Accord maritime avec l’Éthiopie : le Somaliland sur la voie de la reconnaissance internationale ?
En offrant à l’Éthiopie un accès maritime sur son territoire, la République autoproclamée du Somaliland espère obtenir la reconnaissance officielle de son existence par son influent voisin. Un pari incertain mais audacieux pour cette région autonome, qui a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991, mais n’est pour l’heure reconnue par aucun État.
La Somalie ne décolère pas depuis la signature, le 1er janvier, d’un « mémorandum d’accord » maritime entre l’Éthiopie et la république autoproclamée du Somaliland.
Ce territoire, qui a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991 mais n’est pas reconnu internationalement, compte octroyer à l’Éthiopie 20 km de ses côtes lui offrant ainsi un accès direct à la mer, pour une durée de 50 ans. En réaction, Mogadiscio a dénoncé une « violation flagrante de son intégrité territoriale » jurant de combattre ce texte « illégal ».
Le Somaliland, en quête de légitimité depuis sa déclaration d’indépendance, espère pour sa part obtenir la reconnaissance officielle de son voisin éthiopien, qui s’est engagé à mener « une évaluation approfondie » sur la question. Il devrait par ailleurs obtenir des parts d’Ethiopian Airlines, la plus grande compagnie aérienne d’Afrique.
État de facto
Territoire de 285 000 km2 peuplé aujourd’hui de 4,5 millions d’habitants, le Somaliland était jusqu’en 1960 une colonie britannique, voisine de la Somalie italienne. Au moment de leurs indépendances, les deux territoires ont fusionné pour former la Somalie. En 1991, alors que le pays est plongé depuis une décennie dans une guerre civile meurtrière, un groupe politico-militaire du nord, le Mouvement national somalien (SNM), décrète l’indépendance du territoire.
Celui-ci s’est depuis doté de ses propres institutions ainsi que d’une constitution, adoptée par référendum en 2001. Cet État de facto imprime sa propre monnaie et délivre ses passeports mais n’est pas reconnu par la communauté internationale. La Somalie le considère comme faisant partie de son territoire.
Velléités loyalistes et crise politique
Le Somaliland est souvent présenté comme un État plus stable que la Somalie, ravagée par des décennies de guerre civile et de rébellion islamiste. Il est néanmoins traversé par d’importantes dissensions internes.
En février 2023, de violents affrontements ont éclaté entre les forces séparatistes et des loyalistes défendant l’unité de la Somalie à Las Anod, dans le sud du territoire. Des combats qui ont fait plus de 100 morts et quelque 600 blessés, selon Amnesty International.
« Les forces de sécurité du Somaliland ont bombardé la ville sans discrimination, endommageant des hôpitaux, des écoles et des mosquées, tuant et blessant des civils et déplaçant des dizaines de milliers de personnes » peut-on lire dans un rapport de l’organisation.
Quelques mois plus tôt, l’élection présidentielle, censée avoir lieu en novembre 2022, avait été repoussée par la commission électorale et le mandat du président étendu pour une durée de deux ans. Plusieurs partis d’opposition avaient alors affirmé ne plus reconnaitre la légitimité du gouvernement.
Dans ce contexte de fortes tensions internes, la reconnaissance de l’Éthiopie représenterait une victoire salutaire pour le pouvoir en place.
« Le président somalilandais, Muse Bihi Abdi, est contesté, il sait qu’il a une légitimité fragile » explique Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au sein du CNRS, spécialiste de la Corne de l’Afrique. « Cette reconnaissance officielle auprès du président éthiopien, Abiy Ahmed, pourrait l’aider à asseoir son pouvoir tout en lui offrant d’importants débouchés économiques. Car le Somaliland possède des ressources que sont ses ports mais également des richesses naturelles encore peu exploitées« .
Le pari de la reconnaissance
En 2017, le Somaliland a signé le plus gros contrat de son histoire avec un investisseur étranger, l’entreprise émirati DP World, portant sur la modernisation et l’agrandissement du port de Berbera, sa capitale économique, dont la nouvelle zone de commerce a été inaugurée en mars dernier.
En janvier 2023, les autorités ont confirmé la découverte d’importants gisements de pétrole près de la frontière éthiopienne, une zone où l’entreprise britannique Genel Energy s’est engagée à creuser des forages.
Le Somaliland, dont la population figure parmi les plus pauvres au monde, reste néanmoins largement isolé sur la scène internationale, du fait de sa non-reconnaissance. Un isolement qu’espère rompre son président Muse Bihi Abdi, par le biais du nouvel accord avec Addis-Abeba.
« Si l’Éthiopie, pays parmi les plus peuplés d’Afrique, qui n’a jamais été colonisé et où siège l’Union africaine, reconnaît le Somaliland, un certain nombre de pays qui ne voulaient pas être les premiers vont suivre » analyse le chercheur Roland Marchal, spécialiste de la Corne de l’Afrique. « Le calcul du président somalilandais n’est pas sans fondement, le problème c’est que, pour l’heure, ce qui est écrit ne correspond pas à ce qui est dit« .
Engagement encore flou
Dans un communiqué mercredi, le gouvernement éthiopien s’est montré bien moins catégorique, affirmant qu’il allait mener « une évaluation approfondie en vue de prendre position sur les efforts du Somaliland pour obtenir une reconnaissance » internationale.
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