Contre La sansure

Justice, richesse des nations solides

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La crédibilité d’un État se mesure davantage à sa capacité à traiter de la manière la plus équitable ses pires adversaires qu’à son aptitude à leur rappeler sans cesse en quoi eux ont été injustes ou mauvais.

Dans une interview, cette semaine sur RFI, Marc Ona Essangui, « numéro deux » du Sénat de transition au Gabon, a laissé entendre que ce dont se plaint l’ex-président Ali Bongo, dans sa lettre ouverte diffusée ce 18 septembre, est exactement ce que son régime a fait vivre, quatorze années durant, aux familles gabonaises. L’ex-figure de la société civile ne risque-t-elle pas de se voir accuser de prôner la loi du talion ?

Marc Ona semblait insister, surtout, sur le fait que la douleur d’Ali Bongo face à la détention de son épouse et de son fils n’était ni supérieure ni inférieure à celles infligées à de nombreuses familles, éprouvées durant ses deux mandats. Il est affligeant de devoir rappeler à ceux qui exercent le pouvoir aujourd’hui que les situations d’oppression qu’ils créent ou imposent aux autres peuvent, demain, se retourner contre eux. Ali Bongo est peu crédible, lorsqu’il prêche le pardon, la tolérance et supplie les Gabonais de ne pas céder à l’esprit de vengeance, en punissant son épouse et son fils. Et s’il peine tant à s’attirer la compréhension de ses concitoyens, c’est en raison du rapport quelquefois violent qu’il avait au pouvoir politique. Il n’a pas fait, à leur égard, preuve de beaucoup de compassion. Sa sincérité est sujette à caution, mais cela n’enlève rien au droit des siens à jouir d’une justice impartiale, si tant est qu’ils sont justiciables. Ce que dit cette ultime initiative du désarroi du président déchu du Gabon est que les mensonges que vous proférez au pouvoir, la violence que vous faites subir aux autres, finissent fatalement par vous desservir, et cela survient, en général, au moment où vous avez le plus besoin d’être cru.

Pourquoi faire payer ses fautes à son épouse et à son fils, alors qu’il dit assumer pleinement ses fautes et ses échecs ?

La crédibilité de cette responsabilité assumée a posteriori ne convainc manifestement pas, de la part d’un homme à qui l’on ne connaissait pas une telle humilité. Et le hold-up électoral qu’il s’apprêtait à perpétrer n’aurait fait que proroger les insuffisances qu’il dit assumer. Pour bien des Gabonais, le coup d’État du 30 août 2023 était salvateur. Lorsqu’ils étaient dans l’incapacité de résoudre les problèmes de leur peuple, quelques dirigeants africains célèbres ont passé la main, plutôt que de s’octroyer des mandats indus, perdus dans les urnes : Léopold Sédar Senghor, Julius Nyerere quelques autres… Quant à l’innocence de son épouse et de son fils, certains des putschistes qui l’ont renversé étaient les témoins privilégiés de leur rôle, au moment où Ali Bongo, diminué par la maladie, n’exerçait plus la réalité du pouvoir. C’est aussi ce que Marc Ona, à mots à peine couverts, a laissé entendre sur RFI, à propos de Sylvia et Noureddin Bongo, en précisant qu’ils étaient en détention pour des délits et non pour avoir été l’épouse et le fils d’Ali Bongo. Il a tout dit, en affirmant que le président déchu avait abandonné son pouvoir au profit de ses enfants, de son épouse et de ses amis.

Pour Marc Ona, la transition œuvre pour que le prochain président de la République ne retombe pas dans les mêmes travers…

Oui, selon lui, les militaires seraient en train de tout reconstruire, car les institutions laissées par Ali Bongo seraient dans un état de délabrement total. Il n’empêche. La preuve du sérieux de ce qu’ils entendent faire de leur patrie passe par la justice, des procès équitables pour tous, puissants ou misérables. Même en période de remise en état des institutions, le justiciable a droit à des informations claires sur ce qui l’attend. Le flou ne peut que conforter ceux qui, par le passé, déniaient toute justice aux autres. L’enjeu immédiat, ici, est donc d’ôter tout doute, quant aux suspicions de règlements de comptes que suggère la lettre ouverte de l’ex-président. Car la crédibilité d’un État se mesure davantage à sa capacité à traiter de la manière la plus équitable ses pires adversaires, qu’à son aptitude à leur rappeler sans cesse en quoi eux ont été injustes ou mauvais.

 

Jean-Baptiste Placca

source: https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chronique-de-jean-baptiste-placca/20240921-justice-richesse-des-nations-solides

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