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Abdoulaye Bademba Diallo: La responsabilité de l’État du fait du service public de la sécurité en Guinée: cas des kidnappings et disparitions forcées.

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La sécurité publique et la moralité publique sont deux piliers fondamentaux qui sous-tendent l’ordre social dans tout État moderne. La sécurité publique, en tant qu’objectif régalien, consiste à protéger les individus, leurs biens et les institutions contre toute forme de menace ou d’agression. La moralité publique, pour sa part, reflète les valeurs et principes collectifs qui régissent la vie en société.

Ensemble, ces deux notions incarnent la mission de l’État, qui doit veiller à maintenir la paix sociale, tout en garantissant les libertés individuelles. Ce devoir, à la fois juridique et politique, constitue une condition essentielle de la légitimité de tout gouvernement. Lorsqu’un État ne parvient pas à assumer pleinement cette responsabilité, notamment dans des situations de disparitions forcées, de crimes ou d’insécurité généralisée, sa crédibilité est gravement remise en cause.

Le service public de la sécurité constitue une mission régalienne fondamentale pour l’Etat guinéen, consacrée d’ailleurs par la théorie de l’État moderne.

Juridiquement, cette obligation découle du contrat social qui justifie l’existence même de l’État. En vertu de l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la sûreté figure parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme. En droit positif, des dispositions similaires se retrouvent dans les constitutions modernes, y compris celles de la République de Guinée, qui garantissent la sécurité des citoyens. L’administration, en tant qu’organe exécutif de l’État, doit mobiliser les moyens humains, matériels et institutionnels nécessaires pour protéger la population contre les menaces internes et externes. L’arrêt Ville de Castelnaudary (CE, 1932) établit qu’aucune délégation de cette mission régalienne à des tiers privés ne peut être envisagée, confirmant ainsi la nature exclusivement étatique de cette responsabilité.

Sur le plan politique, assurer la sécurité publique est une condition sine qua non de la légitimité de tout gouvernement. Un État incapable de garantir la sécurité perd la confiance de ses administrés et s’expose à une crise de légitimité. Thomas Hobbes, dans Le Léviathan, souligne que l’abandon de l’état de nature repose sur la promesse de sécurité en échange de l’autorité conférée à l’État. Dès lors, le gouvernement est tenu d’établir des institutions fiables, telles que des forces de police, et de les doter de moyens pour prévenir, dissuader et réprimer les atteintes à l’ordre public. Dans une affaire le Conseil d’État a mis en lumière l’obligation pour l’administration de garantir un équilibre entre ordre public et droits fondamentaux, confirmant que cette responsabilité de protection ne peut être diluée.

En tout état de cause, l’absence de sécurité engage directement la responsabilité de l’État guinéen pour faute ou carence. En droit administratif, l’arrêt Couitéas (CE, 1923) illustre cette responsabilité lorsque l’administration échoue à exécuter des décisions judiciaires pour des raisons de sécurité publique. Il appartient à l’administration guinéenne d’user de ses pouvoirs en matière de maintien de l’ordre pour assurer la sécurité et la tranquillité publiques. Pourtant les enlèvements forcés, sont des actes d’insécurité et de troubles à l’ordre publique, parce que la moralité publique est un élément de l’ordre public.

De même, les affaires Kammerer (CE, 2007) et Ministre de l’Intérieur c/ Commune de Saint Florent (CE, 2000) confirment que la carence des autorités publiques face à leurs obligations sécuritaires peut donner lieu à une réparation pour préjudice subi par les administrés. En d’autres termes le gouvernorat doit assurer la protection de tous les citoyens de Conakry, à défaut, sa responsabilité est de mise, elle peut être pour faute ou sans faute. Ainsi, tout gouvernement qui échoue dans cette mission fondamentale viole non seulement ses engagements juridiques, mais compromet également sa crédibilité politique et morale.

En droit, la responsabilité de l’État dans le service public de la sécurité est indissociable de son rôle régalien. Lorsqu’il s’agit de disparitions forcées ou d’incapacité à protéger les citoyens, l’État est tenu de répondre de ses manquements. En vertu de principes généraux du droit international, tels que la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui stipule dans son article premier que « nul ne sera soumis à une disparition forcée. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée ».

Un État en tout cas effectif, doit garantir le droit à la vie et à la sécurité de chacun, ainsi qu’assurer des enquêtes efficaces pour retrouver les disparus. L’absence d’action ou l’échec à sécuriser les citoyens fait peser une présomption de responsabilité sur l’État jusqu’à preuve du contraire. En droit administratif, ce principe est renforcé par l’obligation de résultat qui incombe à l’administration dans la gestion des missions régaliennes. Dès lors que l’État n’a pas rempli son devoir, sa responsabilité est engagée, non seulement sur le plan moral et politique, mais également au regard du droit administratif. Cette responsabilité implique des réparations pour les préjudices subis et une révision des mécanismes institutionnels en place afin de prévenir de tels échecs.

Abdoulaye Bademba Diallo
Juriste publiciste et écrivain essayiste

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