Contre La sansure

« Le pari de la démocratie » ou la loterie du pouvoir absolu ? Réponse à Thierno Amadou Camara

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Mon cher M’bonet,

Je te lis toujours avec attention, parce que ta plume sait être incisive et ta pensée n’est jamais paresseuse. Mais cette fois, permets-moi de te dire : tu débordes un peu – et je me sens obligé de remettre un peu d’ordre dans ton raisonnement.

Tu nous proposes un texte qui ressemble à une plaidoirie bien ficelée pour le CNRD : tu parles de « pari de la démocratie », tu invoques « l’exemple nigérien » comme repoussoir, et tu peins l’opposition en enfant gâté, nombriliste et incapable d’être à la hauteur de l’Histoire.

C’est habile. Mais c’est aussi, pardonne-moi, un brin trop commode.

« Le pari » n’est pas la preuve

Tu parles du « pari » de Mamadi Doumbouya comme s’il s’agissait d’un acte de foi héroïque : je te rappelle qu’un pari, c’est par définition aléatoire. Gouverner, ce n’est pas jouer à pile ou face avec la destinée d’un peuple. Il ne suffit pas de promettre des élections pour être démocrate ; encore faut-il les organiser, avec des règles claires et une neutralité de l’État. Or nous attendons encore ces gages, pendant que le calendrier s’efface comme une vieille ardoise.

L’exemple nigérien, vraiment ?

Tu brandis le Niger pour nous effrayer : le CNRD serait vertueux « en comparaison ». Je te comprends : il est plus facile de briller quand on se compare au pire. Mais la démocratie n’est pas un concours de « moins pire ». Elle s’évalue sur la capacité à respecter la parole donnée, à rendre des comptes et à garantir les libertés publiques. De ce point de vue, la comparaison avec le Niger n’est pas un argument : c’est une diversion.

L’opposition nombriliste ? Une belle projection

Tu reproches à l’opposition de se regarder le nombril. Mais enfin ! Que fait le CNRD sinon s’auto-congratuler ? Cette transition s’est muée en pouvoir personnel, où l’on célèbre ses propres discours, où l’on confond les intérêts de la Nation et ceux du clan, et où l’on traque toute voix dissonante. Avant de parler du nombril des autres, il faudrait peut-être examiner la circonférence du sien.

La main tendue ou la mainmise ?

Tu évoques la « main tendue » du CNRD : je vois plutôt une mainmise. Menaces judiciaires, arrestations sélectives, intimidations, expropriations, manipulations administratives : voilà le dialogue offert. La « concertation » n’est qu’un théâtre d’ombres où les décisions sont déjà écrites en coulisses.

La transition éternelle

Tu sembles croire à la sincérité de leur engagement. Libre à toi ! Mais nous avons appris que les promesses d’un pouvoir militaire sont élastiques : elles s’étirent à mesure que l’appétit grandit. Le piège des transitions sans fin est connu : « Donnez-nous encore un peu de temps » devient vite « Donnez-nous tout le temps ».

La vertu par le discours

Je te vois louer leur « sens des réalités », leur « patience », leur « sens de la refondation ». Je te crois sincère : tu veux y croire. Mais c’est précisément la force des régimes autoritaires : ils excellent dans la communication, dans la promesse de lendemains radieux, dans le storytelling héroïque. Pendant ce temps, la réalité est moins photogénique : finances publiques trouées, justice instrumentalisée, libertés fragilisées, dialogue national momifié.

Un mot sur le courage

Tu reproches à l’opposition de manquer de courage. Permets-moi de sourire : c’est un vrai sport de combat que d’être opposant dans cette transition ! Il faut du courage pour continuer à parler quand on sait que la police, la justice et la propagande sont braquées sur vous. Si tu veux louer le courage, regarde donc du côté de ceux qui refusent la soumission, pas seulement de ceux qui l’organisent.

Mon cher M’bonet, je te respecte trop pour croire que tu es dupe. Je pense même que tu sais tout cela. Mais cette fois, ta plume a cédé au confort de la défense partisane : tu as voulu maquiller un pouvoir prédateur en réformateur patient.

Tu appelles ça « un pari pour la démocratie » ? Moi, je vois une loterie pour le pouvoir absolu.

Je te laisse la propriété de tes illusions ; je garde la mienne : qu’un peuple finit toujours par se réveiller.

Avec tout mon respect, et toute ma franchise.

Alpha Issagha Diallo


Observateur têtu, républicain inquiet, démocrate sans illusions mais sans résignation.

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