Françafrique : L’éternelle complaisance d’un empire sur ses ruines, ou l’ombre française en Guinée
La Guinée, ancienne colonie héroïque, qui un jour osa dire non à la tutelle française, se trouve aujourd’hui engluée dans une nuit sans fin, un cauchemar politique tissé de terreur, de répression et de silence complice.
Depuis le coup d’État sanglant du 5 septembre 2021, une junte militaire tient le pays dans un étau de peur. Le peuple est pris au piège d’une machine dictatoriale implacable, et, dans cette mécanique de la violence, la France, pourtant si prompte à se présenter en défenseur des droits de l’Homme, reste muette. À croire que l’ombre de la Françafrique , cette vieille marâtre insidieuse, continue de planer, enveloppant la Guinée dans les ténèbres d’une relation toxique.
Louis-Ferdinand Céline, dans « Voyage au bout de la nuit », décrivait l’absurdité et la bassesse de l’existence humaine, soulignant avec un style acerbe la cruauté des systèmes de pouvoir qui broient les âmes. Ce même fatalisme, cette même noirceur imprègnent aujourd’hui le destin de la Guinée. À l’instar de Bardamu, personnage central du roman, qui fuit la guerre pour découvrir que partout la misère humaine est la même, les Guinéens sont pris au piège d’une mascarade où la quête de liberté et de dignité semble vaine face à l’indifférence internationale et à la violence de ceux qui gouvernent.
La junte militaire en Guinée a perfectionné l’art du contrôle absolu. Les activistes de la société civile, ces derniers bastions de l’espoir, sont impitoyablement muselés. Les journalistes, autrefois ferments d’une démocratie fragile, sont contraints de se taire sous la menace des armes. Pire encore, des citoyens sont enlevés sans procès, dans une parodie de justice qui rappelle les pages les plus sombres de « Voyage au bout de la nuit », où la guerre et la colonisation dévoilent la fange morale des puissants. Comme Bardamu, les Guinéens découvrent chaque jour que l’humanité est cruelle et que, dans les marges de la civilisation, on ne trouve que le mépris pour la vie.
Et que fait la France dans ce climat de terreur ? Elle observe. Silencieuse, presque complice. Il est impossible de ne pas voir, derrière cette indifférence savamment orchestrée, l’ombre de la Françafrique, cette toile d’intérêts occultes qui enserre les anciennes colonies et les condamne à revivre éternellement leurs cauchemars sous un autre nom. Céline écrivait avec amertume que l’existence n’est qu’un long périple à travers les horreurs, et, pour les Guinéens, cette traversée semble interminable, prolongée par l’apathie d’une France qui feint de ne rien voir, tout en tirant dans l’obscurité les ficelles de la politique.
L’épouse du président putschiste, officier de la gendarmerie française, fait figure de symbole dans ce tableau absurde. Sa présence dans les arcanes du pouvoir militaire guinéen illustre avec cynisme la continuité de cette collusion franco-africaine, où les intérêts politiques et économiques français passent avant les principes démocratiques qu’elle prétend défendre. Cette France-là, c’est celle de « Voyage au bout de la nuit », qui, derrière le masque civilisé, participe aux bassesses des empires, dans la crasse morale et les compromissions. C’est la France qui a toléré les horreurs de la guerre, puis celles de la colonisation, et qui aujourd’hui, une fois de plus, se tait face aux violences d’une dictature.
Le régime militaire guinéen, prolongé par une junte qui reporte indéfiniment le retour à l’ordre constitutionnel, ne prospère que parce qu’il sait que la France, en silence, veille sur lui. Cette tragédie est d’autant plus insupportable qu’elle rappelle que, malgré les apparences de modernité et de progrès, l’Afrique de l’Ouest reste encore enfermée dans le piège des puissances étrangères. Comme le découvre Bardamu dans ses pérégrinations, la violence et l’exploitation ne sont jamais loin sous la surface, toujours prêtes à ressurgir dès que les circonstances l’exigent.
Alors, où est la justice dans tout cela ? Où est l’indignation, celle que la France aime à brandir sur les autres scènes du monde ? Nulle part. La « françafrique » s’est réinventée, subtile et sourde, mais toujours présente. Cette relation perverse entre un pouvoir dictatorial et une ancienne puissance coloniale plonge les Guinéens dans une nuit interminable, où la liberté semble toujours hors de portée.
Mais nous refusons de céder à cet enfermement fataliste. Ce texte est un appel, un cri d’alarme. Il est temps que l’opinion publique, celle qui, en France, aime tant défendre les droits humains lorsqu’ils sont violés loin de ses intérêts économiques, ouvre enfin les yeux sur cette complicité insupportable. La Guinée est un pays riche en courage et en dignité, mais elle est aujourd’hui au bord du gouffre, non seulement à cause de la junte, mais aussi à cause du silence de ceux qui devraient se tenir à ses côtés.
Comme Bardamu, nous traversons la nuit. Mais là où Céline voyait une fin désespérée, nous devons entrevoir l’aube, celle d’une Guinée libérée de ses chaînes post-coloniales, où le peuple retrouvera enfin le droit de choisir son destin, sans la mainmise d’une France silencieuse. Le réveil de la conscience collective est nécessaire. Ce voyage au bout de la nuit guinéenne doit s’achever, et seul un sursaut d’indignation, un appel à la justice véritable, peut écarter ces ténèbres.