Crise de liquidité en Guinée : le contraste entre la rigueur de Lounceny Nabé et l’amateurisme de Karamo Kaba
En économie, la confiance et la stabilité monétaire constituent le socle sur lequel reposent la crédibilité d’un État et la résilience d’un système financier. La Guinée a longtemps bénéficié d’un tel équilibre sous la gouvernance de Dr Lounceny Nabé, ancien Gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), avant qu’une succession d’événements dramatiques et de décisions politiques mal réfléchies ne viennent plonger le pays dans une crise de liquidité inédite.
Durant plus d’une décennie à la tête de la BCRG, Dr Lounceny Nabé a incarné la rigueur professionnelle et la discipline monétaire. Sous sa gouvernance, malgré les chocs majeurs comme l’épidémie d’Ebola ou la pandémie de COVID-19, l’économie guinéenne est restée résiliente, avec des fondamentaux stables et une confiance interbancaire inébranlable.
À aucun moment, la BCRG n’a eu recours aux réserves obligatoires des banques primaires pour assurer la liquidité, ni pour financer un projet de l’Etat. Un indicateur de solidité et de prudence monétaire rarement atteint dans des économies émergentes confrontées à de tels chocs. A la BCRG, son passage a marqué tous les esprits.
« Jusqu’à son départ en décembre 2021, tous les signaux nationaux comme internationaux, étaient au vert : les banques commerciales opéraient avec assurance, les institutions financières internationales respectaient la crédibilité de la Guinée, la monnaie nationale conservait sa stabilité, et les travailleurs étaient bien traités », nous confie un travailleur qui dit regretter la gestion actuelle de la BCRG.
Visiblement, l’avènement du CNRD au pouvoir a constitué un basculement dangereux pour la Banque centrale entre amateurisme et décisions destructrices.
La rupture brutale sans expertise technique, sans planification stratégique et en l’absence de toute analyse économique sérieuse, le pouvoir militaire a confié la gestion de la BCRG à des profils inexpérimentés.
En moins de 4 ans, une institution monétaire autrefois respectée, a été vidée de ses fondamentaux comme un puits que l’on tarit sans réfléchir à son remplissage futur.
Les conséquences ?
« Une crise de liquidité profonde, une perte de confiance généralisée entre banques, entreprises et citoyens, et un effondrement de la crédibilité internationale de la Guinée. Cette crise, sans précédent depuis l’indépendance, affecte directement les ménages, les opérateurs économiques et le tissu productif national », s’indigne un financier bien introduit dans le secteur bancaire guinéen.
À ce drame économique, s’ajoute un épisode politique tout aussi préoccupant et désolant. Dr Lounceny Nabé, respecté pour son intégrité et sa maîtrise des politiques monétaires, a été publiquement humilié par une fausse accusation de détournement de trois tonnes d’or.
Sur la foi des enquêtes que nous avons menées, documentées et présentées dans le Before GG sur Espace TV, nous sommes parvenus à démontrer le caractère infondé de ces accusations fallacieuses : les 3 tonnes d’or gardées par AFINOR au nom et pour le compte de la BCRG n’ont jamais été détournées, et ne pouvaient en aucun cas être détournées par la seule personne de l’ex gouverneur de la BCRG. Un courrier de la société AFINOR en daté du mois d’octobre 2021, soit un mois avant le limogeage de Lounceny Nabé, a confirmé l’existence des 3 tonnes d’or et sollicitait l’accord de la BCRG pour un placement onéreux et très bénéfique auprès de la banque J.P Morgan.
Au mépris de la vérité, Dr Lounceny Nabé a été écarté, incarcéré, humilié et soumis à un contrôle judiciaire abusif jusqu’à nos jours, empêché comme plusieurs autres anciens dignitaires du régime Condé de sortir du pays pour se soigner, malgré son innocence reconnue.
Le paradoxe est cruel : pendant que l’on salissait la réputation d’un technocrate respecté, les vrais scandales financiers se multipliaient sous le régime actuel avec des tonnes d’or et des millions de dollars américains, impliquant ceux-là mêmes qui prétendaient assainir la gouvernance. Malheureusement, au sein du CNRD et du gouvernement, aucune langue n’en parle et tout le monde baisse le regard.
La délinquance financière est ainsi instituée et la Guinée continue de payer le prix économique du mépris des compétences.
La crise actuelle révèle une vérité économique élémentaire selon un analyste : « On ne détruit pas impunément le capital institutionnel et humain qui a mis des décennies à se construire. En ignorant l’expertise de Lounceny Nabé qui a été l’un des piliers de la gouvernance économique de la Guinée depuis plus d’une décennie, le CNRD a non seulement saboté l’héritage monétaire du pays, mais aussi hypothéqué la confiance indispensable à toute reprise immédiate.
Dans d’autres pays, face à la gravité de la situation actuelle, on aurait sollicité des anciens comme lui pour comprendre comment ils avait su, pendant des années, éviter les crises monétaires et maintenir la crédibilité financière de l’État. En Guinée, on les humilie, on les écarte, on détruit leur honneur et le pays en paie le prix fort.»

La Guinée traverse aujourd’hui l’une des crises financières les plus graves de son histoire récente. Pourtant, elle dispose encore de compétences et d’expériences capables d’inspirer une sortie de crise. Mais cela suppose un changement radical de paradigme selon un expert en finance publique et en politique monétaire :
« Rompre avec l’amateurisme actuel ; restaurer la confiance avec les banques, les entreprises et les partenaires internationaux ; capitaliser sur l’expertise nationale au lieu de la détruire.»
En clair, il faut dire au CNRD que l’économie n’a pas besoin de slogans ni d’improvisations, mais de rigueur, de prévisibilité et d’un cadre institutionnel solide. C’est le seul chemin pour éviter que la Guinée ne s’enfonce durablement dans la méfiance, la crise et la pauvreté.
Mamoudou Babila KEÏTA
