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Les pays en développement peuvent-ils s’affranchir des institutions financières internationales ?

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Depuis plus de 70 ans, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) influent sur les politiques économiques des pays du Sud. Créées pour stabiliser l’ordre financier mondial, ces deux institutions sont devenues les arbitres des crises, les architectes des réformes, mais aussi les créanciers incontournables en périodes de turbulence. Mais avec le vent de souverainisme qui souffle sur le continent, les pays africains en développement peuvent-ils vraiment se passer du soutien financier du Fonds monétaire international ?

Aujourd’hui, la Chine prête davantage que la Banque mondiale, les BRICS ont leur propre banque de développement et la coopération Sud-Sud s’intensifie.

Le recours grandissant à ces nouvelles alternatives nourrit l’idée d’une possible indépendance, avec les pays du Sud qui tentent néanmoins de s’émanciper.

En Afrique, de nombreux pays comme l’Éthiopie, le Kenya, entre autres, se tournent vers la Chine pour financer leurs infrastructures (chemins de fer, stades, etc.).

En Asie, le Sri Lanka et le Pakistan oscillent entre Pékin et Washington.

En Amérique latine, l’Argentine et l’Équateur veulent rompre avec les programmes d’austérité, tout en négociant des accords bilatéraux.

Mais vu que ces alternatives comportent leurs propres dépendances, le FMI demeure le seul véritable prêteur en dernier ressort.

Lorsque le Ghana, le Pakistan ou l’Argentine ont traversé des difficultés financières, aucun autre bailleur n’a pu débloquer rapidement des fonds pour leur venir en aide. Quant à la Banque mondiale, elle reste cruciale pour les infrastructures essentielles, comme les routes, l’énergie, l’eau, etc., là où peu d’investisseurs privés osent s’aventurer.

Quel est le rôle des institutions financières ?

Washington, D.C., États-Unis, 29 mars 2025 : Inscription "Fonds monétaire international" sur le mur du bâtiment.
Crédit photo, Getty Images

 

« Le rôle des institutions financières comme celles de Bretton Woods (le FMI et la Banque mondiale), (…) c’est vraiment d’aider les pays à pouvoir payer leurs dettes et à pouvoir payer leur balance de paiement en utilisant ce qu’on appelle les droits de tirage spéciaux (DTS) ou Special Drawing Rights (SDR) », explique Dr Seydou Bocoum, économiste hétérodoxe sénégalais, membre du Laboratoire de Recherches économiques et monétaires (LAREM).

« Et ce sont les produits du FMI qui sont un paquet de monnaie, où c’est 43 % de dollars, 29 % d’euros, 12 % de yuans chinois, 7 % des yens japonais et 7 % de livres sterling », ajoute-t-il.

« Donc, ce paquet de monnaie que composent les droits de tirages spéciaux, c’est ce qu’utilise le FMI pour aider les pays à pouvoir payer leur balance commerciale, à pouvoir payer leurs dettes. Voilà, ce qu’est le rôle du FMI », confie Dr Bocoum.

Créées en 1944, lors de la Conférence de Bretton Woods, le FMI et la Banque mondiale sont deux piliers du système économique et financier international. Ils sont souvent cités ensemble mais leurs missions sont différentes et complémentaires.

Alors que le FMI a pour mission de stabiliser le système monétaire international par la prévention, la gestion des crises économiques (inflation, dévaluation, déficit extérieur, manque de devises) et l’aide aux pays en difficultés par des prêts ou des conseils d’ajustement économique ; la Banque mondiale vise quant à elle le développement à long terme. Elle finance des projets de développement (routes, énergie, eau, écoles, agriculture, hôpitaux, etc.), pour réduire la pauvreté et renforcer les capacités institutionnelles. Elle accorde des prêts à long terme et quelques fois des dons.

Les deux institutions coordonnent leurs actions pour éviter qu’un pays ne soit soumis à des politiques contradictoires.

Mais dans ce cas, les pays africains en développement peuvent-ils vraiment se passer du soutien financier des institutions financières internationales ?

Les pays en développement peuvent-ils se passer du FMI ?

Abebe Selassie, directeur pour l'Afrique au Fonds monétaire international (FMI), lors des réunions d'automne du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale au siège du FMI à Washington, DC, États-Unis, le jeudi 16 octobre 2025.
Abebe Selassie, directeur pour l’Afrique au Fonds monétaire international (FMI), lors des réunions d’automne du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale au siège du FMI à Washington, DC, États-Unis, le jeudi 16 octobre 2025. Crédit photo, Getty Images

 

Sans doute, oui, si l’on suit l’argumentation faite par l’économiste sénégalais Dr Seydou Bocoum.

« Oui, les pays en voie de développement, peuvent se départir du FMI. Le Botswana n’a pas de programme avec le FMI. Le Nigéria aussi, en ce moment, n’a pas de programme avec le FMI. Donc, ce n’est pas que les pays ont besoin du FMI, il aide les pays qui ont des problèmes. Donc, ça dépendra maintenant de quelle architecture financière et économique le pays a pour pouvoir s’en sortir. Donc, ce n’est pas quelque chose qui est indéniable ou dont on a besoin vraiment. Non, Les pays peuvent s’en sortir sans le FMI », a souligné Dr Seydou Bocoum.

Si bien qu’il y a certains pays africains en difficultés financières dépendants des programmes du FMI, comme le Ghana, la Zambie et l’Éthiopie, d’autres à l’instar de l’Angola, de la RDC et du Kenya font massivement recours à des prêts chinois pour leurs infrastructures.

En lui rappelant la capacité financière du Nigéria qui dispose de recettes pétrolières en tant que pays producteur, comparée à la situation du Sénégal qui ne bénéficie pas encore totalement de sa production, Dr Bocoum souligne que « la zone UEMOA peut régler le même problème que le Nigéria ».

« On a assez d’argent dans la zone UEMOA. La BCEAO peut jouer le même rôle que le FMI (puisqu’elle) est excédentaire. La BCEAO a 5.4 mois de salaires, de paiements de balance commerciale. J’ai dit 5.4 mois de paiements de balance commerciale, de réserves. (…) Donc, elle peut jouer le même rôle que le FMI », ajoute-t-il.

Selon lui, « c’est la structure que nous avons au Sénégal qui pose des problèmes ». Mais l’économiste estime que « si la BCEAO jouait son rôle de prêteur de dernier recours, on n’aurait pas tous ces problèmes que nous avons ».

« Le Sénégal n’a pas besoin du FMI », soutient Dr Seydou Bocoum.

Pour sa part, Jean-Claude Kouadio, éditorialiste béninois spécialisé dans les questions économiques, pense le contraire, dès lors que les pays africains ne disposent pas suffisamment de ressources financières et minières.

« Je ne crois pas à l’étape actuelle, même si je dois peut-être relativiser pour le cas du Sénégal (…) parce que je crois que le Sénégal a un peu plus de ressources, et que le PIB, ainsi que le niveau de vie des Sénégalais, me paraissent légèrement supérieurs au niveau de vie et au PIB du Bénin. Mais pour le cas du Bénin, je crois que ce serait difficile, voire impossible au stade actuel. L’Appui des institutions internationales est très attendu pour accompagner le Bénin », souligne M. Kouadio.

Selon lui, étant donné que « les budgets sont essentiellement basés sur le fisc, c’est-à-dire sur les impôts des citoyens », et que « de telles ressources sont insuffisantes pour assurer l’ensemble des charges qui incombent à l’Etat », « l’appui des partenaires au développement devient très important pour prendre en charge un certain nombre de paramètres qui relèvent par ailleurs de la souveraineté des États ».

Qu’est-ce qui bloque entre le Sénégal et le FMI ?

Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko s'adresse à ses partisans lors d'un rassemblement à Dakar, le 8 novembre 2025.
Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko s’adresse à ses partisans lors d’un rassemblement à Dakar, le 8 novembre 2025. Crédit photo, Getty Images

 

Le Sénégal et le FMI ne sont pas sur la même longueur d’ondes ? Malgré les nombreuses séances de travail, il semble qu’il y a un blocage dans les négociations entre les deux parties.

Le Sénégal continue de faire face à d’importantes pressions liées à sa dette qui est estimée à 132 % du PIB à la fin de l’année 2024, dont 4 % d’arriérés de paiement intérieur, selon les données officielles du Fonds monétaire international.

Le FMI n’a pas encore débloqué de nouveaux programmes de financement pour le Sénégal à cause d’inexactitudes dans les chiffres de la dette. Mais il a dépêché à Dakar une délégation conduite par son directeur du département Afrique, Abebe Aemro Selassie, pour enquêter sur la situation et clarifier les choses.

« Le président Faye et moi-même avons eu des discussions constructives sur la situation économique du Sénégal et sur les mesures prises par le gouvernement pour remédier à la situation des fausses déclarations », avait indiqué M. Selassie à l’issue de sa rencontre le 7 avril 2025 avec le président Bassirou Diomaye Faye.

« Nous avons discuté des mesures prioritaires nécessaires pour surmonter les principaux défis économiques auxquels le pays est confronté. À cet égard, j’ai appuyé que le FMI partageait les priorités du président, à savoir rétablir la transparence budgétaire, renforcer la redevabilité et placer les finances publiques sur une trajectoire durable », avait ajouté le directeur Afrique du FMI.

A cette occasion, M. Selassie avait évoqué « la volonté du FMI de continuer à soutenir les efforts du Sénégal » et « (son) engagement à maintenir et à renforcer (le) partenariat de longue date ».

Malgré une nouvelle mission dépêchée à Dakar, du 22 octobre au 6 novembre dernier, pour examiner les progrès réalisés dans la mise en œuvre des mesures correctives liées à la dette, rien n’avait véritablement changé.

Lors du terra-meeting tenu le samedi 8 novembre 2025 à Dakar, le Premier ministre Ousmane Sonko avait rejeté la proposition du FMI visant à restructurer la dette du pays.

Une décision approuvée par Dr Seydou Bocoum. « Le problème, je pense qu’il est simple. Le FMI veut des conditionnalités, une restructuration de la dette. Ce qui est très mauvais pour le Sénégal. C’est très (très) mauvais pour le Sénégal. Une restructuration de la dette, les conditionnalités du FMI, ça c’est très mauvais », affirme-t-il.

« Aucun Premier ministre ne doit l’accepter. Ce serait faire comme Abdou Diouf : accepter les plans d’ajustement structurel. Donc, le FMI ne marche que comme ça. Ce qu’on appelle le consensus de Washington, un modèle qui n’aide pas (vraiment) les pays à se développer. Donc, il faut dire non au FMI », poursuit-il.

Qu’est-ce qu’un plan d’ajustement structurel ?

En effet, dans les années 1980-1990, le Sénégal, comme beaucoup de pays africains, avait mis en œuvre des plans d’ajustement structurel sous la pression du FMI et de la Banque mondiale.

À la fin des années 1970, le Sénégal faisait face à une baisse des recettes d’exportation (avec le secteur arachidier en crise), une forte dette extérieure, une administration publique coûteuse, une balance des paiements déficitaire, une croissance faible, et une dépendance accrue vis-à-vis de l’aide extérieure.

Quand Abdou Diouf arrive au pouvoir en janvier 1981, le pays était déjà engagé dans un cycle de négociations avec le FMI et la BM, qui lui imposent une série de réformes économiques libérales pour « remettre l’économie à niveau ».

Le FMI avait suggéré un plan d’ajustement macroéconomique pour stabiliser les comptes publics du Sénégal.

Des mesures clés avaient été prises par une réduction des dépenses publiques (gel des salaires des fonctionnaires, baisse du nombre d’agents recrutés), une suppression ou réduction des subventions (riz, carburant), une dévaluation interne avant la dévaluation du franc CFA de 1994, des réformes fiscales pour élargir la base d’imposition, etc.

La Banque mondiale s’était attaquée à l’ajustement structurel par une réforme en profondeur de l’économie pour la rendre plus « compétitive ». Pour se faire, une série de privatisations des entreprises publiques (télécoms, eau, banques, transport, etc.) a été entreprise.

Mais d’autres mesures comme la libéralisation du commerce (baisse des droits de douane), la réorientation de l’agriculture vers l’exportation, le désengagement de l’État des secteurs productifs, les réformes des secteurs de l’éducation (introduction de frais, réorientation des filières) et de la santé (coût partagé, introduction du « ticket modérateur ») ont aussi été mises en oeuvre.

Toutefois, ces programmes qui étaient destinés à « corriger » les déséquilibres économiques ont eu des effets sociaux et politiques durables.

Sur le plan social, il y a eu une hausse du chômage à la suite de licenciements massifs du secteur public, une baisse du pouvoir d’achat avec la dévaluation du franc CFA en 1994 qui a fait exploser le prix des produits importés, une crise de l’éducation avec de nombreuses grèves et une hausse du coût de la scolarisation, une crise sanitaire avec l’introduction du paiement dans les centres de santé qui étaient gratuits. Bref, la pauvreté s’était accrue malgré la relance économique d’après la dévaluation.

Sur le plan politique, le parti socialiste, qu’avait hérité Abdou Diouf de Senghor, avait perdu sa légitimité populaire, avec la montée du mécontentement généralisé par des grèves syndicales et estudiantines.

Ces nombreuses frustrations ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’alternance du 19 mars 2000, avec l’élection de Maître Abdoulaye Wade comme troisième président de la République du Sénégal, après plus de 26 ans d’opposition.

Quelle alternative s’offre à ces pays pour financer leur économie ?

Des partisans du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko brandissent des drapeaux sénégalais lors d'un rassemblement à Dakar, le 8 novembre 2025.
« Je crois qu’à ce niveau, ça devient véritablement un problème de souveraineté », souligne Jean-Claude Kouadio. Crédit photo, Getty Images

 

« C’est comme tout citoyen, si vous avez des appuis, des gens qui vous accompagnent en temps ordinaire et que vous décidez de vous mettre en marge de ces soutiens, vous devez développer alors de nouvelles initiatives de résilience, puis après maîtriser vos ressources propres pour pouvoir avancer », explique-t-il en donnant l’exemple des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), qui éprouvent des difficultés en décidant de se passer de l’aide internationale.

« Mais il reste qu’ils sont obligés de collaborer avec d’autres États parce que dans la vie, il est toujours difficile, difficile d’évoluer en autarcie. Et donc on est bien obligé, si on se sépare des soutiens traditionnels, de créer de nouvelles amitiés, de nouvelles relations pour pouvoir bénéficier d’autres soutiens », argumente M. Kouadio.

Toutefois, pour contourner ces difficultés structurelles et financières, Dr Seydou Bocoum propose, en revanche d’utiliser le levier de la création monétaire.

« Tous les pays développés se sont développés par deux leviers : la fiscalité et la création monétaire. Alors que nous, au Sénégal, on n’a jamais eu ce levier de création monétaire. Et tant qu’on n’aura pas ce levier de création monétaire, on ne sera jamais un pays développé », déclare-t-il

« Il faut qu’on prenne notre courage à deux mains. Comme l’avait dit le Premier ministre au Président : ‘Prenez vos responsabilités’. Il faut que les gens prennent leurs responsabilités et (passent) à ce qu’on appelle la création monétaire ».

« Je préconise la solution que tous les pays font : avoir une politique monétaire au niveau de la banque centrale et que la banque centrale, la BCEAO, joue son rôle de prêteur de dernier recours. Tant que la BCEAO ne joue pas son rôle de prêteur de dernier recours, ce pays ne va pas marcher », conseille l’économiste membre du LAREM.

Pour lui, il faut surtout « que les pays en voie de développement cessent d’utiliser la méthode du FMI, qu’on appelle le consensus de Washington, qui a été prouvé par l’Université de Yale par Ian Shapiro, que ça ne marche pas ».

Selon Dr Bocoum, « tous les pays au monde où on a installé la méthode du FMI, ça n’a pas marché ; donc, ça ne marche pas et ça a été démontré par l’une des plus grandes universités au monde, l’Université de Yale en 2019, par le professeur Ian Shapiro ».

Ce dernier, dit-il, « a montré que la politique du FMI ne marche pas parce qu’il souffre de ce qu’on appelle la sélection de la variable dépendante (…) qui ne marche pas en Afrique ».

A son avis, « il faut une politique africaine adaptée aux Africains avec une banque centrale forte ».

Par Mamadou Faye

Journaliste-BBC Afrique

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https://www.bbc.com/afrique/articles/c2emexyl3kro

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