Contre La sansure

Comment le JNIM veut pousser le Mali à l’arrêt et comment en est-on arrivé là ?

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L’étau se resserre-t-il autour de Bamako ? Les attaques des camion-citerne par le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), coalition affiliée à Al-Qaïda, dirigé par Iya Ag Ghaly autour de la capitale malienne inquiète de nombreux observateurs.

L’enlèvement mardi de deux commerçants égyptiens à l’ouest de Bamako, l’attaque du convoi de carburant le même jour à 50 km de Kati, proche de la capitale, véritable base de la junte au pouvoir depuis plus de 5 ans, ajoutés aux nombreuses attaques précédentes font craindre le pire pour ce pays.

« La poursuite du conflit entre le gouvernement malien et les terroristes accroit l’imprévisibilité de la situation à Bamako », ont indiqué mardi les Etats-Unis qui ont demandé à leurs ressortissants de quitter « immédiatement, par vol commercial, le Mali ».

C’est la première fois que Washington émet une telle alerte dans ce pays où le blocus du groupe djihadiste sur le carburant fait tourner au ralenti l’économie et rend le quotidien des habitants extrêmement difficile depuis plus de deux semaines, le gouvernement ayant été contraint de fermer les écoles et universités.

Selon le ministre de l’Education nationale, Dr Amadou Sy Savane, le déplacement du personnel éducatif et des étudiants a été affectés par le blocus de Jnim.

Le groupe djihadiste a réussi à étaler ses opérations sur l’ensemble du territoire malien, surtout ces derniers temps avec le blocus sur le carburant.

Le JNIM a « développé une capacité opérationnelle et logistique ainsi qu’une présence sur l’ensemble du territoire qui lui permet de lancer ces genres d’opération », selon Dr Seidik Abba, Universitaire et journaliste, président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (CIRES), un Think Tank basé à Paris.

Il ajoute que le groupe est très présent sur les axes routiers de ravitaillement venant de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, et « il a des capacités logistiques qui lui permettent d’entraver l’approvisionnement en carburant du Mali, particulièrement de sa capitale ».

Cependant, le Dr Abba, également auteur du livre « Mali/Sahel : notre Afghanistan a nous ? » souligne que cette opération du JNIM pourrait se retourner contre lui de par son impopularité.

« Comme on le voit, la population malienne, notamment celle des grandes villes est totalement excédée par cette absence du carburant et ça peut créer le rejet du JNIM lui-même en tant qu’acteur », dit-il, faisant remarquer que l’opération ne nuit pas seulement aux autorités militaires.

Il est vrai que les actions du JNIM ont pour seul but de nuire au pouvoir militaire, mais c’est la population qui en pâtit le plus.

« C’est possible que les populations tiennent pour responsables le pouvoir. Mais celui qui va être le plus grand responsable, c’est le JNIM dont le seul agenda est de nuire économiquement au Mali, de créer les conditions d’un chaos et de déstabilisation », affirme Dr Seidik Abba.

Le départ de la Minusma et des forces françaises a-t-il favorisé cette situation ?

Des soldats maliens montrent le drapeau du groupe djihadiste, JNIM après l'attaque de Radisson Blu à Bamako.
Dr Seidik Abba indique qu’en 2015 les forces étrangères étaient présentes au Mali lorsqu’il y a des attentats de grande ampleur comme celui contre Radisson Blu à Bamako et bien d’autres. Crédit photo, Reuters

Beaucoup ont craint une situation chaotique non seulement au Mali, mais aussi dans les deux autres pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) avec le départ des forces internationales, notamment la force française, Barkhnane, le Minusma et les forces de l’Union européenne.

Certains analystes croient savoir que la conséquence est une dégradation de la situation sécuritaire, la réorganisation des groupes armés dans le pays et la résurgence des affrontements intercommunautaires.

Hervé Wendyam Louankande estime que le vide créé par les forces étrangères a été comblé à un moment donné par Wagner, même si cette opération ne dispose pas d’effectifs comme celui de Barkhane ou de la Minusma.

Pour lui, les djihadistes ont surtout joué sur la psychologie après le départ de ces forces.

« Je pense que les djihadistes ont sûrement exploité ça psychologiquement, en se disant qu’une fois que vous avez des partenaires qui soutenaient l’action anti-terroriste ont plié bagage, le régime était seulement face à eux. Psychologiquement, ça leur a permis de dérouler leurs opérations, d’avoir un souffle nouveau et de lancer les hostilités », analyse-t-il.

Cela a permis au JNIM, selon lui, de ne plus se figer sur une partie du pays, mais de constituer de petites unités mobiles qui se déplacent très vite sur l’ensemble du territoire malien. Le groupe voulant à tout prix parer à la guerre dans les airs à travers les drones initiée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger avec l’aide de leurs nouveaux partenaires.

« Il y a certaines analyses qui comparent le Mali à ce qui s’est passé en Afghanistan ou dans d’autres théâtres. Mais moi, je pense que le JNIM, jusqu’à preuve du contraire, peut peut-être contrôler des villages, des zones rurales. Mais est-ce qu’ils auront cette capacité vraiment à contrôler et à prendre Bamako ? Je ne pense pas ».

Le Dr Seidik Abba, quant à lui, ne trouve pas que la montée en puissance des mouvements djihadistes, notamment du JNIM, soit la conséquence du départ des forces étrangères. En 2015, cite-t-il, ces forces étaient présentes au Mali lorsqu’il y a des attentats de grande ampleur comme celui contre Radisson Blu à Bamako et bien d’autres.

Selon lui, des facteurs endogènes qui militent en faveur de cette capacité à nuire du JNIM. « C’est le fait qu’on ait pas changé de paradigme. Avec les pouvoirs militaires et avant eux, on a continué à penser que la solution à la crise sécuritaire au Mali est une solution militaire ».

Le chômage des jeunes, la cohésion sociale, l’absence de l’Etat dans de nombreuses zones, poursuit-il, sont des facteurs exploités par le groupe djihadiste pour se renforcer dans le pays.

« Parce qu’on n’a pas corrigé cela, on se retrouve dans une situation où le JNIM est devenu très puissant sur le plan militaire. Parce qu’il a continué à avoir la capacité de recruter des jeunes exposés à la fragilité économique ».

Le président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel souligne que si on ne change pas la donne en intégrant une solution holistique plutôt qu’une solution militaire « qui se traduit par l’achat des armes, l’acquisition des drones, l’augmentation des effectifs des forces armées », cette expansion de JNIM ne fera que perdurer.

Tout en reconnaissant que la solution militaire n’est pas à balayer totalement du revers de la main, Dr Abba indique que les questions sociales sont des éléments importants qui pourraient amener à avoir un début de solution aux défis sécuritaires et à la crise multiforme qui menace le Sahel.

« Même si on ramène les forces internationales et on ne change pas de paradigme, on restera toujours dans la même situation », fait-il savoir, rappelant que la présence de ces forces n’avait pas empêcher la progression des djihadistes, notamment le centre du Mali que la menace a gagné malgré la présence des forces françaises dans le nord, une région qui n’avait pas aussi été épargnée.

La situation au Mali, un test pour l’AES ?

Des militants de l'AES brandissent des pancartes, l'une soutenant l'alliance du sahel, l'autre accusant la CEDEAO.
Crédit photo, EPA-EFE/REX/Shutterstock

 

L’expert souligne que la situation qui prévaut au Mali est un test pour l’Alliance des Etats du Sahel (AES) pour montrer sa solidarité, son efficacité et son utilité.

Cette organisation créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, tous dirigés par des militaires, qui sont sortis de la CEDEAO qui a vivement critiqué les coups d’Etat dans ces pays, doit prouver son efficacité.

Mais pour le moment, elle semble être limitée devant les actions du JNIM qui tente de déstabiliser un de ses membres.

L’organisation a annoncé, il n’y a pas longtemps, la création d’une force militaire commune de 5 000 hommes pour lutter contre les groupes armés et renforcer la sécurité de ses membres. La force, composée des soldats du Mali, du Niger et du Burkina Faso, va opérer de manière conjointe avec des moyens aériens, terrestres et des renseignements propres à l’AES, selon les trois pays.

« Cette force est en train de se mettre en place. Des officiers de liaison sont arrivés dans les différentes capitales, et la force est en train de se mettre en place progressivement », fait savoir l’universitaire.

Mais les choses ne se précisent pas encore. « Je pense que les pays de l’AES ont intérêt à faire vite. C’est une question d’agenda, mais il faut faire vite parce qu’il y a urgence aujourd’hui. Il faut aller vite pour que les programmes aux défis sécuritaires s’organisent », déclare Dr Abba.

Et d’ajouter : « La charte de Liptako-Gourma qui organise les pays de l’AES prévoit un élan de solidarité à la fois sur le plan militaire et économique. Je crois qu’ils sont attachés à le faire ».

Quant à M. Louankande, analysant que la force unifiée n’étant pas encore prête, il serait « dangereux » pour les deux autres pays d’envoyer des forces au Mali quand on sait qu’ils ont aussi des fronts ouverts sur leur territoire face aux djihadistes.

« Les groupes terroristes, leur logique, c’est de disperser les forces. Donc, une fois que vous massez les forces dans un front, ils en créent un nouveau. C’est ce qui peut se passer si les deux autres pays décident d’un soutien militaire. On peut s’attendre à ce qu’on ait un soutien symbolique, mais je ne m’attends pas non plus à un soutien d’envergure », dit-il.

Dans le cas d’espèce, Dr Seidik Abba indique que le soutien des pays membres de l’AES s’organise, même s’il y a une lenteur dans les opérations. Le Niger a décidé d’envoyer une centaine de citerne au Mali, selon lui. Sauf qu’il reste à savoir comment ces citernes vont arriver dans le pays

« Il a déjà été documenté que le Niger approvisionnait le Mali à partir de Gao, sur la frontière à partir de la zone de Tilabéri. Des trois pays de l’AES, le Niger est le seul producteur de pétrole. Le pays produit 120 mille barils par jour. Il a la capacité de répondre à la demande du marché malien ».

Une réunion s’est déjà tenue entre le ministre nigérien du Commerce et des opérateurs du secteur pétrolier.

Comment mettre fin à l’avancée du JNIM ?

Une foule de personnes dans une station d'essence en train d'attendre.
La menace djihadiste est prise au sérieux par toute la région, pas seulement l’AES. Et donc les deux blocs ont l’impérieux devoir de s’entendre pour lutter contre cette menace commune. Crédit photo,Reuters

Car, pour Dr Seidik Abba, un effondrement du Mali aura sûrement des conséquences pour des pays comme le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire qui ne sont pas des pays de l’AES mais de la CEDEAO.

« Il est important qu’on puisse organiser la solidarité régionale. Il faut reprendre les discussions entre l’AES et la CEDEAO, notamment sur des questions d’intérêt commun comme la sécurité ».

Pour lui, la solidarité peut ne pas être forcément l’envoi des troupes au Mali, mais elle peut consister en la sécurisation des convois vers le Mali par des pays de la CEDEAO. Cela peut être un élan de solidarité sur le plan économique.

Le spécialiste de l’Institut de recherche sur la paix, la sécurité et le développement en Afrique, le Think tank basé en Hollande, Hervé Wendyam Louankande souligne que les trois pays ont fait un choix assumé de quitter la CEDEAO.

Mais l’organisation sous régionale ne doit pas pour autant les laisser s’effondrer devant les groupes djihadistes. Il en va de la stabilité de toute la région.

Par Isidore Kouwonou

BBC News Afrique

Source: https://www.bbc.com/afrique/articles/cyv86v0dvj3o

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