Questions mémorielles, toujours pas réglées en Guinée !
Les questions mémorielles en Guinée continuent de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Elles restent des sujets à la fois sensibles et délicats; parfois même, des tabous. Pourquoi ?
Les récits s’affrontent et opposent même parfois des guinéens. Il faut un véritable travail de mémoire aujourd’hui dans notre pays, car chaque guinéen raconte l’histoire de notre patrimoine commun selon ce que son grand-père ou sa grand-mère lui a murmuré à l’oreille. Parfois, les versions racontées sont teintées de fortes doses de mensonges ou cousues avec des fils de rivalités internes : les humeurs souvent prises pour de la réalité.
En effet, à la célébration de chaque date ou évènement historique en Guinée, les questions mémorielles sont au cœur de l’actualité. La sortie du Ministre de la Défense Nationale, M. Aboubacar Sidiki Camara, dans une vidéo devenue virale sur les réseaux, et les réactions ayant suivi, en sont les preuves illustratives. Au cours de cette sortie qui relance, de nouveau, le débat sur les questions mémorielles en Guinée, le Ministre de la Défense Nationale a mis l’accent sur l’impérieuse nécessité pour les guinéens de s’unir pour avancer dans la même direction.
« Quand il y a eu la guerre au Fouta, lorsque l’Almamy Samory Touré envoyait les sofas de Kouroussa et de Faranah pour renforcer Alpha Yaya Diallo, il leur a donné une griotte », a relaté le Ministre.
Poursuivant, il a souligné ceci, parlant toujours des liens historiques entre l’Almamy Samory et le roi Alpha Yaya Diallo, « Il a dit qu’il n’y a pas de griots chez Alpha Yaya Diallo alors ses sofas ont besoin d’être exhortés. Donc, la musique, les chants épiques constituent l’alcool des braves hommes du Manding ».
Plus loin, il affirme que : « C’est à l’issue de tous ces combats qu’Alpha Yaya Diallo fut établi dans son pouvoir », avant de souligner que : « Contrairement à toutes les manipulations politiques, il existe des liens historiques entre le Fouta, la Basse Côte, la Forêt, la Haute Guinée ».
A l’époque, fait-il remarquer, « L’Almamy Samory Touré n’avait pas d’adresse mail. Alpha Yaya Diallo n’avait pas de numéro de téléphone, mais ils communiquaient. Ils ne se sont jamais battus entre eux ».
Le Ministre termine ses propos en disant :« Pourquoi nous, aujourd’hui, avec tout ce qu’on a comme moyen de communication, on se nourrit de haine ? C’est l’hymne national qui nous rassemble. Le drapeau nous rassemble. La devise nous rassemble. Nos dates historiques nous rassemblent ».
M. Amadou Diouldé Diallo n’entend pas de cette oreille-là. Pour lui, « Alpha Yaya n’a jamais mené de guerre contre les français au Foutah ». Il a également soutenu qu’« Il n’y a pas eu de guerre au Foutah… ». La question qu’il faut se poser à ce niveau est la suivante : S’il n’y a pas eu de guerre au Foutah et que le roi Alpha Yaya Diallo n’avait mené aucune guerre contre les français, pourquoi alors, victime de trahison, il a été fait prisonnier et déporté au Dahomey, actuel Bénin, par le colon français ?
Sur la probable rencontre de ces deux figures emblématiques de la résistance guinéenne à la pénétration coloniale évoquée par le Ministre de la Défense Nationale, M. Amadou Diouldé soutient, avec toutes ses forces, que les deux ne se sont jamais vus, qu’à moins que ce soit leurs restes au mausolée de Camayenne, avant de défier quiconque de lui prouver le contraire. L’argument avancé par lui pour soutenir sa position que nombre trouvent léger, est qu’il y a vingt ans d’écart d’âge entre l’empereur Almamy Samory et le roi Alpha Yaya qui, selon lui, sont respectivement nés en 1830 et 1850.
D’abord sur la question d’âge des deux, il n’y a pas une seule version. Certains soutiennent par exemple que le roi Alpha Yaya Diallo serait né en 1830 et mort, le 10 octobre 1912. D’autres sources indiquent qu’il serait né vers 1855 et mort en 1913. Même réalité autour de la date de naissance de l’Almamy Samory Touré. En outre, l’écart d’âge de 20 ans entre les deux ne peut, en aucune manière, être un argument soutenu ou solide pour étayer la thèse selon laquelle les deux résistants ne se sont pas vus.
À vrai dire, la fragmentation de notre mémoire commune résulte du fait qu’à date il n’y a pas eu suffisamment de travail de reconstitution des faits historiques et des mythologies nationales. Il faut recréer certains aspects des périodes de notre passé commun. Effectivement, en éclairant les évènements et les figures qui font l’objet de récits historiques divergents, voire conflictuels, on règle définitivement les questions mémorielles dans notre pays, car on parvient à une représentation la plus authentique possible de notre vécu commun.
En attendant qu’il y ait ce véritable travail de mémoire visant à retracer, sans passion ni manipulation des faits historiques, le phénomène mémoriel dans son véritable contexte historique en Guinée, l’opinion commune retient que le roi Alpha Yaya Diallo fut un grand résistant qui s’opposa de toutes ses forces à la pénétration française en Guinée, plus précisément au Foutah. C’est cette version qui est pour le moment défendue et enseignée dans nos écoles. Les livres existants sur notre vécu commun qui retracent des destinées individuelles fondées sur des faits et des personnages réels, en attestent.
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Bref, la mémoire historique et les politiques mémorielles en Guinée restent polémiques et politisées. C’est pourquoi aujourd’hui, il faut un véritable travail de reconstitution de notre vécu commun.