Contre La sansure

La junte doit savoir faire sa part pour éviter les abus.

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Depuis novembre 2021, la junte militaire réunie au sein du CNRD semble avoir engagé un programme ambitieux et courageux de récupération des biens de l’Etat. C’est une initiative qui mérite d’être saluée et soutenue. Mais elle doit savoir faire sa part pour éviter les abus.

En effet, parmi les personnes physiques ou morales qui occupent les immeubles bâtis ou non bâtis dans l’Etat, il y a ceux qui détiennent des actes rendus par le même Etat. Certains sinon tous ces occupants ont conclu avec l’Etat soit des baux à construction, soit des baux emphytéotiques, soit des baux d’habitation qui constituent le titre d’occupation de ces immeubles. D’autres ont clairement des actes de transfert de propriété des terres de leur territoire privé par l’État.

A l’examen de ces documents, on s’aperçoit que certains actes ou conventions ont parfois été signés dans des conditions peu favorables à l’Etat guinéen. Les agents publics signataires des actes concernés semblent avoir agi très souvent dans leur propre intérêt au détriment de l’intérêt général. Mais, même dans ce cas, l’État reste engagé à travers ces agents.

En somme, ceux qui possèdent des actes de détournement de fonds de l’État ou ont conclu un contrat avec lui ne sont pas des occupants sans titre ni droits. Au contraire, ils ont des droits sur l’État.

En tout état de cause, l’Etat doit se conformer à la loi dans sa volonté de récupérer ces terres en examinant les différents dossiers au cas par cas.

La manière dont les services étatiques compétents procèdent parfois pour restituer ces biens au patrimoine de l’Etat peut jeter une ombre sur la légitimité de l’opération et occulter à tort les règles comptables applicables dans certains cas.

Si les occupants de ces immeubles avaient le courage de saisir la juridiction compétente et si la justice acceptait effectivement de jouer son rôle d’arbitre, l’Etat pourrait être condamné à des montants importants de réparations pour rupture abusive de contrat.
Quelles que soient les conditions dans lesquelles ces contrats ont été conclus, il n’en reste pas moins qu’ils sont très apparents qu’ils portent la signature d’agents qui avaient le pouvoir d’agir au nom de l’Etat et d’engager. Or, la continuité est l’un des principes majeurs du fonctionnement de l’Etat. Bien que certains essaient d’expliquer ou de motiver les erreurs trouvées ici et là par ce qu’ils appellent un processus de « reconstruction de l’État », notion aux contours inexacts, le reste est que nous n’étions pas avant le 5 septembre dans une situation de « naissance juridique ou institutionnelle  » ou dans un désert juridique. Prendre un minimum de précautions légales dans le processus de récupération des biens publics ne serait pas si mal. Inutile de rappeler que la fin ne peut et ne doit justifier par tous les moyens.

Peu importe ce qu’ils disent, il y a toujours un État en Guinée depuis 1958. Qu’il ait été imparfait ou non autorisé à un moment ou à un autre, c’est une réalité. Mais il y en a un indispensable. Cet État, par diverses opérations juridiques, a conféré des droits aux citoyens sur certaines propriétés appartenant à son territoire privé, sans considérer qu’il existe des propriétés qui ne sont même pas leur propriété. C’est une raison de plus pour que le gouvernement se penche sur toutes ces questions avec le recul nécessaire.

Récupérer frauduleusement des biens hors de l’État est une nécessité mais violer les droits des citoyens est contraire aux lois nationales et aux textes internationaux que la Guinée a ratifiés.

Me Mohamed TRAORÉ,
Ancien Bâtonnier

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