L’affaire Me Sané C/État de Guinée: une évolution du système africain de protection des droits de l’homme ?
Cet arrêt s’inscrit dans l’évolution et la consolidation des droits de l’homme en Afrique. L’apport de cet arrêt est double : la forme (I) et l’approche retenue (II) par les juges africains revêtent un importance fondamentale.
I. Forme et nature de l’arrêt : une ordonnance de réparation
L’arrêt de la Cour est une ordonnance. En droit de la réparation, il s’agit d’une ordonnance de réparation en faveur de la victime (Me Sané) contre l’Etat guinéen.
D’abord, nous considérons la décision de la Cour en elle-même, comme une forme de satisfaction.
Le fait pour la Cour de reconnaître la violation du droit par l’Etat guinéen, contribue à soulager le préjudice moral dont souffre la victime. Sur la réparation de ce préjudice moral, les trois Cours régionales sont moins rigoureuses en matière de preuve : la simple violation du droit suffit à démontrer l’existence du préjudice moral. C’est extrêmement important pour la réparation. Cet arrêt intervient donc pour confirmer cette jurisprudence constante : un préjudice moral existe dès lors qu’il y’a violation d’un droit et doit donc être être naturellement réparer, sans exiger aucune autre preuve.
Ensuite, la Cour ordonne une indemnisation. Cette modalité de réparation est d’une importance considérable sachant qu’en matière de violation des droits de l’homme, la restitution est dans la plupart des cas impossible. L’indemnisation intervient pour « essayer » de compenser ou d’atténuer les souffrances de la victime, car en tout état de cause, nous essayons, comme le soutien la doctrine de » réparer l’irréparable « .
II. La Cour africaine : une approche de la Cour américaine mais pas européenne
Dans cet arrêt la Cour africaine a adopté la même logique que la Cour américaine, en se distinguant de la Cour européenne en matière de réparation. En effet, cette dernière ne rend pas une ordonnance de réparation à la différence des deux autres Cours. La Cour européenne n’ordonne pas à un Etat, elle indique de mesures de réparation que l’Etat doit prendre. Ce système est très différent du système africain et américain. Dans le cadre africain, et s’agissant cet arrêt, les juges ont ordonné des mesures à prendre contre l’Etat guinéen.
D’abord, après avoir constaté la violation (satisfaction), les juges « ordonne à l’Etat guinéen d’engager, sans délai, des poursuites contre les auteurs (v. dispositif de l’arrêt). N’est ce pas une limite au pouvoir souverain du juge interne par le juge communautaire ?
Ensuite, et c’est extraordinaire, après avoir condamné l’Etat guinéen à verser une indemnisation à la victime, les juges ordonnent à L’Etat guinéen de soumettre un rapport sur les mesures prises pour exécuter les ordonnances dans un délai de trois mois (v. dispositif de l’arrêt). Dans le premier cas (obligation à l’Etat d’organiser le procès) et dans le second (obligation de soumettre un rapport), on conclura l’existence d’un juge communautaire avec un pouvoir extraordinaire : donner de l’ordre à un juge national. N’est ce pas la consécration par le juge africain (même si dans l’arrêt, la Cour ne le dit pas expressément), d’une suprématie d’un droit africain sur les ordres juridiques nationaux, à l’image de la Cour de justice de l’union (arrêt consta c/Enel).
En conclusion, nous soulignons que cette affaire ne sera terminée tant que l’Etat guinéen n’a pas procédé à l’exécution de l’arrêt de la cour, en indemnisant la victime et en organisant le procès conformément aux ordonnances de la Cour africaine. D’ailleurs, pour la victime la phase de l’exécution est la plus importante, car c’est elle qui permet à la victime (Me Sané) de bénéficier de la réparation réelle, pour dire autrement, d’avoir la réparation en « mains propres » (????)… Nous recommandons à la Guinée de s’y conformer et d’exécuter l’arrêt. Nous ne pouvons terminer cette contribution sans formuler notre satisfaction et nos remerciements à l’avocat de la victime dans cette affaire (mon cher ami, Me Pepe Antoine Lama, pour ses brillants travaux dans le respect des droits de l’homme, le combat pour la justice et la défense des victimes en Afrique et en République de Guinée).
Bissiriou Kandjoura
Chercheur chargé d’enseignement en Droit
Université Général Lansana Conté (Guinée)
Université Paris Nanterre, de Versailles et d’Évry (France)