Dr Ibrahima Bah-Clozel, urologue et bénévole : « Je veux éliminer l’incontinence urinaire féminine »
Chirurgien urologue exerçant à Valence, dans la Drôme (France), le Dr Ibrahima Bah-Clozel est le fruit de deux cultures. Franco-Guinéen, il consacre une partie de son temps à partager son expertise médicale en Guinée, son pays d’origine, où il œuvre pour améliorer la prise en charge des pathologies urologiques. À travers des missions bénévoles, il forme des médecins, équipe des hôpitaux et initie des interventions chirurgicales de pointe jusque-là inédites dans le pays. Dans cet entretien exclusif à La Lance, il revient sur son parcours, ses motivations et sa vision pour l’avenir du système de santé guinéen.
Qui est le Dr Ibrahima Bah-Clozel ?
Je suis chirurgien à Valence dans la Drôme, en France. Je suis un métis franco-guinéen, né en France, mais qui a toujours eu l’amour du pays d’origine de mon papa, notamment la préfecture de Pita, précisément à Timbi-Tounni.
J’ai étudié la médecine à la faculté de Lyon et me suis orienté vers l’urologie dans le service du professeur Jean-Michel Dubernard. Cela m’a permis de toucher à tous les volets de l’urologie et de m’installer à mon propre compte.
Mon papa n’a malheureusement pas pu revenir au pays pendant de nombreuses années. Je n’ai connu la Guinée que lorsque j’ai ramené son corps. Il avait eu le temps de me transmettre l’amour du pays et l’envie de participer à son développement, faute d’avoir pu le faire.
Il semble que les pathologies urologiques s’amplifient de plus en plus en Guinée. Disposez-vous de données ou de statistiques à ce sujet ?
Effectivement, les pathologies urologiques sont de plus en plus fréquentes. C’est une bonne nouvelle, la population guinéenne vieillit ! L’urologie concerne souvent les personnes âgées. Les méthodes de détection des pathologies se sont aussi grandement améliorées, comme le dépistage du cancer de la prostate par le PSA [du français Antigène spécifique de la prostate] et l’I.R.M [Imagerie par résonance magnétique].

Malheureusement, les troubles urologiques féminins ne sont pas vraiment pris en compte, souvent en raison du silence qui entoure ces affections. Il n’y a pas encore de traitement disponible en Guinée, mais je compte changer cela en créant un établissement dédié uniquement à la chirurgie de la femme.
Vous séjournez en Guinée pour offrir des soins gratuits à des patients souffrant de maladies urologiques. Comment vous est venue l’idée ?
Je suis ici pour offrir ma connaissance technique dans l’urologie de pointe, car les Guinéens méritent un accès aux dernières techniques. Il me semble normal d’offrir mes soins gratuitement, car beaucoup de choses sont payantes pour le patient guinéen. Je souhaite aussi montrer qu’avec de la volonté, l’urologie guinéenne peut tout faire : en 2021, j’ai réalisé les deux premières prostatectomies radicales de Guinée, avec l’équipe de l’Hôpital Ignace Deen. Aujourd’hui, cette même équipe en réalise plusieurs par semaine avec d’excellents résultats. Comme on dit, « plutôt que de donner du poisson, il vaut mieux apprendre à pêcher ». C’est ma philosophie.
Pourquoi c’est maintenant que vous lancez cette initiative ?
Le système de soins guinéen commence à s’améliorer. Les conditions deviennent acceptables pour réaliser des chirurgies lourdes nécessitant du matériel vidéo. Je veux donc poursuivre les progrès en endoscopie urologique et, bientôt, en chirurgie coelioscopique.
Concrètement, quels sont vos domaines d’expertise en urologie ?
J’ai été formé à l’Hôpital Édouard Herriot de Lyon, un centre de référence mondiale. J’y ai pratiqué toutes les formes de chirurgie : ouverte, endoscopique et par ultrasons de haute intensité (Focal One) pour le traitement du cancer de la prostate.
J’ai aussi contribué à la mise au point d’une bandelette sous-urétrale permettant d’éliminer l’incontinence urinaire féminine, que j’espère introduire prochainement en Guinée.
Disposez-vous de matériel médical et d’une équipe pour vos soins ?
Je travaille avec ma fidèle aide opératoire, Madame Valérie Morel, qui m’accompagne aussi bien en France qu’en Guinée. Elle apporte le matériel spécifique que nous ne trouvons pas localement. Pour le reste, nous utilisons les équipements disponibles sur place.
Récemment, nous avons implanté les premiers sphincters urinaires artificiels de Guinée, financés grâce à la solidarité des familles des patients.
Pour l’instant, je suis accueilli par mes confrères dans différents hôpitaux du pays. Toutefois, je projette de créer un établissement dédié à la chirurgie de la femme, qui sera un centre de référence.

Comment parvenez-vous à convaincre les patients méfiants à se faire soigner ?
Les patients sont généralement réceptifs. Ma prestation chirurgicale est gratuite. Il y a toutefois des frais, pour éviter que les hôpitaux ne soient déficitaires. Les médicaments ou produits prescrits aux patients sont payants. Lors des récentes implantations de sphincters urinaires, la préparation tardive n’a pas permis à l’hôpital de fournir gratuitement les consommables, mais je suis sûr que cela s’améliorera.
Quand avez-vous commencé votre mission médicale ?
Chaque mission dure environ une semaine, car je dois ensuite retourner à mon cabinet de Valence. Je procède ainsi depuis 2009, à l’époque des Journées Médicales Guinée Rhône-Alpes. Ce format court est efficace : je forme, transmets et mes confrères prennent le relais.
Disposez-vous de statistiques ou d’exemples concrets de patients guéris grâce à vos interventions ?
Pour la prostatectomie radicale, une étude menée sur 20 patients opérés entre 2021 et 2023 montre 60 % de guérisons complètes à deux ans et un taux d’incontinence urinaire d’environ 10 %. D’autres études sur le traitement des calculs urinaires sont en cours.
Envisagez-vous de revenir en Guinée pour d’autres missions similaires ?
Bien sûr ! Beaucoup de projets sont en cours : développement de l’urétéroscopie souple, perfectionnement de la chirurgie percutanée du rein et chirurgie cœlioscopique. Je reviendrai également pour concrétiser le centre de santé dédié à la femme.

Quel message adresseriez-vous à vos compatriotes guinéens qui, comme vous, ont étudié à l’étranger mais ne rentrent toujours pas contribuer au développement du pays ?
