aziz, président de l’ONG LABIZE a signalé qu’il y avait « un manque d’informations ».
« L’arrêté appelant les ONG à faire un audit interne n’as pas été suffisamment divulgué. Plusieurs ONGs et Associations de développement se sont retrouvées sous-informées et n’ont pas obéi à cette loi », a-t-il indiqué en se réjouissant que « la suspension ne (soit) pas une fermeture ni une dissolution ».
Alhassane Kobo, trésorier général de la Coordination Nationale des Radios communautaires du Niger (CN-RACOM), a pour sa part signalé que « c’est une situation très difficile pour les acteurs des associations suspendues ».
« Au niveau de la CN-RACOM nous tenons actuellement une réunion du comité exécutif pour voir qu’est ce qui manque dans le dossier. Nous allons déposer et attendre la suite », a révélé M. Kobo.
Pour Idi Mamane Siradji, secrétaire général du Cadre de Concertation pour la Paix et la Sécurité au Sahel, la décision du ministère de l’Intérieur est tombé comme un couperet.
« L’annonce du ministère de l’intérieur, nous ne l’attendions pas, encore moins en fin d’année. Mais on n’y peut rien, on est obligé de se conformer », a-t-il souligné. A son avis, « il y a eu un déficit de communication au niveau du ministère », dès lors que « la nouvelle mesure prise depuis janvier n’a malheureusement pas été portée à la connaissance des acteurs de développement ».
Conscient qu’il est nécessaire de réguler le secteur, il a rappelé l’importance de la communication. Selon lui, « beaucoup de structures n’ont pas participé au forum qui était récemment organisé à Tillabéry parce qu’elles n’ont pas été informées et la question de la transparence financière et de la reddition régulière des comptes a été largement abordée ».
« Au niveau de notre organisation, nous sommes en train de nous conformer, parce que si on ne le fait pas, on risque de disparaitre », a affirmé Idi Mamane Siradji.
Kassoum Abdourahamane, travailleur humanitaire et analyste des questions socio-politiques et sécuritaires, estime qu’il y a une exigence de redevabilité des organisations vis-à-vis des bénéficiaires et de l’Etat du Niger.
« Normalement, les agréments qui sont donnés et les protocoles d’accords-types qui sont signés par toutes ces organisations sont une forme de contrat social entre elles et l’Etat du Niger, qui exige aussi une certaine redevabilité, que ce soit vis-à-vis des bénéficiaires et vis-à-vis de l’Etat », dit-il.
« Entre autres exigences, il s’agit de déposer les rapports financiers de l’exercice de l’année précédente et que ça soit publié au journal officiel, que ça soit visible par tous les Nigériens et que l’Etat puisse avoir aussi accès aux informations financières et des informations par rapport aux activités qui ont été faites », explique-t-il.
Selon lui, dès lors que des ressources sont mobilisées au nom des communautés, l’Etat doit garantir leur utilisation à bon escient.
« La meilleure manière de le garantir, c’est de voir le bilan financier et le bilan des activités pour savoir ce qui a été fait. C’est tout à fait normal. Il y a ce besoin de discipliner les organisations dont certaines essayent de jouer le rôle de l’Etat ou d’avoir un comportement supra étatique », confie M. Kassoum.
Les bénéficiaires mis devant le fait accompli
La suspension des ONG et associations qui n’ont pas présenté leur état financier pour l’année 2024 a des conséquences imprévues sur certains citoyens qui bénéficiaient de l’appui de ces organisations.
Ce cas raconté par Mme Zoubeirou Rahina en est une parfaite illustration.
« L’enfant de ma cousine soufre d’une hydrocéphalie et devait subir une intervention avec l’appui financier d’une ONG. Elle et son mari ont quitté leur village à quelques 500 km pour venir à Zinder où leur enfant devait subir des soins », raconte-t-elle.
« C’est une fois à Zinder qu’ils apprennent que l’intervention n’aura pas lieu à la date indiquée puisque les activités de l’ONG ont été suspendues. Ils vont devoir retourner et revenir quand tout sera dans l’ordre. Vous voyez ce que ça fait », se désole-t-elle.
Par ailleurs, Rakia Abdoulaye, présidente du groupement Wafakay, qui s’active dans le domaine maraicher, confie à la BBC son désarroi. « Notre groupement dispose d’une parcelle maraichère que nous avons aménagée pour les cultures de contre saison. Nous sommes accompagnés par une association à travers un projet qu’elle met en œuvre depuis deux ans. Alors que nous devons recevoir les intrants et les semis et un appui financier pour exploiter notre champ et contribuer à la lutte contre l’insécurité alimentaire, on nous apprend que les activités des ONG sont suspendues », explique-t-elle tout en espérant que « cette situation des ONG ne va pas perdurer ».
A la fin de l’année 2024, plus de 3300 ONG internationales et associations locales ont été recensées par le ministère de l’Intérieur du Niger.
