Contre La sansure

La décomposition politique en République de Guinée : le déclin d’un peuple sacrifié sur l’autel des privilèges

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Il est des moments où l’âme, même la plus résiliente, vacille face à l’injustice et à la misère. Il est des temps où le silence, choisi comme refuge, se révèle impuissant devant la souffrance d’un peuple. La Guinée, jadis promesse d’une Afrique indépendante et souveraine, est aujourd’hui la proie d’un mal rampant qui consume son avenir.

Dans ce théâtre de l’absurde, la réalité, implacable, nous rappelle chaque jour à l’ordre. En dépit des discours rassurants d’une oligarchie vorace, la situation s’aggrave et s’enlise, et ce sont les Guinéens, dans leur immense majorité, qui en paient le prix, abandonnés par une minorité de privilégiés aveuglés par leurs intérêts égoïstes. Je propose ici de dévoiler certains mécanismes invisibles mais redoutablement efficaces d’une mal gouvernance systémique, entre promesses creuses, captation éhontée des richesses publiques et délitement social.

1. L’inanité des promesses politiques : le triomphe du verbe creux sur la réalité des faits

Dès l’aube de l’indépendance, la Guinée s’est bercée d’un rêve : celui d’une nation émancipée, maîtresse de son destin, capable de tracer la voie vers le développement et la justice sociale. Or, ce rêve n’a jamais cessé de se dérober sous les pieds de ses citoyens, captif d’un éternel recommencement de promesses non tenues. Les discours officiels, véritables monuments de rhétorique courbée, se parent des atours de la modernité et du progrès, mais, derrière cette façade flatteuse, la réalité demeure inchangée, voire empirée. Chaque discours présidentiel, chaque déclaration ministérielle se drape d’engagements à la transparence, à la lutte contre la corruption, à l’amélioration des services publics. Mais que reste t-il de ces paroles une fois la lumière des projecteurs éteinte ?

Nous assistons à une fuite en avant où la parole politique, vidée de toute substance, est devenue un instrument de pouvoir, un outil cynique de manipulation. Les réformes annoncées avec fracas ne sont que des pansements appliqués sur une plaie béante. Derrière les promesses de développement, c’est l’impuissance ou la complicité d’un système qui s’auto-reproduit. Ce qu’il manque, ce n’est pas la matière première, ce n’est pas même le potentiel humain ou les ressources naturelles, mais bien une volonté politique sincère et courageuse. L’État, au lieu d’incarner la justice et le bien commun, s’est mué en une gigantesque machine à dilapider les espoirs et à trahir les aspirations légitimes du peuple depuis plusieurs décennies, aujourd’hui encore, pire.

2. Le pillage des ressources : suand l’État se transforme en comptoir de commerce privé

Au cœur du drame guinéen se trouve une élite restreinte, confortablement installée dans les rouages de l’appareil d’État, qui s’approprie sans vergogne les ressources publiques. Dans un pays pourtant riche en minerais, notamment le fer, le diamant, l’or, la bauxite, le contraste entre l’opulence d’une poignée de privilégiés et la misère de la masse est saisissant. Le sol guinéen, véritable trésor convoité par les puissances étrangères, est exploité sans vergogne au profit de cette classe prédatrice, tandis que les revenus tirés de ces richesses échappent largement à le peuple.

Cette capture économique repose sur un mécanisme pervers, celui de la rente : une économie où les richesses ne sont plus créées par le travail productif, mais par la spéculation et l’appropriation des ressources naturelles. Le pouvoir en place depuis longtemps ne cherche pas à diversifier l’économie, à stimuler l’innovation ou à encourager l’entrepreneuriat ; il se contente de redistribuer les parts d’une richesse préexistante, concentrée entre les mains d’une oligarchie insatiable. Ce mode de gestion, digne des régimes féodaux, empêche toute véritable redistribution de la richesse nationale, privant ainsi les secteurs cruciaux – éducation, santé, infrastructures – des financements nécessaires à leur développement.

Pire encore, cette dynamique alimente un cercle vicieux : la paupérisation croissante de la population renforce la dépendance à l’égard de l’État providentiel non vraiment un État providence, qui se mue en pourvoyeur de subsides pour une population réduite à la mendicité. En lieu et place d’une classe moyenne forte, moteur traditionnel du développement, la Guinée ne connaît qu’une précarité rampante, une masse de citoyens marginalisés, abandonnés aux marges de l’économie formelle, dont l’espoir se consume dans l’attente de jours meilleurs.

3. Le tissu social en lambeaux : quand l’État abandonne ses citoyens

Le déclin économique et politique n’est pas seulement une abstraction statistique ; il s’incarne dans le quotidien des Guinéens, où la précarité est devenue la norme. Les infrastructures, déjà vétustes, sont en ruine. Les écoles sont des bâtiments délabrés, incapables d’offrir une éducation digne de ce nom. Les hôpitaux, quand ils ne sont pas simplement inexistants, manquent de tout, jusqu’aux médicaments les plus basiques. Et pendant ce temps, les coupures d’électricité, les pénuries d’eau et les routes impraticables achèvent de peindre le tableau d’un pays complètement en déroute.

À cette crise matérielle s’ajoute une crise morale. La jeunesse, privée d’avenir, se voit contrainte à l’exil ou à la délinquance, faute de perspectives. Les Guinéens, dans leur ensemble, sont plongés dans une anomie, cette perte des repères sociaux et moraux où chacun, livré à lui-même, tente de survivre dans un environnement où la loi de la jungle règne en maître. La criminalité prospère, la corruption est omniprésente, et les plus faibles – les femmes, les enfants, les minorités – sont les premiers à en souffrir. C’est le règne du chacun pour soi, où l’État n’est plus le garant de la sécurité et du bien-être, mais l’outil d’une classe dominante détachée des réalités du quotidien.

4. Le réveil d’une nation en sursis

La situation actuelle de la Guinée appelle non pas à une simple réforme, mais à une révolution des consciences. Il ne s’agit plus de réarranger les meubles d’un système vermoulu, mais de repenser de fond en comble les structures politiques, économiques et sociales qui maintiennent le pays dans une asphyxie programmée. Il est temps que les dirigeants actuels, s’ils veulent échapper au jugement de l’histoire, prennent la mesure de leur responsabilité et rompent avec les pratiques du passé. Il est impératif d’avoir le chemin d’un comité de réflexion sur les axes de développement d’une Guinée de puissance, la grandeur de la Guinée d’aujourd’hui et celle de demain, surtout.

La Guinée ne pourra retrouver sa dignité et son avenir qu’en remettant au centre de son action la justice sociale, la transparence et l’équité. La richesse du pays ne doit plus être l’apanage d’une minorité, mais servir l’ensemble de la population. Ce n’est qu’à ce prix que la Guinée pourra sortir de l’impasse et offrir à ses enfants l’avenir qu’ils méritent. Le temps des promesses vides est révolu ; seul un sursaut véritable pourra empêcher que la nation ne sombre définitivement dans le chaos.

 

Abdoulaye Bademba Diallo
Juriste, écrivain et essayiste
Le Président Fondateur du CRADGUIP

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