Présence militaire permanente de la France en Afrique: tourner maintenant la page?
Les bases militaires à l’étranger sont l’apanage de quelques puissances militaires dans le monde. La semaine dernière, il était question des États-Unis qui avaient une avance considérable sur tous les autres pays dans ce domaine, avec des dizaines de milliers de troupes hors de leur territoire, la majorité en Asie-Pacifique, en Europe et au Moyen-Orient. Mais en Afrique, la France a longtemps été très présente militairement et c’est un sujet d’actualité dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.
On peut dire que cette présence militaire fait débat en ce moment. Lors d’une conférence à l’université de Dakar le 16 mai dernier, à l’occasion de la visite de l’homme politique français Jean-Luc Mélenchon au Sénégal, le Premier ministre Ousmane Sonko, qui s’exprimait en tant que chef de parti et pas de gouvernement, s’est interrogé sur la justification de la présence de bases militaires étrangères permanentes au Sénégal plus de soixante ans après l’indépendance. Ousmane Sonko a réitéré dans son discours « la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal ». Le message est plutôt clair.
Le Sénégal, mais aussi le Gabon, la Côte d’Ivoire et Djibouti sont les pays d’accueil des bases militaires permanentes en Afrique.
Même s’il faudrait en réalité ajouter le Tchad à cette liste. Ce pays n’accueille pas formellement une base permanente mais les soldats français n’ont jamais cessé de s’y relayer depuis l’opération Manta lancée en 1983 en réponse à l’appel du président tchadien Hissène Habré, menacé par des rebelles appuyés par la Libye du colonel Kadhafi. L’opération Épervier avait pris le relais de 1986 à 2013 jusqu’au lancement de l’opération Barkhane. Il faut distinguer base militaire permanente et opérations extérieures mais des opérations à durée indéterminée et à objectifs modulables dans le temps finissent par ressembler à une présence militaire permanente.
Les éléments français au Sénégal (EFS) et les éléments français au Gabon (EFG), sont constitués d’effectifs plutôt modestes, 350 militaires dans chaque pays. Les bases de Dakar et de Libreville constituent des « pôles opérationnels de coopération à vocation régionale » dans le jargon du ministère français des Armées. Leurs principales missions sont « d’assurer la défense des intérêts français et la protection des ressortissants ; d’appuyer les déploiements opérationnels dans la région et de contribuer à la coopération opérationnelle régionale ». Les effectifs étaient historiquement beaucoup plus importants. Au Sénégal par exemple, c’est sous la présidence d’Abdoulaye Wade en 2010 que les effectifs sont passés de 1200 soldats à 350.
La base militaire en Côte d’Ivoire accueille officiellement 600 militaires. Le ministère français des Armées qualifie cette base de « plateforme stratégique, opérationnelle et logistique majeure sur la façade ouest-africaine ». Lors de la longue et grave crise ivoirienne, on a vu le rôle décisif joué par la force Licorne dont le déploiement avait été largement facilité par l’existence préalable de cette base française située tout près de l’aéroport et du port d’Abidjan.
Et il y a bien sûr les Forces françaises de Djibouti qui constituent le contingent le plus important de forces de présence françaises en Afrique, 1 500 soldats. Djibouti, devenu indépendant seulement en 1977, fait de sa position géographique stratégique un atout majeur et loue une partie de son territoire aux grandes, moyennes et petites puissances qui voudraient y avoir une présence militaire. Depuis les années 2000, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et la Chine ont ouvert des bases à Djibouti, enclave sur-militarisée en Afrique. Rien ne devrait changer au cours des prochaines années de ce côté-là.
Du côté de la France, il est peut-être temps d’accepter qu’une page historique se tourne en Afrique et que des partenariats dans le domaine de la défense et de la sécurité ne requièrent pas une présence permanente.
« La France est une nation singulière en tant qu’elle demeure la seule puissance qui conserve des bases militaires permanentes dans ses anciennes colonies africaines. » C’est ce qu’on peut lire dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les relations entre la France et l’Afrique, rédigé par les députés Bruno Fuchs et Michèle Tabarot. Hors du continent africain et bien sûr des territoires français d’outre-mer, eux aussi issus de la colonisation, comme la Nouvelle-Calédonie actuellement dans l’actualité, la seule base permanente de la France à l’étranger se trouve aux Émirats arabes unis, inaugurée en 2009.
Du côté des pays africains, l’urgence est de prendre la mesure de l’absurdité qui consiste à confondre la juxtaposition de nationalismes étriqués avec le panafricanisme. Un panafricanisme pragmatique et éclairé devrait mettre en avant l’impératif de déterminer dans le cadre des organisations régionales et de l’Union africaine les principes devant guider la présence, qu’elle soit permanente ou ponctuelle, de forces militaires étrangères sur le continent.
Gilles Yabi
image de la UNE : https://www.monde-diplomatique.fr/2002/11/LEYMARIE/9542