Jean-Pierre Fabre: «Le Togo est devenu le champ d’expérimentation d’une poignée d’affairistes africains»
Au Togo, plusieurs partis d’opposition appellent à manifester, la semaine prochaine, contre la nouvelle Constitution que l’Assemblée nationale est en train d’établir.
Le jeudi 4 avril au matin, le ministre togolais Gilbert Bawara expliquait sur RFI les avantages de cette nouvelle loi fondamentale. Voici ce matin le point de vue de l’un des leaders de l’opposition : Jean-Pierre Fabre préside l’Alliance nationale pour le changement (ANC). En ligne de Lomé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Qu’est-ce que vous pensez de ce projet de changement de Constitution ?
Jean-Pierre Fabre : Je crois que personne n’est dupe. Tout le monde a bien compris que M. Faure Gnassingbé essaye de trouver un subterfuge qui lui permette d’échapper à la limitation des mandats. Il veut rester au pouvoir indéfiniment. C’est triste que, après vingt ans, il se livre à ce jeu-là. Et puis, dans cette affaire, personne ne se préoccupe de ce que pense le peuple togolais. Je pense que le Togo est devenu le champ d’expérimentation d’une poignée d’affairistes africains qui se réclament du panafricanisme. Et qui, à mon sens, ont trouvé un chef d’État opportuniste pour appliquer leurs thèses, qui lui conviennent pour rester au pouvoir ad-vitam æternam. Mais, vous savez, le Togo est une dictature militaire clanique à façade civile. Le cœur du système est l’armée, qui est omniprésente et omnipotente.
La semaine dernière, le président a demandé aux députés de faire une deuxième lecture de ce projet constitutionnel. Et ce mercredi 3 avril, il a reporté la date des législatives pour leur donner le temps de consulter « toutes les parties prenantes de la vie nationale ». Est-ce que ce n’est pas un geste d’ouverture ?
Quand on a écouté M. Bawara hier, on comprend qu’il dit qu’ils veulent consulter le peuple, mais, dans le même temps, il affirme qu’il ne s’agit pas de revenir sur le vote du changement de Constitution. Alors, je dis, simplement, qu’il raisonne à l’envers. C’est avant de voter la modification constitutionnelle, surtout s’il s’agit d’un changement de régime, qu’il faut lancer un grand débat dans tout le pays. Car les députés ne décident pas à la place du peuple. Donc, je dis : on raisonne à l’envers. Car ce n’est pas la queue qui remue le chien, mais le chien qui remue la queue, comme le disent les anglo-saxons.
Si le bureau de l’Assemblée nationale vous propose un rendez-vous pour discuter de ce projet constitutionnel, est-ce que vous irez ou pas ?
Je ne vois pas très bien l’intérêt d’une concertation puisque M. Bawara a dit, hier, qu’il ne s’agit pas de revenir sur le vote. Pour nous, il s’agit simplement de retirer le texte. Dès le début, en ce qui nous concerne, nous avons entrepris une série d’actions dans plusieurs pays de la Cédéao et également auprès de l’institution Cédéao. Nous estimons que les pairs de M. Faure Gnassingbé, qui lui ont sauvé la mise en 2017-2018, devraient lui faire entendre raison. Et puis, au plan judiciaire, nous avons des actions en prévision dans la juridiction de la sous-région, et même au niveau continental.
Sur le fond, il est prévu donc de passer à un régime parlementaire où le nouveau chef de l’exécutif, le président du Conseil, sera élu par les députés, comme en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne, et ces trois pays sont des démocraties. Est-ce que ce n’est pas une occasion de donner plus de pouvoirs au Parlement togolais ? Et de créer, peut-être, les conditions d’une alternance démocratique ?
Pas du tout ! Pas du tout, il ne faut pas se montrer naïf et croire que ce qui les intéresse, c’est la démocratie. Ils ne respectent jamais les lois qu’ils se donnent eux-mêmes. Ce n’est pas la nature du régime qui est le problème au Togo. Le problème du Togo, c’est la gouvernance politique. Ils ne cherchent pas à être plus démocratiques ou moins démocratiques, cela ne les intéresse pas, ils veulent rester au pouvoir !
Dans le projet constitutionnel, il est prévu que le futur président du Conseil pourra être révoqué par les députés au terme d’une motion de défiance… J’entends que vous riez, mais n’est-ce pas, tout de même, un gage de démocratie ?
Non, pas du tout. Le gage de démocratie serait d’abord, si l’on veut choisir le régime parlementaire, de mettre en place un découpage électoral sérieux, équitable.