L’enterrement du flingueur (suite)
Nous sommes toujours à Labé, cette fois, dans la cour de la villa Syli, ce lieu jadis réservé à l’honneur administratif, aujourd’hui transformé en salle de cérémonie pour les redditions publiques. La Constitution version CNRD — surnommée “le chiffon de l’oubli collectif” — y est distribuée comme un diplôme de trahison.
La veille, le gouverneur Robert Soumah avait offert à Cellou Baldé un baiser politique empoisonné, sous les yeux du peuple. Aujourd’hui, le ministre stratège Mory Condé veut le bouquet final : une prise de parole.
— « Colonel, il doit parler. Offrons-lui la dernière pelle de sable sur sa propre tombe. »
Le gouverneur hoche la tête :
— « Il est prêt. Il a tout répété. Même les acrobaties. »
Puis, se tournant vers son ministre, le sourire large comme un enterrement réussi :
— « Excellence, cette fois, il lira son testament politique devant témoins. »
Discours du contorsionniste en chef
Cellou Baldé se lève. Boubou indigo immaculé, bonnet pouto bien droit, posture noble. Mais la bouche, elle, va faire le sale travail :
« Mes chers compatriotes, ce texte que nous recevons est une boussole pour notre avenir… »
« Il est vrai qu’hier, mes mots étaient durs. Mais aujourd’hui, j’ai compris. L’homme sage ne campe pas dans la colère… »
« Je rends hommage au général président pour sa clairvoyance… »
Un murmure glacial traverse la foule :
— « Celui-là, il pourrait réciter la Constitution sur la tombe de l’UFDG. »
Cellou continue, olympien :
« Je remercie le ministre Mory Condé, dont la stratégie nous mène enfin vers la paix. »
« Et je félicite le gouverneur Robert Soumah, rigoureux, impartial… visionnaire. »
Ce n’est plus un discours. C’est une auto-flagellation publique avec des roses empoisonnées.
Alpha Boubacar Bah, la honte qui rit
Sur le côté, Alpha Boubacar Bah est assis. Boubou sombre, regard grave, fierté évaporée. Lui aussi a retourné sa veste, mais mal cousue. Le tissu pend, la honte déborde.
Il regarde Cellou Baldé avec des yeux de hyène blessée :
— « Tu as vu comment il parle ? Il veut nous enterrer à lui seul. Ce n’est plus une reddition, c’est un spectacle. »
Diakariaou Bournombo, plus discret, casquette enfoncée jusqu’aux oreilles :
— « Il nous a toujours écrasés. Aujourd’hui, il nous rejoint… mais il nous dépasse encore… dans la honte. »
Alpha Boubacar serre les dents :
— « Moi j’ai retourné ma veste, oui. Mais lui, il l’a repassée, parfumée et offerte au CNRD avec un nœud. C’est un prodige de la souplesse morale. »
Un autre murmure fuse derrière :
— « Alpha, tu peux rire, mais c’est lui qu’on photographie. Toi, on t’oublie. Même dans la trahison, il vous domine. »
La vengeance du sage
À la fin de la cérémonie, alors que le brouhaha commence à retomber, un journaliste de la RTG, curieux, tend son micro à Elhadj Ibrahima Sampiring Diallo. Il avait remarqué chez le vieux une grimace fugace, un léger tressaillement du cou pendant le discours de Cellou Baldé.
Le sage sourit, puis prend la parole. Sa voix est posée, son ton doux. Mais ses mots sont des lames de rasoir bien polies :
— « Je ne sais pas au nom de qui il a parlé. Peut-être au nom du vent. Mais je sais une chose : Cellou Baldé parle bien. »
— « Il parle si bien qu’il pourrait défendre l’incendie de sa propre maison… avec poésie. »

Quelques rires étouffés dans le cercle.
Il continue, implacable :
— « Le CNRD aura besoin de lui. À vrai dire, nous avons beaucoup de choses indéfendables à défendre. Et Cellou Baldé, lui, sait transformer un naufrage en symphonie. »
— « À sa place, je n’aurais pas osé. Mais il faut reconnaître : il a du courage… ou un talent unique pour la gymnastique verbale. »

Le gouverneur tend la Constitution, comme on remet un tablier à un cuisinier repenti. Cellou Baldé la saisit avec les deux mains. Le photographe immortalise l’instant.
On entend quelqu’un murmurer :
— « C’est la photo de la soumission. Elle ira dans les archives de la trahison nationale. »
Trois hommes, une fosse commune
Ils sont là.
Cellou Baldé, flamboyant dans sa chute.
Alpha Boubacar Bah, bouffon jaloux de ne pas avoir mieux chuté.
Diakariaou Bournombo, silhouette floue d’un renoncement sans style.
Ils ont tous trahi, mais aucun n’a réussi à dominer dans la défaite comme Cellou Baldé. Même dans la honte, il les surclasse.
Et c’est ça, le plus triste.
La villa Syli n’a pas vu naître une nouvelle Constitution. Elle a vu mourir les dernières illusions. Et Cellou Baldé a lu l’oraison funèbre… en souriant.
Alpha Issagha Diallo
Observateur hilarant d’un enterrement tragi-comique politique.
