Contre La sansure

L’art de détourner l’attention : une réponse à la sortie maladroite du ministre de la Justice (Par Karamoko Kourouma)

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« Ces kidnappings, ces enlèvements…, n’ont aucune liaison avec… l’armée. Des individus se camouflent dans des tenues, ils viennent commettre leurs forfaits. Après, on dit que c’est les militaires qui l’ont fait. Parce que tout simplement, on a vu les tenues », a déclaré le ministre de la Justice, M. Yaya Kairaba Kaba, lors de l’émission « On fait le point » sur la RTG, le vendredi 20 décembre 2024.

Au premier abord, une telle affirmation de ce ministre est davantage destinée à semer la confusion auprès des Guinéens qu’à éclaircir la situation préoccupante des disparitions forcées des figures de la société civile et des journalistes. En réalité, en tentant de relativiser la gravité de l’enlèvement de Foniké Mengué, Billo Bah, Habib Marouane et d’autres personnes, dans une rhétorique ambiguë sur une prétendue « nouvelle forme de criminalité », le ministre cherche maladroitement à dédouaner les forces de défense et de sécurité qui auraient pourtant procédé à ces enlèvements, selon les témoignages rapportés par des membres de familles et des voisins ayant assisté à ces rapts. Comment comprendre qu’un ministre qui est chargé de veiller au bon fonctionnement des services judiciaires puisse se transformer en avocat attitré des pratiques inhumaines qui renvoient aux périodes sombres de l’histoire de notre pays ?

Au lieu de s’employer à détourner l’attention des Guinéens, le ministre de la Justice devrait plutôt nous indiquer clairement le niveau d’avancement des « enquêtes » annoncées il y a plus de quatre mois par le procureur général près la Cour d’appel de Conakry, M. Fallou Doumbouya, concernant à la disparition de Foniké, Billo, du Sergent-Chef Soumah et du colonel Célestin Bilivogui. Le corps de ce dernier est réapparu comme par magie à la morgue de l’hôpital Ignace Deen, près d’un an après son arrestation par des gendarmes.

Cette prise de parole du ministre est faite à dessein. Il s’agit d’une stratégie de communication dont le but est de semer le doute dans l’esprit du public par le recours aux termes suivants : « malfrats en uniforme » ou « tenues militaires obtenues par complicité ». Toutefois, cette tentative de diversion soulève plus de questions qu’elle ne fournit de réponses.

Dans l’hypothèse où de simples bandits pouvaient parvenir à se déguiser aussi facilement en militaires, comment expliquer l’inaction, voire l’indifférence des autorités de transition face à cette menace qui ternirait l’image de l’armée ? Pourquoi aucune mesure concrète n’a-t-elle été prise pour identifier et sanctionner ces supposés « imposteurs » qui, apparemment, agissent en toute impunité dans nos quartiers ? Après combien de disparitions forcées les citoyens guinéens peuvent-ils espérer bénéficier de la protection des forces de l’ordre pour se sentir en sécurité ? Où seraient ces bandits ?

Ce discours bancal semble surtout préparer le terrain à l’acceptation d’un éventuel « scénario du pire » pour Foniké Menguè, Billo Bah, Sergent-Chef Soumah, Saadou Nimaga et Habib Marouane Camara. Il vise certainement à conditionner l’opinion publique à envisager l’implication de « forces obscures » et non identifiées, dédouanant ainsi par avance les forces de défense et de sécurité (FDS). Or, cette posture est non seulement irresponsable, mais dangereuse. Elle encourage une culture de l’impunité et fragilise davantage la confiance entre les autorités de la transition et la population.

Crédit Photo : Page Facebook Sylla FonikéMenguè Oumar – La Coordination nationale du FNDC, reçue par le tout nouvel Ambassadeur des États-Unis en Guinée, M. Troy Fitrell, le 16 mars 2022.

 

Il convient de rappeler que Foniké Menguè et Billo Bah ne sont ni des criminels ni des individus inconnus. Ce sont des militants profondément engagés, dont la voix représente celle de milliers de Guinéens qui revendiquent davantage de démocratie et de respect de l’État de droit, aussi bien en Afrique qu’en Guinée. Si les autorités de la transition militaire sont incapables de garantir leur sécurité et de rendre compte de leur sort, c’est l’ensemble de la population guinéenne qui doit s’inquiéter, car cela fragilise les fondements mêmes de l’État.

Plutôt que de multiplier les pirouettes sémantiques, le ministre de la Justice ferait mieux de se montrer concret et de dire aux Guinéens où se trouvent nos compatriotes « disparus » depuis plusieurs mois. Les familles des disparus méritent des réponses claires et des actions urgentes. Car, dans toute République digne de ce nom, la justice ne se cache pas derrière les belles paroles. Elle se traduit par des actes.

Karamoko Kourouma
Citoyen guinéen
Québec

Source: https://www.visionguinee.info/lart-de-detourner-lattention-une-reponse-a-la-sortie-maladroite-du-ministre-de-la-justice-par-karamoko-kourouma/

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