FOCAC 2024 : Élever les intérêts africains au-delà du sommet sino-africain
Pour renforcer l’impact du Forum sur la coopération sino-africaine, les pays africains ont besoin d’une stratégie d’engagement plus cohérente avec la Chine, ainsi que d’une transparence et d’une sensibilisation de l’opinion publique et d’une action citoyenne accrues.
Le neuvième Forum sur la coopération sino-africaine (Forum on China-Africa Cooperation ou FOCAC), qui se tiendra à Pékin du 4 au 6 septembre, se déroule à un moment critique. Les économies africaines sont toujours affectées par l’instabilité causée par la pandémie de COVID-19, et la colère grandit face aux conséquences économiques d’une dette insoutenable, dont certaines se manifestent par des manifestations populaires. Les jeunes exigent l’équité, la justice et la transparence, y compris dans les relations des gouvernements africains avec les puissances extérieures. Les gouvernements sont également soumis à des pressions pour qu’ils respectent leur engagement de faire progresser leurs économies dans la chaîne de valeur et de passer de l’aide au commerce.
Le plan d’action de Dakar (2022-2024), issu du huitième sommet du FOCAC qui s’est tenu à Dakar, au Sénégal, en novembre 2021, propose un plan global de promotion et de facilitation du commerce, d’accès stratégique au marché et de valorisation des produits. La Chine s’est engagée à importer pour 300 milliards de dollars de marchandises en provenance d’Afrique entre 2022 et 2024. Elle a également offert 10 milliards de dollars pour améliorer la qualité des exportations africaines et une ligne de crédit de 10 milliards de dollars pour aider les petites et moyennes entreprises à exporter des produits de haute qualité sur les marchés chinois. Cependant, le suivi de ces engagements est difficile, et il n’est pas certain que ces objectifs soient atteints, ni quand ils pourraient l’être.
Le FOCAC est encore largement façonné par une dynamique donateur-bénéficiaire, dans laquelle les pays africains restent en retrait tandis que la Chine prend l’initiative d’une grande partie de l’ordre du jour.
Si le FOCAC s’est imposé comme un forum unique, il est encore largement façonné par une dynamique donateur-bénéficiaire, dans laquelle les pays africains restent en retrait tandis que la Chine prend l’initiative d’une grande partie de l’ordre du jour. Cela s’explique en partie par les faiblesses de la planification stratégique du côté africain. Alors que la Chine publie régulièrement des documents stratégiques complets sur l’Afrique, tels que les livres blancs de 2006, 2015 et 2021, les pays africains n’ont pas de stratégie cohérente à l’égard de la Chine.
La Chine avait publié sa Vision 2035 de la coopération sino-africaine peu après le sommet de Dakar. Élaboré avec les contributions des pays africains, ce document reprend les priorités de l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA), notamment en ce qui concerne les partenariats de développement, le commerce et l’investissement, la croissance verte, le développement des ressources humaines et l’industrialisation. Curieusement, les pays africains n’ont pas rédigé leur propre document exprimant les intérêts de l’Afrique et expliquant comment la Vision 2035 pour la Chine et l’Afrique pourrait faire progresser leurs plans de développement nationaux.
La Chine, en revanche, est très claire quant à ses objectifs. La Vision 2035 Chine-Afrique est alignée sur la propre Vision 2035 de la Chine, qui cherche à consolider le statut de la Chine en tant que grande puissance. Une lecture attentive des deux documents montre que la Chine considère son engagement avec les pays africains comme un moyen de faire progresser sa quête du statut de grande puissance – un moyen d’arriver à ses fins.
Le FOCAC, et plus généralement la politique sino-africaine, est souvent critiqué pour sa lourdeur au sommet et son orientation excessive vers les relations d’État à État. Une grande partie du FOCAC se déroule à huis clos et sans la présence d’experts indépendants. Cela exclut de nombreux acteurs africains de premier plan. Cela empêche également un contrôle efficace. C’est l’une des raisons pour lesquelles les résultats du FOCAC sont difficiles à quantifier, à suivre, à évaluer et à améliorer. Les citoyens africains demandent de plus en plus aux gouvernements africains de remédier à ces lacunes et à d’autres afin de garantir que les Africains ordinaires tirent le maximum de profit d’une initiative qui aime se présenter comme un modèle de « coopération gagnant-gagnant ».
Un processus plutôt qu’une série de sommets ad hoc
Le sommet du FOCAC se réunit tous les trois ans, alternativement en Chine et en Afrique. Le seul autre sommet africain auquel participent des acteurs extérieurs et qui se réunit aussi régulièrement est la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Tokyo International Conference on African Development ou TICAD), qui s’est également réunie huit fois depuis son lancement.
Le neuvième FOCAC aura une structure légèrement différente des précédents puisqu’il sera organisé autour de comités thématiques coprésidés par la Chine et un pays africain. La représentation chinoise proviendra très probablement du comité de suivi du FOCAC, composé de 37 agences chinoises. La réunion du FOCAC est le point culminant d’une série d’engagements visant à établir l’ordre du jour, en commençant par le corps diplomatique africain à Pékin, une réunion de hauts fonctionnaires qui rassemble les propositions, une conférence ministérielle pour les affiner, et enfin le sommet du FOCAC.
Le FOCAC reste fortement centré sur le régime. La consultation et l’un engagement public à grande échelle lui font défaut.
Pour cette édition, le FOCAC comprendra un forum des entrepreneurs Chine-Afrique destiné aux dirigeants du secteur privé africain. Plusieurs réunions connexes ont eu lieu en amont du sommet, notamment le Forum de coopération économique et commerciale Chine-Afrique en mars 2024 à Dar es Salaam, en Tanzanie. Des pays africains comme le Kenya, la Namibie et l’Ouganda ont également organisé leurs propres forums d’investissement pour présenter des opportunités aux investisseurs chinois avant le sommet.
Le FOCAC de cette année a également été précédé par le forum des groupes de réflexion Chine-Afrique en avril 2024, également à Dar es Salaam, et par la deuxième conférence de haut niveau du Forum sur l’action mondiale pour le développement partagé à Pékin en juillet.
Le FOCAC mène la plupart de ses activités par le biais de sous-forums thématiques et techniques. Il s’agit par exemple du Forum Chine-Afrique sur la paix et la sécurité, du Forum sur la coopération sino-africaine en matière d’administration locale et du Forum juridique Chine-Afrique. Le Fonds Chine-Afrique pour la paix et la sécurité canalise les financements et les équipements chinois vers l’architecture africaine de paix et de sécurité, tandis que le Forum ministériel sur la coopération sanitaire sino-africaine met l’expertise chinoise en matière de santé à la disposition des ministères africains de la santé.
Certains de ces sous-forums ont franchi des étapes importantes depuis le huitième FOCAC. L’exposition économique et commerciale Chine-Afrique (China-Africa Economic and Trade Expo ou CAETE) a ouvert de nouveaux échanges entre les pays africains et les villes et municipalités chinoises, donnant lieu à 74 projets de coopération. Cela a contribué à la constitution d’un solide portefeuille commercial Chine-Afrique de 282 milliards de dollars en 2023. Dans le cadre de ce programme, le Kenya est devenu le premier exportateur africain de fleurs vers la Chine, pour une valeur de plus de 800 millions de dollars par an.
Les pays africains ont également profité de la promotion par la CAETE des plateformes d’achat en ligne. En janvier 2022, par exemple, 11 000 sacs de café éthiopien ont été vendus en 5 secondes grâce à ces plateformes. Le Rwanda, l’île Maurice et d’autres pays africains ont suivi l’exemple et utilisé des plateformes similaires pour accéder à des marchés spécialisés. Dans l’ensemble, le FOCAC offre des enseignements aux engagements d’autres acteurs extérieurs en Afrique en ce qui concerne la régularité de ses sommets, la structure institutionnelle dans les différents domaines de coopération, la coordination technique et politique entre les sommets et l’innovation.
Pourtant, le FOCAC continue de susciter des controverses. Tout d’abord, il est considéré comme servant principalement les intérêts chinois. Prenons l’exemple du Forum des cercles groupes de réflexion Chine-Afrique. Son « Consensus de Dar es Salaam », un document publié en avril 2024 pour influencer l’ordre du jour du neuvième FOCAC, engage les cercles de réflexion, les universitaires et les organismes de recherche membres à défendre et à mettre en œuvre l’Initiative mondiale pour le développement et l’Initiative mondiale pour la sécurité, deux concepts chinois de sécurité nationale. La réunion est restée muette sur les principales demandes africaines, telles que le consensus d’Ezulwini de 2005, qui appelle notamment à une représentation permanente de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies.
Les engagements de la Chine en Afrique ont également fait l’objet de critiques ces dernières années en raison de l’alourdissement du fardeau de la dette de l’Afrique. Les prêts chinois en Afrique ont été multipliés par cinq entre 2000, date de la création du FOCAC, et 2020, pour atteindre 696 milliards de dollars. Les bailleurs de fonds chinois représentent aujourd’hui 12 % de la dette publique et privée de l’Afrique, ce qui fait de la Chine un acteur central dans le débat sur la viabilité de la dette africaine et l’emprunt responsable. La Chine a toutefois tendance à ne pas envisager de remise ou d’annulation de la dette, comme l’ont découvert des pays très endettés tels que l’Angola, l’Éthiopie, le Kenya et la Zambie.
Le FOCAC reste également fortement centré sur le régime. La consultation et l’un engagement public à grande échelle lui font défaut. La création de sous-forums pour les organisations non gouvernementales (ONG), tels que le Centre de presse Chine-Afrique et le Forum populaire Chine-Afrique, n’a pas résolu ce problème puisque les participants sont rigoureusement contrôlés par les fonctionnaires du gouvernement et du parti au pouvoir. En effet, l’attribution par le gouvernement d’opportunités de conférences et de formations chinoises fait à bien des égards partie des largesses distribuées dans le cadre des structures de patronage des partis au pouvoir.
Renforcer l’agencement africain
La dépendance du FOCAC à l’égard du dialogue d’État à État persiste malgré le développement de l’expertise des relations Afrique-Chine dans les universités, les groupes de réflexion et la société civile.
Des voix africaines indépendantes pèsent sur les débats politiques entre l’Afrique et la Chine, notamment au sein de l’UA, qui reste ouverte à la recherche de perspectives extérieures. Le projet à but non lucratif intitulé « China-Global South Project » organise des podcasts hebdomadaires avec d’éminents leaders d’opinion pour discuter des questions politiques pertinentes entre l’Afrique et la Chine.
Le Projet d’information Afrique-Chine s’efforce quant à lui d’améliorer la qualité de l’information délivrée sur les relations entre l’Afrique et la Chine. Le Centre afro-chinois des relations internationales et les centres de recherche « Development Reimagined » suivent et interrogent le processus du FOCAC. En outre, le groupe de travail indépendant Afrique-Chine rassemble des universitaires et des professionnels de haut niveau pour explorer de nouvelles façons de penser les relations sino-africaines et façonner les stratégies africaines.
Les gouvernements africains n’ont pas réussi à exploiter la vaste expertise culturelle et linguistique africaine de la Chine qui existe sur le continent.
L’un des résultats notables de ces efforts est une étude novatrice intitulée « Vers une politique africaine à l’égard de la Chine », publiée comme ressource pour les négociateurs africains par l’Institute for Global Dialogue (Institut pour le dialogue mondial) d’Afrique du Sud avant le sommet du FOCAC de 2018. Une initiative dirigée par des Africains à l’École d’administration Blavatnik de l’Université d’Oxford rassemble des négociateurs africains de différents pays pour partager des notes et identifier des leçons pour négocier plus efficacement avec les responsables chinois. Le réseau de recherche sur les Chinois en Afrique et les Africains en Chine, qui compte 600 membres, est la plus grande plateforme indépendante de chercheurs et de leaders d’opinion sur l’Afrique et la Chine ; il coordonne des séminaires, de nouvelles recherches et des engagements en matière de politique publique. Le réseau gère également une base de données d’universitaires et d’experts ayant une expérience de la Chine.
Ces ressources sont pertinentes car l’une des raisons pour lesquelles l’Afrique a toujours été en retrait dans ses engagements avec la Chine est l’incapacité des gouvernements africains à exploiter la vaste expertise culturelle et linguistique africaine de la Chine qui existe sur le continent. Avant la pandémie du COVID, 60 000 étudiants africains désireux d’obtenir un diplôme se rendaient chaque année en Chine pour y poursuivre leurs études. Pourtant, les gouvernements africains n’ont généralement pas utilisé ces ressources pour améliorer la compréhension globale du continent et son engagement vis-à-vis de la Chine.
La préparation du neuvième FOCAC a été marquée par un niveau élevé de sensibilisation et d’engagement de la part de dirigeants issus de la société civile et du monde universitaire, d’experts indépendants et d’ONG. Leurs recommandations politiques peuvent être regroupées en huit grands thèmes :
1. Prendre davantage d’initiatives et de leadership en développant et en faisant progresser une stratégie africaine cohérente à l’égard de la Chine.
2. Au lieu d’avoir 54 chefs d’État qui se rendent à chaque réunion avec un partenaire extérieur, le continent devrait créer des groupes de travail avec de plus petits groupes de pays représentant l’Afrique à chaque sommet avec des acteurs extérieurs. Ces groupes pourraient être organisés de manière thématique et accentuer l’expertise africaine en rationalisant la division du travail.
3. Convoquer une réunion de hauts fonctionnaires africains, à l’instar de la réunion des coordinateurs nationaux de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), afin d’harmoniser les positions avant le FOCAC.
4. Réduire l’importance de l’aide et se concentrer sur le commerce, l’accès préférentiel aux marchés, le ciblage des marchés de niche et l’ajout agressif de valeur aux produits.
5. Encourager le transfert de technologies, en particulier dans le domaine des énergies et de la croissance vertes.
6. Aligner l’éducation et la formation sur les besoins en ressources humaines de l’Afrique.
7. Renforcer le contrôle en établissant une plateforme de dialogue permanent entre les sommets du FOCAC, qui inclurait des voix et des experts extérieurs, les commissions parlementaires de contrôle concernées et les instances indépendantes de la Chine.
8. Exploiter l’expertise extérieure disponible, y compris la communauté croissante de professionnels africains formés en Chine.
Promouvoir les intérêts des citoyens au FOCAC
L’Afrique a bénéficié du FOCAC, mais un engagement plus proactif est nécessaire. Les engagements africains ont tendance à être ad hoc et mal structurés, ce qui désavantage nettement le continent. Les pays africains doivent devenir plus stratégiques, inclure des voix non gouvernementales, être conscients des pièges de l’emprunt effréné et non responsable, et, en établissant une plus grande transparence des accords du FOCAC, s’assurer que les représentants africains placent les intérêts nationaux avant les intérêts personnels.
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