Contre La sansure

« Nous voulons une Guinée très bien gouvernée. Mais à travers un processus démocratique plus Humain et une alternance paisible ». (*)

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Aux acteurs du pouvoir et des oppositions

En septembre 2021, les guinéens ont applaudi l’arrêt du 3e mandat imposé par le camp au pouvoir depuis 2010 et la promesse du CNRD de repenser la gestion du pays par une refondation du système politico-institutionnel. Sans tarder, nous avons cru à l’avènement d’une nouvelle gouvernance basée sur la justice sociale pour un développement inclusif. On a plongé dans le rêve de changements positifs rapides des méthodes de pensée et d’actions, en particulier de la part des acteurs qui animent la vie sociale et politique du pays.

A divers égards, des initiatives ou actions salutaires sont engagées dans cette perspective en vue de relever les défis énormes et combler les attentes des guinéens.

Dans d’autres domaines en revanche, le rêve de changement devient un véritable cauchemar. La crise de confiance entre le pouvoir militaire et les acteurs sociaux et politiques s’est instaurée et la situation politique se polarise de plus en plus. Pouvoir et opposition ont chacun replongé dans les mêmes méthodes de travail, chacun au nom du peuple. Le FNDC a repris les appels à manifester qui ont été le moyen d’expression et de riposte le plus utilisé pour dénoncer les désaccords avec le pouvoir. Et, tel qu’on le sait, ils ont souvent été l’occasion de tous les abus. Emaillées de violences allant de la destruction de biens aux blessures physiques et culminant en suppression de vies, en particulier dans les zones supposées plus favorables à l’opposition.

On aurait aimé que les regrets et excuses exprimés sur ce passé encore vivace soient suivis de changement de comportements, de sérénité et de dépollution de notre atmosphère politique. Pour remobiliser les guinéens autour des défis communs du développement, dans le respect des principes de droit, d’équité et de solidarité.

Hélas ! Les mauvaises habitudes survivent. Les appels à manifester ont repris et sont en passe de ramener le pays vers la pire période des outrances entre le régime précédent et son opposition. Conakry a renoué avec les décomptes macabres, les scènes d’enterrements couvertes de colère en lieu et place de compassion due aux défunts.

Le dernier appel s’est soldé par 5 morts les 20 et 21 octobre 2022. Encore des morts, des blessés, des arrêtés et des condamnés ! Chez les mêmes populations, suite aux mêmes messages ! Avec les mêmes modes d’actions des manifestants et les mêmes types de réponses des forces de l’ordre. A chaque fois, la parenthèse se referme sur des morts, des promesses d’enquêtes et de nouveaux stocks de frustrations. Et le temps de répit prend fin à la prochaine annonce.

Finalement, le constat est implacable : une longue série de défiance et de violence qui tend à se perpétuer. Et qui, dans la pratique, semble se traduire par : « tant qu’un appel sera lancé, nous allons manifester » et « tant que vous manifesterez, vous serez tués ».

Contrairement à la Loi qui légitime la manifestation comme un droit citoyen, cette forme d’expression est totalement viciée. Elle a fini par être fichée comme « Danger » et présentée par ce raccourci « en Guinée, manifestation=tuerie ». Ce qui semble désormais gravé dans les mémoires. Pire, la conscience collective a épousé cette hypothèse de désespoir aux antipodes des principes de démocratie et d’Etat de droit. Malheureusement, la réalité du terrain confirme le constat. La presque totalité des manifestations sont sanctionnées par l’élimination physique de personnes, en majorité jeunes, en situation de manifestant ou pas.

La situation est d’autant regrettable que l’on ne semble pas se préoccuper des conséquences de la réduction continue de précieux facteurs de développement à court, moyen et long terme du pays.

Il est décevant que ni l’opposition qui appelle à manifester, ni les autorités ne soient parvenues à rompre ce cercle vicieux destructif qui fait honte aux guinéens épris de paix, de justice et d’idéal de démocratie.

Cet état des choses montre que les changements de comportements si nécessaires au succès de la refondation tardent à se concrétiser. Même au niveau de ceux qui sont supposés être les élites du pays.

Il est impérieux que le pouvoir et l’opposition s’accordent, dans un minimum de sincérité, sur l’avenir du pays. Il est grand temps de changer nos habitudes, de déployer notre intelligence et nos efforts dans des actions porteuses de meilleurs résultats. Aujourd’hui, il serait plus raisonnable et urgent d’arrêter les nombreuses pertes de vies de nos compatriotes dans les accidents de route, que de persister dans des actions qui tuent, emprisonnent ou mutilent d’autres bras valides aux moindres coups de colère des manifestants et forces de l’ordre.

Du côté du pouvoir, il y a une lueur d’espoir : puisqu’il « vaut mieux tard que jamais », on peut espérer que le nouvel engagement du CNRD d’identifier, de poursuivre en justice et sanctionner les auteurs des crimes va aboutir à des résultats concrets.

Du côté de l’opposition, on a hâte de voir des mesures alternatives d’exercice du droit qui ne servent plus d’alibi pour vider des familles et remplir les cimetières d’enfants des autres, ni de perpétuer les exactions sur les populations longtemps désabusées.

Je pense que les guinéens, de toute région et culture, de tout bord politique sont choqués, indignés par la prévalence des tueries à l’occasion de chaque appel à manifester. On est choqué par le défilé d’images de personnes fusillées dans les rues, dans les domiciles, aux lieux de travail et même sur la route de l’école. On est meurtri de voir ces enfants et femmes endeuillés, plongés dans la détresse et laissées dans le désespoir après une visite de condoléances.

Imaginez-vous les pertes pour les familles et le pays, dans la mort de toutes ces personnes ? chacune d’elles est le produit d’investissements énormes : nourri, éduqué, soigné, formé, protégé, jusqu’à l’âge de l’espoir. Certains ont déjà franchi le cap et font les mêmes investissements sur d’autres. Ils sont maris et pères de femmes et d’enfants jeunes ; d’autres, des piliers de parents âgés et de famille nombreuse. Tous aspirent à une vie heureuse. N’est-il pas terrible et dommage qu’ils soient tués à chaque appel à manifester ? Faut-il continuer avec ce schéma ? Pour satisfaire qui ? Non !

Nous sommes préoccupés de savoir, derrière chaque initiative engagée, quels résultats les autorités qui gouvernent et les responsables de stratégie et planification de l’opposition, produisent-t-il pour les guinéens.

Pensant aux résultats, des questions s’imposent sur la pertinence, voire l’utilité des stratégies de revendication et de gestion des conflits mises en œuvre.

La 1ère interrogation concerne le phénomène « manifestation » qui a toujours fait l’objet de fortes préoccupations. Notamment en raison de la difficulté de trouver l’équilibre dans le triptyque « exercice de droit-paix-sécurité ».

Si les appels à manifester et les tueries qui suivent sont le moyen de pression le plus efficace pour satisfaire des exigences et changer les choses, a-t-on obtenu des résultats satisfaisants ? Ceux qui appellent à manifester et les superviseurs des forces de sécurité sur le terrain pensent – ils aux impacts de leurs modes d’action sur les guinéens et sur l’avenir du pays ? A qui profite tous les dégâts, en particulier le coût humain très élevé ? Les actions des uns et des autres sont-elles guidées par des esprits sincères, avec une volonté partagée de résolution des conflits au profit de tous ? Ne sont-elles pas soutenues par des arrière-pensées et de plans de règlement de compte ? Pourquoi les appels à manifester sont-ils constamment renouvelés même s’ils sont utilisés pour réduire à néant la vie de tant de personnes ?

Les auteurs pensent-ils à leurs propres parents, épouses et enfants ? Est-ce que l’idéal de démocratie et de bonne gouvernance est le seul motif ? Lorsqu’un combat, si noble soit-il, prend une telle tournure, quand l’action assombrit l’objectif, n’est-il pas judicieux de se ressaisir, mieux réfléchir, repenser sa stratégie et ses méthodes ?

Il est grand temps de passer à l’introspection, de faire les bilans et comparer les résultats aux coûts.

La 2e interrogation est celle de savoir si la cible appelée à manifester répond favorablement. Normalement, les appels à manifester s’adressent aux guinéens, au peuple ou sa composante qui comprend les enjeux, qui peut s’organiser, revendiquer ses droits et influencer le pouvoir. Ce peuple répond-il aux appels à manifester ? Non ! Il a cessé de répondre.

D’abord, parce que les manifestations annoncées ne sont pas des actions mobilisatrices, planifiées et organisées avec des objectifs bien définis.

Ensuite, parce que, me semble-t-il, le peuple appelé est fatigué. Fatigué d’être sollicité pour peu ou pas de résultats. Les guinéens sont sceptiques sur les résultats et ne veulent plus subir de violences. Pas parce qu’ils n’aiment pas la liberté et la participation citoyenne. Si les conditions d’une expression populaire paisible sont réunies, ils vont, dans leur diversité, répondre. Ils vont manifester pour dire leur besoin de démocratie, de bonne gouvernance et d’amélioration durable de leurs conditions de vie. Tout citoyen aimerait savourer la beauté d’une expression du peuple dans sa diversité, à travers une manifestation paisible et bien dirigée, avec des messages clairs à l’endroit des pouvoirs publics. Il est dommage que l’on soit en dehors d’une telle approche inclusive et stratégiquement plus viable. Et que l’on se maintienne dans des exaspérations aveuglantes qui ne favorisent ni la sérénité ni l’évaluation des stratégies et actions menées.

L’acceptation de manifester, la mobilisation des appelés et le succès des opérations peuvent être appréciés par des indicateurs que les responsables du pouvoir et de l’opposition devraient observer et rapporter au peuple au nom du quel agit chaque acteur.

A titre d’exemple, considérons parmi d’autres : le nombre et la qualité des acteurs (leaders de partis politiques et de la société civile) qui s’expriment en faveur des revendications et les appels à manifester ; le nombre et la qualité des leaders sociaux et politiques qui approuvent et participent aux manifestations ; le nombre d’hommes et de femmes, de toute ethnie, mobilisés, sortis pour exprimer publiquement leurs revendications ; le nombre de manifestations organisées, regroupant les participants précités ; le nombre de quartiers de Conakry et de villes de l’intérieur où les manifestations sont tenues avec les participants précités ; le nombre de villes mortes ou marches de protestation observées dans chaque région ou préfecture ; le nombre de partis politiques et organisations de la SC engagés dans l’organisation des villes mortes ou marches de protestation, dans chaque région ou préfecture ; le nombre de réponses positives des autorités face aux revendications ;  le nombre d’actions (ou signes) de changement engagées pour la prise en compte des revendications.

Les valeurs de ces indicateurs pourraient servir à chaque partie, de base d’appréciation de la pertinence et de la qualité de son travail. Et aussi, d’aide à la prise de décision de maintenir ou changer le type d’action à engager pour satisfaire le peuple.

Chers organisateurs de manifs, je crois qu’il est temps de choisir entre, au moins, deux alternatives : poursuivre les mêmes méthodes de protestation et augmenter les dégâts matériels et surtout humains qui laissent des traces indélébiles dans la mémoire des familles et la conscience collective ; ou changer de stratégie, vaincre sa colère, dompter les rigueurs dans son camp et dans celui de ses adversaires.

Veuillez noter que si les appels à manifester sont un droit d’expression citoyenne, ils sonnent aussi, dans notre contexte, comme la fin d’un répit, d’une accalmie déjà précaire dans la vie laborieuse des habitants de nos cités. Accalmie pourtant nécessaire aux travailleurs de nos services publics et privés, à nos personnes âgées, saines ou indigentes, aux femmes et enfants vulnérables à besoins immenses de paix et de protection. Bref, accalmie nécessaire pour notre vie paisible sans laquelle on ne peut ni participer au développement du pays ni en bénéficier les résultats.

Pensez intégrer cette situation sociale transversale dans les sujets de revendication et la gestion des contradictions.

Je plaide pour des méthodes d’exercice de droit qui protègent les ayant-droits au lieu de les détruire. Des actions citoyennes qui sauvegardent les ressources humaines au lieu de les réduire.

Chers gouvernants, la confiance est un capital très précieux et des plus durables. Veuillez conserver et renforcer celle que vous avez suscitée en les guinéens en septembre 2021. L’Etat doit être capable de protéger ses citoyens et tous ceux qui vivent dans le pays, contre les dérives, les abus et oppressions.

Il y a eu certes des erreurs qui ont mis à mal l’espoir né de l’avènement du CNRD. Il n’est pas trop tard pour calmer le jeu et corriger les faiblesses. Allez à la conquête des guinéens déçus, désespérés, hésitants, pessimistes et autres victimes de brimades au nom de l’Etat. Pour vous assurer les garanties de partage des succès, des échecs, des leçons et la solidité des plans pour l’avenir.

A tous les acteurs : Les millions de guinéens et amis de la Guinée attendent des leaders, l’utilisation rationnelle du capital national (humain et naturel) pour construire un pays prospère et équilibré dans des délais raisonnables. Alors, sortez-nous des positions tranchées, mesquines et retardatrices. Qui sont porteuses de violences, de découragement et de diverses pertes pour les guinéens.

Revenons à des débats de haut niveau sur l’avenir du pays, en utilisant l’arme de la négociation. La négociation est l’un des outils privilégiés de résolution des problèmes. Il faut savoir négocier pour réaliser des objectifs communs. Et pour réussir dans la vie.

Oui ! Nous voulons une Guinée très bien gouvernée. Mais à travers un processus démocratique plus Humain et une alternance paisible. Avec pour résultat, des changements positifs solides et durables dans les conditions de vie de chacun, dans la paix et la sécurité.

 

Par Abdoul Goudoussy BALDE

Consultant Socio – Économiste

Ancien Conseiller technique du Groupe National de Contact pour le Dialogue et la Paix

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