Niagalé Bagayoko: Emmanuel Macron a adopté «une posture plus humble et moins arrogante» sur l’Afrique
Comment la France pourra-t-elle diminuer ses effectifs militaires en Afrique tout en continuant à aider les États africains à lutter contre les jihadistes ? Niagalé Bagayoko préside à Accra, au Ghana, le centre de recherche African security sector network. Elle constate que, dans son discours du 27 février 2023 à l’Élysée, Emmanuel Macron a adopté une posture plus humble, moins arrogante, que dans le passé. Mais elle s’interroge sur la stratégie militaire du président français, un micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : « Ma conviction, dit Emmanuel Macron, c’est que les différents États africains, y compris ceux qui se sont tournés vers la solution Wagner de court terme, finiront par s’en passer. » Est-ce pour cela que le président français n’a pas voulu entrer dans une polémique avec la Russie et Wagner pendant son discours de ce lundi ?
Niagalé Bagayoko : Alors cet espoir d’essoufflement de l’acteur Wagner est une hypothèse qui me paraît crédible sur le plan militaire, dans la mesure où les résultats sur le terrain de cet acteur d’un point de vue opérationnel sont loin d’être convaincants. Mais en revanche, pour ce qui concerne l’investissement du groupe Wagner dans la lutte informationnelle, à mon avis, elle continuera à avoir de beaux jours devant elle, notamment parce que cette compagnie démontre sa capacité à pénétrer, non pas seulement les réseaux sociaux, mais aussi les médias locaux, y compris ceux s’exprimant en langue locale.
Lors de ce discours, Emmanuel Macron a annoncé une diminution visible des effectifs militaires français en Afrique. Est-ce que c’est l’amorce d’un retrait total des troupes françaises du continent ?
Alors, il ne m’a pas semblé que ce soit l’option retenue. Mais il existe encore un grand flou, en réalité, sur la nature du dispositif. On voit bien que cela fait en réalité près de deux ans, depuis juin 2021, qu’on annonce une redéfinition du dispositif. Et la façon dont il a été présenté ne fait pas penser à une grande nouveauté. Quand on parle de mise en place d’académies cogérées avec les partenaires africains, on se retrouve en réalité exactement dans les mêmes solutions que celles qui ont été forgées à la fin des années 1990 et au début des années 2000, dans le cadre notamment de ces fameuses écoles nationales à vocation régionale, les ENVR, qui se sont multipliées sous la houlette de la coopération militaire française, et qui n’ont pas produit en réalité de grands résultats.
On critique beaucoup l’opération Barkhane, ou Serval, ou encore le déploiement de Sabre, mais on entend beaucoup moins parler des échecs de cette coopération militaire et de défense qui s’est montrée incapable de s’adapter aux types de conflictualités auxquelles on a affaire au Sahel. Et je dirais que c’est la même problématique en ce qui concerne la politique d’équipements et d’armement : on parle souvent de la concurrence avec la Russie, ou encore avec la Turquie, mais la force de ces acteurs, au-delà de la compétition stratégique internationale, c’est précisément que les équipements et les armements proposés à l’Afrique par ces pays sont beaucoup plus rustiques, beaucoup moins compliqués à utiliser en terme de maintenance, utilisant beaucoup moins de technologies de très haute intensité. Et donc ils séduisent beaucoup plus les partenaires africains qui ne veulent plus avoir à faire avec cette dépendance, notamment pour l’entretien des matériels dont ils font l’acquisition auprès de la France.
Et certains pays africains ne préfèrent-ils pas aussi la Russie ou la Turquie parce que ces deux pays sont moins regardants sur les droits de l’Homme ?
Alors ça, bien entendu. Le président Macron a revendiqué le fait que l’intérêt de la France est de défendre la démocratie. Mais il se trouve lui-même en porte-à-faux, notamment avec les relations qu’il entretient avec certains régimes. Lorsqu’on considère que l’on lutte contre les putschistes, contre les coups d’État militaires et les changements inconstitutionnels de gouvernement, il est très difficile de convaincre lorsque l’on conserve des relations stratégiques avec le Tchad, étant donné les conditions qui ont présidé à l’accession au pouvoir de Mahamat Idriss Déby.
À la fin de son discours, Emmanuel Macron a eu cette phrase : « Je n’ai aucune nostalgie vis-à-vis de la Françafrique, mais je ne veux pas laisser un vide ou une absence… »
Oui, cette phrase effectivement est assez marquante parce qu’il me semble que le président, même si ce n’est un mea culpa, a quand même accepté de faire un état des lieux, qui n’est pas forcément à la gloire de la France. Il y a quand même eu une posture beaucoup plus humble que ce à quoi on s’est heurté au cours des dernières années. Et ce qui suppose pour la France de rester engagée justement sur le continent pour ne pas appartenir au passé, c’est précisément l’acceptation de cette posture beaucoup plus discrète, beaucoup moins arrogante, et c’est sans doute ce qui explique les propos du chef de l’État.
In. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invite-afrique/20230228-niagale-bagayoko-emmanuel-macron-a-adopte-une-posture-plus-humble-et-moins-arrogante-sur-l-afrique
Image de la UNE : Niagalé Bagayoko, présidente du centre de recherche African Security Sector Network basé à Accra au Ghana. © Youtube/RFI