Macky Sall : « Je n’ai pas d’excuses à présenter, puisque je n’ai pas commis de faute »
Dans une interview exclusive qu’il a accordé à la BBC, le président sénégalais qui s’apprête à quitter le pouvoir a fait le bilan de ses deux mandats à la tête du pays, est revenu sur les dernier évènements qui ont précédé la présidentielle du 24 mars 2024.
BBC : Votre mandat prend fin dans quelques jours. Comment aimeriez-vous que l’on se souvienne de votre mandat en tant que Président du Sénégal ?
Macky Sall (MS): Je voudrais laisser à la postérité l’image d’un président qui s’est beaucoup déployé, qui a fait de son mieux pour développer son pays et le mettre sur la rampe de l’émergence. Mais plus que le développement économique ou la croissance, plus que les infrastructures, l’énergie, l’éducation… ce que je veux laisser, c’est la confiance en soi que les Sénégalais peuvent avoir aujourd’hui en voyant qu’il est possible en effet de s’inscrire dans une dynamique de développement et une dynamique d’émergence.
Et ça, je pense qu’à travers ce que nous avons pu faire sur douze années, on peut partir avec le sentiment du devoir accompli. Tout n’est pas fini, tout ne peut pas être fait. Mais le plus important, c’est que nous sommes dans la voie de cette Afrique que nous voulons construire, de ce Sénégal que nous avons voulu construire.
BBC: En ce moment, votre héritage est confronté à un défi. Regrettez-vous la décision de reporter les élections ?
MS: Alors je dois préciser qu’il y a beaucoup de confusion dans ce qui se passe au Sénégal. On a dit le président a reporté les élections.
Rien n’est plus faux. Parce qu’en réalité, il y a eu une décision qui est venue du Parlement de l’Assemblée nationale, où un groupe de l’opposition a saisi le bureau de l’Assemblée pour demander le report de l’élection.
C’est à partir de l’Assemblée nationale que le président de la République a été saisi pour dire que nous avons un projet, un projet de loi constitutionnelle qui va reporter les élections. Et le président est saisi.
J’ai dit je prends acte de votre proposition et j’avais le choix de voir avec le gouvernement, est-ce qu’il faut laisser le temps à l’Assemblée comme il est d’usage ?
« Je voudrais laisser à la postérité l’image d’un président qui s’est beaucoup déployé, qui a fait de son mieux pour développer son pays et le mettre sur la rampe de l’émergence ».
Il fallait laisser le temps à l’Assemblée de voter la loi ou de la rejeter parce qu’on ne savait pas quelle était la direction et laisser le temps au Conseil constitutionnel qui certainement serait saisi après le vote de l’Assemblée.
C’est seulement après ces étapes de l’Assemblée et du Conseil qu’on peut savoir quand est ce qu’on va faire l’élection.
Donc il est tout à fait inapproprié de parler de report par le président de la République. S’il n’y avait pas eu l’Assemblée qui a voté la loi et qui me saisit, il n’y aurait pas eu de report de l’élection.
Donc il est important de mentionner cela. Et tout ce qui a été fait l’a été dans le respect strict de la Constitution du Sénégal. Et vous savez, je me promène toujours avec la Constitution du Sénégal.
Je l’ai toujours en poche aux côtés de mon cœur. Je l’ai toujours, pour toujours me rappeler que les actions que je dois porter en tant que président de la République doivent toujours être conformes à la Constitution.
BBC: Ce que le monde sait, c’est que c’est vous qui avez ordonné au parlement de débattre et non l’inverse ?
MS: Non, il y a une chronologie justement, C’est ça le problème. La chronologie, c’est que l’Assemblée m’a saisi. D’ailleurs, le décret que j’ai pris pour abroger la convocation du corps électoral a pour motivation la saisine de l’Assemblée et le vote d’une loi constitutionnelle pour reporter l’élection.
C’est sur cette base que le décret a été pris et le Conseil constitutionnel lui-même, dit que dès lors qu’il considère que la loi est non conforme à la Constitution, le décret n’a plus de base légale parce qu’il s’appuyait sur cette loi pour retirer la convocation du corps électoral.
Donc il faut quand même qu’on rétablisse les faits dans leur chronologie et dans leur exactitude. C’est exactement cela.
S’il n’y avait pas eu cette loi constitutionnelle, il n’y aurait pas eu un report, le retrait du décret. Donc il faut remettre les choses à l’endroit et ne pas inverser l’ordre des choses.
BBC: Vous avez pourtant joué un rôle dans le report de l’élection. Pourquoi ?
MS: Je voudrais vous dire que vous ne pourrez jamais trouver un discours ou un écrit où j’ai prôné la non-tenue de l’élection. Ça n’existe pas. Je ne l’ai jamais été.
Le 3 février, lorsque je me suis prononcé, les archives sont là. J’ai indiqué que depuis le début du processus électoral, il y a eu des problèmes et des contestations. Cela se traduit même par des accusations de corruption très graves. Et ce dossier, il est en justice.
Donc je ne commente pas. Sur cette base, Il y a eu une proposition de loi, il y a eu une commission d’enquête parlementaire qui a été faite, puis une proposition de loi qui tend à reporter l’élection de six mois.
C’est sur la base de la saisine du Parlement que moi j’ai retiré le décret pour laisser le temps à l’Assemblée nationale de faire son travail. Et cela, je viens de l’expliquer. Il n’a jamais été question.
Et déjà en 2018, dans un livre que j’ai écrit à mes compatriotes pour demander leur confiance pour 2019, je pourrais vous laisser ce livre à la page 165 exactement.
J’ai dit à mes compatriotes après avoir réalisé mon premier mandat de sept ans avec les résultats qu’on a eu, je viens à nouveau solliciter leur confiance en sachant que cette demande et ce mandat que je sollicitais serait le deuxième et le dernier mandat.
Et cela, je l’ai répété le 3 juillet, lorsque j’ai annoncé à la face du monde que je n’allais pas être candidat pour la prochaine élection alors que j’en avais le droit.
Ce droit a été acté par le Conseil constitutionnel en 2016, après le référendum, puisqu’en 2016, lorsque j’ai proposé que le mandat de sept ans soit réduit à cinq ans, j’ai demandé l’application de cette réduction sur le premier mandat et le conseil, dans un arrêt, a indiqué que cela n’était pas possible, que ce mandat obtenu avant le référendum était hors de portée de cette réforme et que les cinq ans ne pouvaient commencer qu’à partir de 2019.
Donc à partir de 2019, j’ai fait un mandat de cinq ans, 2019-2024. Si c’était mon choix, je pouvais parfaitement être candidat. Mais j’ai déjà dit, et c’était mon engagement, que je ne le ferais pas.
Donc à partir de 2019, j’ai fait un mandat de cinq ans, 2019-2024. Si c’était mon choix, je pouvais parfaitement être candidat. Mais j’ai déjà dit, et c’était mon engagement, que je ne le ferais pas.
BBC: Juste pour clarifier à nouveau, avez-vous appuyé le report des élections ?
MS: Il est très clair que lorsque l’Assemblée m’a saisi, j’ai pris acte et le débat s’est passé à l’Assemblée avec les groupes politiques, dont le mien.
Parce que pourquoi, lorsque l’Assemblée m’a saisi, on a voulu qu’il y ait une élection inclusive, plus large, dès lors qu’il y a eu des contestations au départ sur le parrainage, sur les nationalités, etc.
S’il était possible de faire un report pour reprendre le processus, oui. Cela, je l’ai dit publiquement et le dialogue national auquel j’ai appelé l’a indiqué aussi parce que nous voulons, au moment où je pars, que l’élection soit la plus transparente possible, la plus inclusive possible.
« Je suis vraiment étonné et même meurtri par les jugements de valeurs qui sont faits sur ma personne. Moi, si je voulais rester, je serais candidat tout simplement« .
Mais le processus a été entamé et le conseil a estimé qu’on ne peut pas ouvrir et donc on doit aller aux élections avec les 19 candidats qui ont été choisis. Et nous nous sommes pliés à cette décision comme de bons républicains qui mettent la loi au-dessus de tout.
BBC: Votre décision a déclenché une série de réactions. Pourquoi les députés avaient-ils besoin de vous parler ?
MS: Vous êtes en train de mélanger deux concepts. Il y a le président de la République, c’est l’institution. Il y a le parti qui est à l’Assemblée nationale, les groupes politiques.
Ces deux rôles peuvent aller ensemble, et peuvent être différents. La première action lorsque l’Assemblée doit faire un processus comme une proposition de loi, ils doivent me saisir.
C’est la loi, c’est le règlement intérieur et je dois donner mon avis, d’ailleurs, qui ne lie pas l’Assemblée nationale et l’Assemblée continue son programme.
Maintenant, le groupe politique qui est celui de la majorité, a voté en même temps que le groupe de l’opposition et d’autres le report puisque le débat s’était posé sur l’ouverture, l’inclusion et la transparence du processus électoral. Donc c’est très clair, pas de contradiction.
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