Enquête – Simandou : Le mensonge des 15 % et l’empire invisible des « actions en nature » qui valent dix fois plus
Dans la propagande officielle, on répète mécaniquement que « l’État guinéen détient 15 % dans Simandou ». Une formule courte, efficace, calibrée pour les micros, idéale pour donner l’illusion d’un État puissant assis à la table des actionnaires. Mais derrière ces 15 %, soigneusement mis en avant par la junte, se cache la plus grande opération de travestissement économique de ces dernières années : une participation théorique qui sert de paravent à des concessions gigantesques dont la valeur réelle dépasse de dix à vingt fois la part annoncée.
En apparence, tout semble clair. Le projet Simandou, évalué autour de 20 milliards USD, accorderait à la Guinée une participation de 15 %, soit l’équivalent de 3 milliards USD. Mais cette estimation est un trompe-l’œil. L’État ne finance pas ses 15 %, il ne paie pas sa part dans le capital et ne supporte aucun coût d’investissement. Sa participation est non contributive, ce qui réduit drastiquement sa valeur réelle à une fraction de l’estimation théorique : une fenêtre de 400 à 700 millions USD une fois actualisée, c’est-à-dire moins que la valeur d’un seul tronçon de chemin de fer d’un projet de cette envergure. Et encore, ces dividendes éventuels n’arrivent qu’après amortissement complet, parfois dix à quinze ans après la mise en production. En réalité, les 15 % sont un chiffre politique, pas un actif économique.
Pendant que l’opinion se concentre sur ces 15 %, un autre mécanisme se met silencieusement en place. Une mécanique plus vaste, plus lourde, plus déterminante : celle des « actions en nature ». Car si l’État ne met pas d’argent dans le capital, il met beaucoup plus – infiniment plus – dans tout ce qui rend le projet possible. Et ce que l’État donne n’est jamais compté dans les communiqués officiels : exonérations fiscales, douanières, foncières, cession de terres, servitudes ferroviaires, emprises portuaires, corridors d’exploitation, sécurisation militaire, facilités administratives, infrastructures d’accès, déploiement institutionnel. Tout ce qui est invisible pour la population mais indispensable pour les multinationales.
Les exonérations seules représentent un gouffre. Sur un projet de cette taille, la TVA non collectée dépasse facilement 1,2 à 1,8 milliard USD. Les droits et taxes sur équipements évaporés : 800 millions à 1,2 milliard. L’impôt sur les bénéfices annulé pour plus d’une décennie : 2 à 3 milliards. Les exonérations sur carburant, lubrifiants et matériels roulants : 500 millions à 1 milliard. Au total, les exonérations accordées par la Guinée s’élèvent entre 4,5 et 7 milliards USD, cédés gratuitement pour permettre au projet de prendre forme. Et personne ne l’annonce. Personne ne publie le coût. Les 15 % suffisent à hypnotiser l’opinion.
Puis vient la terre. Le corridor ferroviaire de plus de 650 km, les emprises portuaires, les zones de servitude, les milliers d’hectares expropriés, les régions traversées sans compensations sérieuses, les communautés déplacées. Même une estimation prudente situe la valeur foncière et territoriale de ce qui a été cédé entre 1,5 et 3 milliards USD. La plus grande contribution stratégique du pays est ainsi livrée sans être comptabilisée comme une participation économique. La terre n’est jamais présentée comme un apport, mais pourtant, sans elle, le projet n’existe pas.
S’y ajoutent les infrastructures publiques mobilisées – routes, sécurisation, études, administration – pour un coût évalué entre 300 et 700 millions USD. Et lorsque l’on combine ces éléments, la réalité éclate : l’État guinéen apporte entre 6,3 et 10,7 milliards USD en « actions en nature » pour une participation réelle qui n’excède pas 700 millions USD.
Dans une négociation équilibrée, ces « actions en nature » seraient reconnues comme un investissement majeur, sécurisé et valorisé comme un apport au capital. En Guinée, elles sont présentées comme un simple accompagnement, un geste logistique, un « normal administratif ». On offre les milliards, on communique sur les millions.
Et c’est là que se produit la rupture narrative : l’État donne dix fois plus que ce qu’il reçoit. Les multinationales capitalisent sur des exonérations historiques, sur des contributions territoriales évaluées à plusieurs milliards, sur des privilèges fiscaux hors normes, pendant que l’on tente de faire croire au peuple qu’il est propriétaire à hauteur de 15 % d’un projet où il paie presque tout mais ne gagne presque rien. Le coût réel de l’apport guinéen dépasse la valeur de la participation de loin. Les 15 %, c’est la façade d’un immeuble dont l’État a construit les fondations, financé la charpente et payé le terrain, tandis que les bénéfices, eux, partent ailleurs.
L’enquête révèle une équation effroyablement simple : la Guinée échange 6 à 10 milliards USD de contributions réelles contre 0,4 à 0,7 milliard USD de bénéfices potentiels. On présente au public un symbole de souveraineté économique alors que la réalité est un transfert massif de richesse hors du pays. Les 15 % ne sont pas un gain : ce sont les miettes d’un festin financé par le peuple.
Par Siba Béavogui
