Mali: l’imam Dicko prend la tête d’une nouvelle coalition d’opposition non violente et clandestine
Lancée ce vendredi 5 décembre, la Coalition des forces pour la République (CFR) pose « la résistance » aux militaires en « devoir national » et se fixe pour objectifs le retour à l’ordre constitutionnel, le rétablissement des libertés fondamentales ou encore la préparation d’un dialogue national incluant les groupes armés maliens. Composée de figures majeures de la société civile et de la scène politique maliennes, elle est emmenée par l’ancien président du Haut Conseil islamique du Mali.
Emmené par l’imam Mahmoud Dicko, l’ancien président du Haut Conseil islamique du Mali, et par Étienne Fakaba Sissoko, un universitaire qui vit aujourd’hui en exil après avoir été emprisonné sous la transition, un nouveau mouvement d’opposition – ou de résistance – doit être lancé ce vendredi 5 décembre au Mali. Son nom ? La Coalition des forces pour la République (CFR).
Bâtie par des adversaires des militaires au pouvoir depuis plus de cinq ans dans le pays, la CFR rassemble, outre l’imam Dicko, des personnalités majeures issues de la société civile ou des partis politiques dissous, selon Étienne Fakaba Sissoko, son porte-parole. Pour des raisons présentées comme « stratégiques », ainsi que pour la sécurité de celles qui se trouvent toujours au Mali, leurs noms ne sont pas rendus public.
Sollicitées par RFI, plusieurs figures du mouvement pro-démocratie, qu’elles vivent en exil ou dans le pays, confirment leur implication. D’autres hésitent encore. Certains, enfin, n’ont pas voulu s’associer.
« L’histoire jugera ceux qui auront sauvé le pays »
« La résistance » est « un devoir national », pose le communiqué fondateur, « parce que l’État tue ses propres soldats par incompétence, abandon ou mensonge », « parce que des centaines de civils sont massacrés dans le silence imposé par la terreur », ou « parce que la junte a transformé la souveraineté en slogan et livré notre sécurité à des mercenaires ».
Les objectifs de la CFR sont le retour à l’ordre constitutionnel, la protection des populations, le rétablissement des libertés fondamentales – presse, justice, expression – et la préparation d’un dialogue national incluant les groupes armés maliens. En clair : les chefs jihadistes Iyad Ag Ghaly et Hamadoun Kouffa, du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim), ainsi que les rebelles indépendantistes du Front de libération de l’Azawad (FLA), seraient conviés, conformément aux conclusions de toutes les consultations nationales organisées depuis 2017. L’unité du Mali et les principes républicains seraient toutefois des lignes rouges.
La CFR se veut un mouvement non violent et clandestin, qui appelle les citoyens maliens à la désobéissance civile, les militaires à la « désobéissance éthique » et les magistrats à la « résistance judiciaire ». « L’histoire jugera ceux qui auront sauvé le pays et ceux qui auront obéi au détriment du peuple », assène encore le communiqué.
Étienne Fakaba Sissoko est le porte-parole et l’un des fondateurs de la Coalition des forces pour la République, le nouveau mouvement d’opposition pro-démocratie lancé vendredi 5 décembre au Mali.

RFI : La Coalition des forces pour la République (CFR) que vous lancez est menée par l’imam Mahmoud Dicko qui pouvait à lui seul remplir des stades il y a quelques années. Il a également été une figure de proue du mouvement de contestation contre l’ex-président IBK en 2020, avant le coup d’État militaire. Aujourd’hui exilé en Algérie et silencieux depuis plusieurs années, peut-il toujours fédérer les Maliens ?
Étienne Fakaba Sissoko : La création de la CFR est la preuve évidente qu’il peut encore fédérer les Maliens. Parce qu’aujourd’hui, la quasi-totalité des acteurs de la société civile, des partis politiques qui sont dissous, se sont retrouvés autour de l’imam Dicko, qui reste le référent républicain de ce mouvement. L’imam Dicko n’a jamais été un un chef politique. Il ne l’a d’ailleurs jamais cherché. Il n’a pas eu vocation à gouverner. Son rôle aujourd’hui, c’est de rééquilibrer et de rétablir la confiance entre les Maliens, d’ouvrir des canaux de dialogue. Donc plus un rôle de facilitateur.
Certains lui reprochent ses accointances avec l’islamisme radical, voire avec les groupes jihadistes…
À lui seul, le nom du mouvement répond à cette question. Nous parlons aujourd’hui de « Coalition des forces pour la République », ce qui veut dire que les valeurs républicaines seront sauvegardées, que la démocratie sera sauvegardée, que l’intégrité du territoire, l’indivisibilité du pays, est consacrée dans les lignes directrices de notre mouvement. Je suis chrétien. Vous comprenez aisément que mon intention, mon combat, mon engagement ne sera jamais d’encourager l’islamisme, mais d’établir, comme l’imam le fait, un climat où finalement les Maliens peuvent vivre en paix.
À propos de l’anonymat des membres de votre coalition qui est préservé, on le comprend aisément, pour des raisons de sécurité, en ce qui concerne ceux qui sont toujours au Mali. Mais pour ceux qui vivent en exil, pourquoi ne pas s’afficher ?
C’est une question de choix politique: aujourd’hui, la question est de mettre en avant un idéal.
On pourrait croire aussi que c’est parce qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux ou représentatifs…
Ceux qui sont à l’étranger vont progressivement sortir de l’anonymat et, dans les prochains jours, vous verrez ce que vaut cette coalition sur le plan politique, mais aussi ce qu’elle pèse à l’intérieur du pays.
Le Mali traverse actuellement une période très difficile, avec notamment l’embargo sur le carburant décrété par le Jnim. Le moment n’est-il pas plutôt à l’union derrière les autorités et l’armée ?
Les autorités, comme vous les appelez, ont aujourd’hui cinq ans de règne. Et pendant ces cinq ans là, aucune voie de discussion n’a jamais abouti. Au contraire : ces autorités ont assumé une position de division des Maliens et de division du Mali avec ses différents partenaires régionaux et internationaux. Les invectives sont finalement devenues un modèle de gouvernement. Sinon, comment expliquer aujourd’hui que des gens soient encore en prison pour avoir twitté, que des gens soient en prison pour avoir exprimé librement et pacifiquement leur opinion ? Comment expliquer que des partis politiques, symboles de la démocratie, soient aujourd’hui dissous ? Avec ces autorités-là, l’union n’est pas possible. Avec ces autorités-là, la paix n’est pas possible, parce qu’elles ne sont pas dans cette dynamique. Leur régime prospère en raison de ce climat qu’elles entretiennent. La crise devient l’alibi parfait pour que leur règne puisse perdurer. C’est ce cycle-là qu’il faut arrêter.
Aujourd’hui, vous prônez le dialogue avec les groupes jihadistes maliens mais aussi avec les rebelles indépendantistes du Front de libération de l’Azawad (FLA). Est-ce conciliable avec la souveraineté et l’unité du Mali ?
Nous comprenons les inquiétudes des uns et des autres au regard de ce que nous voyons aujourd’hui. Mais rappelons-le : aucune crise armée de cette nature ne s’est réglée uniquement par les armes. Jamais dans aucun pays on est arrivé à la paix sans que chaque partie fasse des concessions. Le dialogue est une méthode rationnelle. Avec le FLA, ce que nous refusons catégoriquement, c’est la partition du pays. Mais nous assumons qu’il faut repenser l’organisation territoriale, administrative et institutionnelle de notre pays. Avec les groupes armés maliens [les groupes jihadistes, NDLR], nous disons que le dialogue sera strictement entre Maliens, que le dialogue sera strictement républicain et strictement orienté vers la fin des violences, parce que le sang des Maliens a trop coulé. L’objectif premier, c’est que les armes se taisent, c’est de sauver des vies, c’est de reconstruire un Mali uni mais mieux organisé. C’est la seule stratégie crédible aujourd’hui pour sortir d’une guerre qui a duré plus d’une décennie.
Vous appelez les Maliens au Mali à des actions clandestines. De quelle sorte ?
De toutes sortes. Dénoncer les maux qui minent aujourd’hui notre pays, dénoncer cette transition qui tourne à l’autoritarisme : toute action qui peut aujourd’hui concourir au départ de cette junte doit être menée. Nous sommes des démocrates et nous agirons en démocrate. Nous sommes des républicains et nos actions seront pour protéger la République et pour sauvegarder la République. Je veux dire aux Maliens que le temps de la peur est terminé, que le sang doit cesser de couler, que le pays peut retrouver la paix. La CFR n’est pas un projet de confrontation, c’est un projet de reconstruction et nous avons besoin de tous : jeunes, femmes, cadres, religieux, militaires, communautés. Le Mali peut se relever et nous allons y travailler avec sérieux, avec courage et avec responsabilité.
