Les pays de l’AES se retirent comme annoncé de la Cedeao. Que se passera -t-il ensuite ?
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Les appels du pied, les négociations et les propositions de concessions n’y ont rien fait : comme annoncé il y a un, le trivium du Sahel met à exécution sa menace de sortie de la Cedeao fondée exactement il y a un demi-siècle.
La Commission de la CEDEAO, déclare avoir mis en place une structure pour faciliter les discussions avec les trois pays dirigés par la junte, le Burkina Faso, le Mali et le Nigeria, qui quittent officiellement le bloc aujourd’hui.
Dans un communiqué publié mercredi matin, la Commission a déclaré qu’elle entendait éviter la confusion et les perturbations dans la vie et les affaires des populations de la CEDEAO et des pays du Sahel pendant la période de transition.
« Le retrait du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger de la CEDEAO est devenu effectif aujourd’hui, 29 janvier 2025. Cependant, dans l’esprit de la solidarité régionale et dans l’intérêt des populations, ainsi que la décision de l’Autorité de la CEDEAO de garder les portes de la CEDEAO ouvertes, toutes les autorités compétentes à l’intérieur et à l’extérieur des États membres de la CEDEAO sont priées et tenues de permettre aux citoyens des trois pays touchés de continuer à jouir du droit de circulation, de résidence et d’établissement sans visa conformément aux protocoles de la CEDEAO jusqu’à nouvel ordre », a déclaré le communiqué.
Le statu quo, en attendant
La Commission a précisé que la CEDEAO continuerait à reconnaître les documents de voyage et les cartes d’identité portant le logo de la CEDEAO détenus par les citoyens du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger, jusqu’à nouvel ordre ; et continuerait également à traiter les biens et les services provenant des trois pays conformément au système de libéralisation du commerce et à la politique d’investissement de la CEDEAO.
La Commission a noté que ces dispositions seront en place jusqu’à ce que l’autorité des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO détermine les modalités de l’engagement futur avec les trois pays.
C’est un moment décisif pour les dirigeants du bloc régional qui voient trois membres partir à la suite de désaccords politiques sans précédent.
Les pays du Sahel étaient des membres fondateurs de ce qui était une union économique de 15 membres, dont le nombre a été réduit à 12.
Entre-temps, la CEDEAO a demandé des réunions avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger aujourd’hui, dans un dernier effort pour convaincre les trois pays de rester dans le bloc.
Mardi, des rassemblements de manifestants pro-junte ont eu lieu dans les trois pays et d’autres sont attendus aujourd’hui.
Les pays voisins du Sahel prévoient également de délivrer un nouveau document de voyage qui entrerait en vigueur à partir d’aujourd’hui, pour coïncider avec leur retrait et remplacer le passeport de la CEDEAO.
Les dirigeants de la junte, désormais regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont déclaré que cette initiative s’inscrivait dans le cadre des efforts visant à renforcer la coopération entre les États membres.
La CEDEAO indique que les États du Sahel disposent d’une période de grâce de six mois, qui s’étendra jusqu’en juillet, pour reconsidérer leur position, s’ils décident d’être réadmis.
Ces points en suspens après le retrait
Pour l’instant aucun chronogramme de négociation n’est établi, mais les parties prenantes devront nécessairement trouver un accord sur certains points, en premier la libre circulation des biens et des personnes.
Loin d’être un hasard de calendrier, le 29 janvier, les pays de l’AES lancent un nouveau passeport pour sleurs ressortissants. Néanmoins, ces derniers pourront continuer d’utiliser leur passeport Cedeao jusqu’à la fin de la validité.
Reste aussi l’épineuse question des fonctionnaires de la Cedeao, ressortissants de l’AES. Le juriste Abodulaye Diallo estime qu’un « cadre transitoire » doit être trouvé pour les remplacer. A l’en croire, ce n’est plus possible de les laisser travailler dans ces institutions même si Adama Gaye est favorable au maintien des plus compétents.
Une Cedeao affaiblie ?
Ayant été le premier à diriger le département de la communication de la Cedeao entre 1992-1996, le journaliste sénégalais Adama Gaye évoque en cette circonstance une « triste coïncidence » du bloc régional qui célèbre cette année ses 50 ans d’existence.
D’abord pour le symbole. Il ne se fait pas prier pour parler d’une «gifle » à l’image et à la crédibilité de l’entité. Abdoulaye Diallo, juriste ayant consacré son mémoire à la Faculté des droits de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sur la citoyenneté au sein de l’espace régional, n’en dit pas le contraire. « Une décision malheureuse », « un mauvais précédent » pour l’intégration africaine, déplore-t-il.
Faisant l’historique du bloc régional, fondé par le traité de Lagos signé, le 28 mai 1975, il diagnostique plusieurs failles majeures. « Force est de constater que la Cedeao a échoué dans l’une de ses missions principales en tant que communauté économique : l’élimination de la pauvreté dans la région. Elle a échoué également dans le processus de démocratisation amorcé dans les années 90. Sans parler de tensions transfrontalières », énumère le communicant.
Le juriste Diallo fait le parallèle avec la géopolitique mondiale, notamment le retour de Donald Trump au pouvoir pour dédramatiser. «L’heure est plutôt au repli identitaire et au souverainisme», souffle-t-il.
Qu’est-ce qui a été à l’origine de la rupture entre l’AES et la CEDEAO ?

Beaucoup de choses ont changé entre les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), le Burkina Faso, le Mali et le Niger et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
A la suite des différents coups d’Etat au Mali en août 2020 et mai 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023, les relations entre la CEDEAO et les trois pays se sont détériorées. L’institution régionale suspend les pays de ses institutions et décrète contre eux des sanctions économiques.
L’organisation sous-régionale avait même menacé d’intervenir militairement au Niger si la junte n’avait pas libéré le président Bazoum retenu en otage.
Les trois pays annoncent la création d’une force militaire conjointe pour lutter contre le terrorisme et se rapprochent de nouveaux partenaires comme la Russie.
Ils annoncent la création d’une banque d’investissement commune, ainsi qu’une télévision et un passeport biométrique.
Selon Paul Amegankpo, Directeur du Think Tank Institut Tamberma pour la Gouvernance (ITG), la radicalisation de l’AES vis-à-vis de la CEDEAO est née du simple fait que les chefs militaires qui dirigent ces pays voulaient gagner du temps en se soustrayant des règles démocratiques promues par la CEDEAO.
« La position radicale des dirigeants des pays en transition de l’AES vis-à-vis de la CEDEAO, découle du fait qu’ils ont compris que, pour avoir une transition plus longue, et surtout pour avoir des règles de jeu qui leur permettront de pouvoir être candidats lors des prochaines élections, pour continuer à diriger ces pays en transition, il va falloir se soustraire des règles démocratiques prévues par le Protocole additionnel de la CEDEAO », explique le Togolais.
Ce protocole « exige un retour à l’ordre constitutionnel à travers des élections libres et démocratiques qui devraient être organisées dans un délai court ne dépassant pas de quatre mois et qui permettraient aux civils de revenir au pouvoir ».
« Ceci exclut d’emblée les dirigeants des pays de l’AES qui sont en transition et qui voudraient naturellement continuer à diriger leur pays », soutient Paul Amegakpo.
Or, « cet instinct de conservation du pouvoir était antinomique par rapport aux règles démocratiques de la CEDEAO », indique-t-il.
« Dans cette configuration, il y a eu l’exemple du Tchad où le président Idriss Deby a dû conduire un processus, rapide certes, mais un processus qui a préparé les voies pour sa candidature et la possibilité pour qu’il continue à diriger le pays », rappelle-t-il.
« Actuellement, cette position est confortée par le Gabon où la transition ferait probablement deux ans maximums, mais où le président de la transition a la possibilité d’être candidat et donc de pouvoir continuer à diriger le pays », poursuit-il.
Pour finir, l’analyste togolais signale deux obstacles majeurs : « d’abord, la limite du temps de conduite de la transition et ensuite, les contraintes liées à l’impossibilité pour les dirigeants militaires d’être candidats aux prochaines élections, au niveau des pays de l’AES ».
Paul Amegankpo estime que « ce sont des positions inconciliables avec la logique, les principes et les valeurs définis au niveau de la CEDEAO ».
Par Amadou Woury Barry
BBC Afrique