Des experts de l’ONU dénoncent un profilage racial de la part des forces de l’ordre en Suisse
Des experts indépendants de l’ONU ont dénoncé, lundi, un racisme systémique en Suisse, et se sont inquiétés de la situation des droits de l’homme des personnes d’ascendance africaine dans ce pays européen.
Les membres du groupe « sont très inquiets » de l’attitude des forces de l’ordre et du système judiciaire, a indiqué Catherine Namakula, Présidente du Groupe de travail de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine, qui faisait le point sur la visite des experts en Suisse en janvier dernier.
« Nous sommes profondément préoccupés par le traitement des personnes d’ascendance africaine par les forces de l’ordre et le système judiciaire en Suisse », a-t-elle dit devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Selon les experts, les opérations policières incluent des arrestations brutales, le profilage racial, des traitements dégradants et le renforcement des stéréotypes raciaux négatifs dans les espaces publics.
« Les victimes sont déconseillées de porter plainte, ce qui entraîne souvent des représailles qui sont soutenues par les systèmes judiciaires », a insisté la Présidente du Groupe de travail de l’ONU.
Des contrôles de police, des fouilles, des insultes et l’humour racistes décrits comme une routine
En outre, les garçons et les hommes d’origine africaine qui ne font pas l’objet d’une accusation pénale ou d’une suspicion individuelle ont systématiquement signalé que la police renforçait les stéréotypes raciaux négatifs dans l’espace public.
« Le profilage racial généralisé, les contrôles de police, les fouilles invasives dans la rue, les fouilles à nu publiques, les fouilles anales, les insultes et l’‘humour’ racistes, la violence et l’attente de l’impunité ont été décrits comme une routine », détaille le rapport soumis au Conseil.
Par ailleurs, les personnes d’ascendance africaine sont victimes d’une importante discrimination raciale structurelle et d’un racisme anti-Noir, qui ont de « graves répercussions sur leurs droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques ».
De plus, les demandeurs d’asile et les réfugiés d’ascendance africaine ont fait état d’un racisme et d’une xénophobie intersectionnels, notamment « un traitement dur et racialisé de la part de la police et du personnel pénitentiaire, parfois en toute impunité ».
Plus largement, le rapport montre que le racisme anti-Noir est encore minimisé ou attribué à la susceptibilité de ses victimes en Suisse.
« Même les personnes d’ascendance africaine nées/naturalisées en Suisse sont présumées être « autres » », a indiqué le document. A ce sujet, les experts rappellent qu’en 2020, 6 à 11% de la population suisse a montré « des attitudes hostiles envers les musulmans, les Noirs et les Juifs ».
Des stéréotypes négatifs persistent sur les personnes d’ascendance africaine
En outre, des stéréotypes négatifs persistent. Les personnes d’ascendance africaine sont ainsi « dépeintes comme des trafiquants de drogue, des parasites sociaux ou des demandeurs d’asile indésirables ». « Ces images sont renforcées par des campagnes politiques, le profilage racial et l’abus d’autorité, notamment lorsque la police s’appuie sur des stéréotypes raciaux négatifs et les renouvelle », fustigent les experts.
Le Groupe de travail de l’ONU avait déjà estimé aussi en janvier que « la richesse moderne de la Suisse est directement liée à l’héritage de l’esclavage ». Le rapport mentionne toutefois de nombreuses avancées, notamment dans le soutien aux initiatives qui luttent contre le racisme dans le pays.
Parmi les recommandations, le Groupe de travail souhaite des investigations sur tous les décès observés en détention ou dans les centres d’accueil des requérants d’asile. Les experts appellent à des mécanismes indépendants de plainte et d’investigations pour les victimes.
« Nous recommandons également au gouvernement de prendre des mesures pour évaluer, reproduire et étendre les initiatives locales et internationales efficaces de lutte contre le racisme dans les cantons, dans le cadre d’une prise de conscience nationale du racisme systémique et de la discrimination raciale individuelle », préconisent les experts.
Les conclusions du Groupe ne « sont pas représentatifs de la situation », selon la Suisse
Autres demandes, les policiers devaient être munis de caméras, dont les images devraient être rendues publiques. Une loi contre le profilage racial doit être approuvée, soulignent les experts.
Les autorités doivent reconnaître « un racisme systémique » en Suisse, affirment-ils, insistant sur un renforcement des mesures de reddition des comptes.
Face à ce sombre tableau décrit sur le racisme en Suisse, Berne estime que de nombreuses conclusions générales semblent « se baser sur un ou quelques cas individuels seulement ». Ceux-ci ne « sont pas représentatifs de la situation », a affirmé devant le Conseil des droits de l’homme l’Ambassadeur suisse à l’ONU à Genève Jürg Lauber.
Pour la délégation suisse, « le racisme et la discrimination raciale, y compris à l’égard des personnes d’ascendance africaine, sont (toutefois) des problèmes auxquels il faut s’attaquer d’urgence ». Une façon de rappeler que la dimension structurelle du racisme, dénoncée par le Groupe de travail de l’ONU doit être davantage explorée.
Outre la situation en Suisse, la situation des droits de l’homme des personnes d’ascendance africaine reste une « préoccupation urgente », plus de vingt ans se sont écoulés depuis l’adoption de la Déclaration et du Programme d’action de Durban.
Plusieurs actes racistes et violents dans le monde
« Le cri mondial pour mettre fin à la discrimination raciale systémique à laquelle sont confrontés les hommes, les femmes et les enfants d’ascendance africaine dans tous les domaines de la vie est toujours aussi déchirant », a déclaré Catherine Namakula, Présidente du Groupe de travail de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine.
Le Groupe de travail s’est dit « scandalisé par la persistance d’incidents de violence à motivation raciale contre les personnes d’ascendance africaine ». Rien que cette année, il y a eu plusieurs actes racistes et violents.
Les experts ont notamment cité le cas de ce suprémaciste blanc, qui a avoué, le 14 mai 2022 à Buffalo, New York, avoir tiré sur 13 personnes dans un magasin, tuant 10 personnes d’ascendance africaine. Au Brésil, le 24 mai 2022, au moins 26 personnes ont été tuées lors d’une descente de police à Rio de Janeiro. « La plupart des victimes identifiées étaient d’origine africaine », a fustigé Mme Namakula.
Le 24 juin 2022, au moins 23 Africains ont été tués en tentant de franchir la frontière entre l’Espagne et le Maroc à Melilla.
« Deux ans se sont déjà écoulés depuis le meurtre de George Floyd par la police aux États-Unis, et qui a déclenché des manifestations mondiales contre le racisme. Malgré l’attention mondiale portée à ce problème, l’usage excessif de la force et les meurtres de personnes d’origine africaine par les forces de l’ordre se poursuivent en toute impunité dans de nombreux pays », a conclu la Présidente du Groupe de travail.
NOTE :
Les rapporteurs spéciaux, les experts indépendants et les groupes de travail font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, le plus grand corps d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations Unies, sont le nom général des mécanismes indépendants d’enquête et de surveillance du Conseil des droits de l’homme qui traitent soit de situations nationales spécifiques, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.
In. https://news.un.org/fr/story/2022/10/1128482?utm