Contre La sansure

GUINÉE : LA DICTATURE EN COSTUMES DE MOTS

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Sous le règne du CNRD, la Guinée n’est plus gouvernée par la raison, mais par la rhétorique. Entre “refondation”, “souveraineté”, “décision assumée” et « événement historique », la langue officielle est devenue le plus fidèle camouflage du vide politique.

Depuis quatre ans, la Guinée vit une expérience linguistique inédite. Un régime qui a remplacé la gouvernance par la grammaire. Le CNRD a inventé une langue nouvelle, faite de slogans en uniforme, de majuscules patriotiques et de virgules bien alignées au garde-à-vous. Une langue ou chaque mot sert à cacher des actions qu’on ne doit surtout pas nommer.

Le règne de la “souveraineté” en papier glacé

Tout commence par la “volonté souveraine”, cette formule magique qui justifie tout : les kidnappings, les fermetures de médias, la confiscation des libertés, la suppression des partis politiques, les assassinats, l’insécurité galopante, la fuite des investisseurs, les arrestations arbitraires… le tout emballé dans un drapeau.

On ne gouverne plus, on “assume des décisions” même sordides et ignobles. On ne recule plus, on “affirme notre souveraineté”. On ne détruit plus, on “reconstruit autrement”, du genre : première fois dans l’histoire ! Rire…

Et quand un projet économique avorte, ce n’est pas un échec, c’est “une étape historique dans la souveraineté économique nationale”. Traduction : le pays s’enfonce, mais avec dignité.

“Refonder” pour mieux défaire

Le mot fétiche du régime reste “refondation”. Un terme qu’on nous sert à toutes les sauces : refondation de l’État, refondation de la justice, refondation de la presse, refondation des consciences… Bref, tout est à refonder sauf la junte elle-même et ses pratiques criminelles.

Sous d’autres cieux, “refonder” signifierait “réparer”. En Guinée, cela veut dire “effacer”. Effacer les institutions, effacer les contre-pouvoirs, effacer les élections transparentes, effacer les acquis démocratiques, effacer la mémoire collective. C’est un nettoyage linguistique avant d’être un nettoyage politique.

Le patriotisme de façade

Dans cette novlangue militaire, les discours débordent de “Guinée est de retour”, de “fierté nationale” et de “dignité retrouvée”. On dirait des hymnes de caserne chantés à la gloire du Général des désespoirs.
Le peuple dépourvu, lui, devient un simple figurant : il “acclame”, “remercie”, “soutient massivement”. La télévision d’État le filme en slow motion, comme un peuple heureux de n’avoir plus à penser ou à revendiquer pour son propre bien.

Le mot “peuple” n’a jamais été aussi présent, ni aussi absent.

Et que dire du lexique réservé à Mamadi Doumbouya lui-même ? L’homme providentiel, sans le certificat d’études primaires, est devenu le grammairien en chef.

Dans les médias, lui et ses collaborateurs, ne sont plus des hommes, mais des figures grammaticales. “Le refondateur silencieux”, “le chef suprême”, “le visionnaire éclairé”, “le liberateur”, « l’homme de la situation », « le grand patriote », « le choix du peuple »… L’histoire retiendra qu’en Guinée, même le culte de la personnalité a fini par manquer d’imagination.

À force d’user les mêmes adjectifs, le régime parle de lui comme d’un produit cosmétique : “clairvoyant”, “lumineux”, “rayonnant”. Il ne manque plus que le slogan : “le Général Doumbouya, pour un éclat durable de la souveraineté nationale.”

La stabilité, ce mot qui tue

Quand il faut faire taire les critiques, un seul mot suffit : “stabilité”. On ne réprime pas, on “préserve la cohésion”. On ne censure pas, on “protège l’unité nationale”. On ne mutile pas, on “maintient l’autorité de l’Etat”.

C’est le génie du régime bidon : faire passer la peur pour la paix. Pour eux, la stabilité, en Guinée, c’est quand personne n’ose plus parler.

La Guinée, ce laboratoire du mensonge lexical

Jamais une dictature n’aura autant soigné son vocabulaire. Là où d’autres se contentaient de matraques, le CNRD lui, matraque avec des mots. Chaque discours officiel ressemble à une dictée d’école primaire, où les fautes de liberté sont remplacées par des formules creuses.

Le plus ironique ? Ces mots finissent par se retourner contre leurs auteurs. À force de crier “événement historique” à chaque coup de pioche, l’histoire, la vraie, risque de ne retenir qu’une chose : la faillite du verbe au service du vide.

La propagande du CNRD n’a pas seulement tué la démocratie ; elle a assassiné la langue française. À chaque “volonté souveraine”, une liberté s’éteint. À chaque “refondation”, une institution disparaît. Et à chaque “événement historique”, le pays recule d’un siècle, mais avec des mots neufs pour le dire.

En vérité, la Guinée n’a jamais été aussi immobile, mais la grammaire, elle, avance à pas de soldat. Le CNRD n’a pas refondé l’État. Il a refondu la vérité.

Anonymous 1er,                                                                                                                        l’autre citoyen indigné qui vient de se réveiller dans la presqu’île de Kaloum.

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