Contre La sansure

L’Afrique face à ses propres mirages : entre dépendance feinte et souveraineté esquivée

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À écouter certains discours, on croirait que le salut de l’Afrique repose sur le bon vouloir de mains étrangères qui, dans un geste de magnanimité, distribueraient ou retiendraient leur manne providentielle. L’on s’indigne de voir l’aide étrangère se tarir, on redoute la chute d’institutions nourries à la perfusion occidentale, et l’on cherche des coupables ailleurs, dans un ballet d’accusations où se mêlent les fantômes du passé et les fuites en avant du présent. Mais que vaut une souveraineté qui tremble au moindre frémissement d’une puissance étrangère ?

L’Afrique se berce trop souvent d’un double mirage : celui de la charité et celui de la réparation. Elle quémande l’une comme un mendiant à la porte du temple, et elle réclame l’autre comme un héritier en attente d’un testament promis. Pourtant, ni l’une ni l’autre ne sauraient fonder une véritable émancipation.

L’aide étrangère : poison sucré d’une dépendance consentie

L’on nous dit que la suspension de l’aide de l’USAID met en péril des millions de dollars et autant d’emplois. Soit. Mais de quelle économie parle-t-on, si elle repose sur des fonds qui ne viennent ni du travail de ses peuples, ni de la valorisation de ses ressources ? Quel modèle de développement digne de ce nom s’effondre dès que la main étrangère se retire ?

Loin d’être un facteur de prospérité, l’aide est souvent un instrument d’influence, un moyen de maintenir sous tutelle ceux que l’on feint de secourir. En 2015, Dambisa Moyo, dans Dead Aid, démontait déjà cette illusion : loin de favoriser le progrès, l’aide internationale perpétue la dépendance, étouffe l’initiative locale et nourrit des élites corrompues qui n’ont aucun intérêt à voir leurs peuples s’émanciper. Et pourtant, lorsque cette perfusion est menacée, c’est moins la voix des peuples que l’on entend pleurer que celle des intermédiaires dont la survie dépend de cette rente.

Si la cessation d’une aide étrangère est perçue comme une catastrophe, c’est parce que nos dirigeants n’ont jamais voulu bâtir d’alternative sérieuse. Ils n’ont pas voulu taxer les multinationales qui pillent nos ressources. Ils n’ont pas voulu mobiliser les immenses richesses issues de nos sous-sols. Ils n’ont pas voulu libérer l’initiative locale, préférant un capitalisme de connivence où prospèrent les privilégiés du système. Et dans cette paresse coupable, ils trouvent plus simple d’accuser l’Occident d’abandon que d’admettre leur propre incurie.

Les réparations : un débat dilué dans l’hypocrisie

On entend aussi monter une autre rengaine : la nécessité pour l’Afrique d’obtenir des réparations pour les crimes du passé. Mais au lieu de poser cette question dans toute sa rigueur, on la dilue dans des considérations hasardeuses, amalgamant esclavage transatlantique et traite transsaharienne, colonisation européenne et servitude arabe, comme si, dans cette énumération confuse, on espérait détourner le regard du véritable bourreau.

Que la traite transsaharienne ait existé, nul ne le nie. Que des royaumes africains aient eux-mêmes participé au commerce des captifs, cela est un fait historique. Mais ces éléments doivent-ils servir à atténuer la responsabilité écrasante de l’Europe dans la destruction structurelle de l’Afrique ? L’industrialisation de l’esclavage par le commerce triangulaire, la cartographie coloniale tracée au cordeau pour mieux fracturer le continent, le pillage systématique des ressources sous couvert d’accords iniques, voilà ce qui a scellé le destin de l’Afrique moderne. Et ce sont ces crimes-là qui doivent être mis en accusation, sans détour, sans diversion.

Mais même en admettant que l’Afrique obtienne ces réparations tant espérées, que ferait-elle de ces milliards, si elle continue de fonctionner sous les mêmes logiques ? L’histoire récente nous apprend que l’argent ne suffit pas à libérer une nation. L’Allemagne de l’après-guerre n’a pas bâti son miracle économique sur des indemnisations, mais sur une politique rigoureuse, une vision claire et une discipline collective. À l’inverse, nombre de pays africains, malgré des richesses colossales, végètent dans le sous-développement, non pas par manque de moyens, mais par absence de volonté politique.

La souveraineté ne se mendie pas, elle se conquiert

Plutôt que d’espérer la générosité d’un bienfaiteur capricieux ou la repentance d’un bourreau amnésique, l’Afrique doit se regarder en face et trancher ses propres contradictions. Elle ne peut réclamer sa liberté d’une main et mendier son pain de l’autre. Elle ne peut exiger des réparations tout en maintenant des systèmes qui perpétuent la soumission économique.

Si la dépendance est un problème, qu’on s’attaque aux véritables causes :

  • Qu’on mette fin à la saignée des flux financiers illicites qui coûtent au continent près de 90 milliards de dollars par an, soit plus que l’aide totale qu’il reçoit.
  • Qu’on impose une taxation juste aux multinationales qui exploitent nos ressources sans réelles contreparties.
  • Qu’on unifie nos marchés pour cesser d’être les jouets de négociations bilatérales où chaque pays africain se fait isoler et affaiblir.
  • Qu’on investisse dans l’éducation et l’innovation, au lieu de former une jeunesse dont le seul rêve est de fuir.

L’Afrique n’a pas besoin de larmes, elle a besoin de courage. Elle n’a pas besoin d’accuser, elle a besoin d’agir. Tant qu’elle continuera à se poser en victime, elle ne sera jamais maître de son destin. Il est temps de cesser de pleurer sur des aides supprimées et des dettes morales impayées. La souveraineté ne se quémande pas, elle s’impose.

Aboubacar Fofana, chroniqueur

 

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