Macky Sall le « bâtisseur » laisse un Sénégal transformé et une démocratie lézardée
En 12 ans, Macky Sall, qui quittera la présidence fin mars, a changé le visage du Sénégal à coups de grands travaux, même si la pauvreté reste très présente. Par ailleurs, ces trois dernières années d’agitation, avec des dizaines de morts, ont aussi assombri son bilan.
Ismaïla Bâ, peintre en bâtiment, travaille avec d’autres ouvriers sur l’un des innombrables chantiers sur la corniche de Dakar, capitale en pleine mutation. Comme beaucoup, il se sent exclu de la transformation du Sénégal sous la présidence Macky Sall.
« Je gagne 6.000 francs CFA par jour (9 euros). Comment pourrais-je rêver d’avoir un appartement dans cet immeuble », demande-t-il alors qu’il paie 80.000 francs (122 euros) par mois pour deux chambres pour lui, sa femme et ses deux filles dans le quartier populaire de Ouakam et que le propriétaire menace d’augmenter le loyer.
Ismaïla Bâ, qui vend du café et fait le coiffeur pour arrondir les fins de mois, fait partie de ces Sénégalais qui se croient à l’écart d’une croissance profitable à une minorité dont le niveau de vie tranche avec celui de la grande majorité.
Macky Sall quittera la présidence après l’élection du 24 mars. En 12 ans, il a changé le visage de ce pays de 18 millions d’habitants à coups de grands travaux menés par l’État et le privé, sénégalais ou étranger. Mais un Sénégalais sur trois au moins continue de vivre dans la pauvreté. Le pouvoir a tenté tant bien que mal de contenir des crises multiples. Et trois dernières années d’agitation, avec des dizaines de morts et des centaines d’arrestations, ont assombri le bilan.
Le report de dernière minute de la présidentielle a encore accru la défiance entre une partie de la population et ses dirigeants. M. Sall s’est retrouvé accusé de dérive autoritaire. « Sous son magistère, différents procédés de fermeture de l’espace public et d’entrave à l’exercice des libertés sont hélas devenus familiers », disait l’intellectuel Felwine Sarr dans l’hebdomadaire Jeune Afrique.
Ces dernières semaines, il s’est montré tour à tour fatigué de la présidence et piqué au vif par les attaques et les slogans « Macky Sall dictateur ». « Le Sénégal est un véritable État de droit. J’ai refusé d’être tenté par un troisième mandat. Je suis un démocrate ». Lui et ses partisans vantent son action de bâtisseur. « Le pays dont j’ai hérité était véritablement vétuste » mais il a connu en 12 ans une « transformation structurelle », a-t-il déclaré.
En attendant le pétrole
Le Sénégal sous Macky Sall a accusé le coup de chocs successifs, la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, les restrictions à l’importation de céréales en provenance de la région ou du riz en provenance d’Inde. La croissance soutenue pendant des années a marqué le pas avant de reprendre, jusqu’à être projetée à un niveau inégalé de 9,2% en 2024 grâce aux premières retombées attendues de l’exploitation du pétrole et du gaz.
L’inflation a atteint en novembre 2022 un sommet de 14,1% sur un an, selon la Banque mondiale. Les dépenses engagées pour parer aux crises, protéger les plus vulnérables et relancer l’économie ont accru le déficit et la dette. La dette, à 40% du PIB en 2012, en représentait 69,4% en décembre 2023.
L’économiste-statisticien Moubarak Lô reconnaît que la transformation à marche forcée du pays a « fait le lit de l’endettement », mais c’était nécessaire pour des infrastructures qui « ont changé le visage de Dakar ». « Macky Sall a choisi d’investir dans les infrastructures et a oublié la qualité de vie », objecte l’économiste Cheikh Bamba Diagne.
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