Cameroun : le changement est-il possible ?
Au début de la semaine, Paul Biya a fait une rare apparition publique lors de son premier grand rassemblement dans la ville de Maroua, dans l’extrême nord du pays.
Il s’y est engagé à renforcer la sécurité régionale, à lutter contre le chômage des jeunes et à moderniser les infrastructures.
Pour Paul Biya, remporter un nouveau mandat ne consiste pas seulement à rester au pouvoir, mais aussi à prouver à l’opinion publique nationale et internationale que son régime est toujours légitime.
Son adversaire le plus visible, Maurice Kamto, a été disqualifié de la course après que l’organisme électoral, ELECAM, a déclaré que son parti avait enfreint les règles de nomination. Les détracteurs ont critiqué cette décision, la qualifiant de motivée par des considérations politiques et de nouveau coup porté à l’espoir d’une élection libre, équitable et transparente.
« La confiance du public reste très faible », dit Violet Fokum, analyste camerounaise spécialisée dans la gouvernance et les élections.
« Les citoyens considèrent toujours ce processus comme plus symbolique que comme une véritable compétition électorale qui pourrait déboucher sur un changement », déclare -t-elle à la DW.
Le Cameroun est-il prêt pour le changement ?
L’analyste estime que le retrait soudain des figures de l’opposition, Akere Muna et Ateki Seta, qui ont tous deux récemment quitté la course pour soutenir l’homme politique de longue date, Bello Bouba Maigari, a suscité « beaucoup de sentiments mitigés » quant à la possibilité d’un véritable changement.
Akere Muna a annoncé son retrait le 28 septembre, apportant son soutien à M. Maigari, peu après que M. Seta se soit également retiré pour soutenir cet homme de 78 ans, qui a déjà occupé le poste de Premier ministre.
Alors que les tractations continuent sur le plan politique, les Camerounais, eux, ont des attentes. « Nous espérons simplement que les choses s’améliorent, car la situation du pays devient de plus en plus difficile chaque jour », a déclaré à la DW un Camerounais de la capitale Yaoundé, qui a souhaité rester anonyme.
« Nous espérons que celui qui remportera les élections se penchera sur la situation et les problèmes auxquels les citoyens sont confrontés. C’est la seule raison pour laquelle nous devons voter », a également déclaré à la DW une femme d’affaires qui a aussi choisi de rester anonyme.
« Nous avons mené de nombreuses actions de sensibilisation pour inciter les gens à s’inscrire sur les listes électorales », a expliqué à la DW, l’analyste Violet Fokum, soulignant « une augmentation notable du nombre de personnes inscrites ».

Préoccupations sécuritaires pour les régions anglophones
Le scrutin de ce dimanche se heurte à des craintes pratiques. Depuis des années, les pressions faites par les séparatistes dans les régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun, empêchent les enfants d’aller à l’école. Aujourd’hui, cette crise séparatiste menace le scrutin.
« Compte tenu de l’intensité de la situation, je commence à me demander si nous pourrons sortir le jour des élections pour voter », a déclaré Violet Fokum.
« Comment se rendre au bureau de vote pour voter ? Avec les bouclages, l’interdiction de circuler en voiture, etc, comment se rendre au bureau de vote pour voter ? », s’interroge-t-elle.
La faiblesse de l’opposition est un autre thème récurrent. Lorsqu’on lui demande si les candidats sont suffisamment forts pour détrôner Paul Biya, Mme Fokum répond sans détour : « Je dirais que non, je ne pense pas qu’ils soient assez forts. »
Elle a souligné la politique transactionnelle qui sous-tend les accords récents, notant que « Akere Muna et Ateki [donnent] leurs voix à Maigari à condition qu’ils obtiennent un poste ministériel ou celui de Premier ministre s’il remporte la présidence ».
Selon elle, ce type de marchandage renforce l’idée que « les assoiffés de pouvoir […] veulent simplement satisfaire leurs propres intérêts, plutôt que de représenter de manière substantielle les intérêts du peuple ».
Les femmes et les jeunes pourraient décider du résultat
Malgré ce sombre panorama, une nouvelle énergie est perceptible chez les jeunes électeurs et les électrices. Des candidats comme Hermine Patricia Ndam Njoya symbolisent cette impulsion : une femme qui tente de percer dans un système politique dominé par les hommes, et de s’adresser aux jeunes électeurs urbains. Cependant, elle se heurte à des obstacles redoutables, allant du financement limité de sa campagne à la maigre couverture médiatique nationale.
L’entrepreneuse camerounaise Rebecca Enonchong a déclaré que l’état d’esprit du public à l’approche du scrutin ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait connu auparavant, décrivant une volonté générale et déterminée de changement qui traverse toute la société. « Je n’ai jamais vu une telle énergie », dit Rebecca Enonchong à la DW, ajoutant qu’elle était très palpable.
« On sent vraiment une énergie très différente. Les Camerounais en ont assez, ils en ont marre, ils veulent du changement et ils le veulent maintenant. Cela concerne toutes les couches de la société, des enfants des rues jusqu’aux grands hommes d’affaires et aux hauts fonctionnaires. Bien sûr, ils ne le diront pas ouvertement, mais tout le monde en a assez et n’est pas prêt à supporter sept années supplémentaires de Paul Biya« , explique-t-elle.
Violet Fokum fait remarquer que, bien que les femmes représentent environ 51 % de la population camerounaise, Ndam Njoya ne bénéficie pas du soutien des femmes, alors qu’elle est la seule candidate féminine. « Peut-être que les stratégies qu’elle utilise ne sont pas assez efficaces, ou que nous ne sommes pas encore conscients de la nécessité de la soutenir, ou peut-être que son programme n’est pas assez clair », ajoute Violet Fokum.

Inégalité entre les candidats
Selon les analystes, la campagne de Ndam Njoya montre non seulement un désir profond de politique inclusive, mais aussi la persistance des inégalités structurelles. Sans accès égal aux ressources ni temps d’antenne équitable, les candidats de l’opposition mènent rarement des campagnes qui dépassent le stade symbolique.
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