Qui est Issa Tchiroma Bakary, l’homme qui veut mettre fin au régime de Paul Biya?
Au Cameroun, après le rejet des recours contentieux par le Conseil constitutionnel mercredi, on attend avec impatience la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle le 27 octobre.
Mais depuis quelques jours, un homme, 78 ans, candidat à cette élection, Issa Tchiroma Bakary s’est déjà proclamé vainqueur et attend « sereinement la proclamation de sa victoire par le Conseil constitutionnel », selon son équipe de campagne.
Bien que le gouvernement ait qualifié cette décision d’illégale, M. Tchiroma a continué à publier les résultats de plusieurs bureaux de vote qui, selon lui, justifiaient sa « victoire ».
Il y a quelques mois, il aurait été difficile de prévoir cette tournure des évènements tant l’homme politique était un proche du régime Biya jusqu’en juin dernier où il a démissionné du gouvernement.
Tchiroma Bakary, parcours et collaboration avec Paul Biya

Le président du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), originaire de Garoua au nord du Cameroun, qui a réussi à rallier à sa candidature une cinquantaine de partis politique de l’opposition et d’associations dans une plateforme « Union pour le changement en 2015 », a longtemps collaboré avec le régime de Paul Biya.
Soupçonné d’être derrière un mouvement du nord du pays qui opéré une tentative de coup d’Etat en 1984, cet ingénieur des chemins de fer a été emprisonné pendant 6 ans.
Devenu député, puis ministre des Transports en novembre 1992, ministre de la Communication en juin 2009, Issa Tchiroma Bakary a fait partie du gouvernement Biya jusqu’en 2019. A la faveur d’un remaniement le 4 janvier de la même année, il est devenu ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle.
M. Bakary a créé ensuite le Front pour le salut national de Cameroun (FSNC) pour soutenir le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir. Il était resté fidèle au régime avec qui il a divorcé en 2025.
La rupture
Le 24 juin 2025, le ministre Tchiroma Bakary démissionne du gouvernement. Vingt-quatre heures plus tard, il annonce sa candidature à l’élection présidentielle du 12 octobre.
Au cours de la campagne électorale, il a profité des tribunes pour présenter ses excuses à ceux qu’il critiquait lorsqu’il était encore au gouvernement, tout en dénonçant son ancienne maison de « pouvoir clanique et corrompu ».
Ces événements qui mettent Tchiroma Bakari au-devant de la scène ces derniers jours

Lundi 20 octobre, le candidat du Front pour le salut national du Cameroun a publié en ligne, des procès-verbaux de l’élection présidentielle qui le donnent vainqueur. Les documents ont été largement commentés, beaucoup relevant des erreurs dans les chiffres.
Les chiffres présentent à certains endroits des votants qui sont plus nombreux que des électeurs inscrits. Ce qui jette du discrédit sur la véracité des procès-verbaux et provoque la réaction de l’équipe du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir.
« Nous n’avons pas fabriqué de chiffres. Nous les retranscrivons », rétorque l’équipe de Tchiroma dans un communiqué, avant de justifier que ces manquements seraient dus à « des irrégularités commises avant ou pendant le dépouillement comme le bourrage d’urnes, et le vote multiple ».
Vendredi 18 octobre, le représentant du FSNC claque la porte de la Commission nationale de recensement des votes, dénonçant des « fraudes flagrantes » dans la compilation des résultats. Les divergences portaient notamment sur les procès-verbaux des régions de l’Est et du Sud-Ouest du pays.
Selon le représentant du candidat Tchiroma, le taux de participation était très élevé dans ces régions, comparé aux autres régions. Mais les écarts de voix au bénéfice du candidat du RDPC, Paul Biya, est très important. Ce qui amène le FSNC à parler d’irrégularités et de fraudes.
Mais les sources internes à la Commission nationale de recensement des votes accusent le parti de Tchiroma Bakary d’être incapable de produire des preuves pour soutenir ses arguments. La compilation des résultats s’est poursuivie malgré tout, en présence des représentants de tous les autres candidats jusqu’en fin de journée ce samedi.
Mercredi 15 octobre, des manifestations éclatent dans plusieurs villes du pays, de militants et sympathisants du FSNC réclamant la vérité des urnes.
Dans le quartier Bonamoussadi à Douala 5eme, des manifestants qui scandaient des chants à la gloire du candidat Issa Tchioroma Bakary, ont été dispersés à coup de gaz lacrymogènes.
A Bafoussam et Dschang à l’Ouest, de groupes de personnes dont des conducteurs de moto-taxi qui « soupçonnaient des manœuvres visant à travestir la vérité des urnes » ont assiégé les tribunaux de ces villes où se déroulaient les travaux de la Commission nationale de recensement des votes. Pour eux, c’est le candidat du FSNC qui a gagné.
Dimanche 12 octobre, le jour du vote, quelques heures après la fermeture de bureaux de vote, des échauffourées ont éclaté à Marouaré à Garoua, le fief d’Issa Tchiroma Bakary, dans le nord du Cameroun.
Un véhicule de gendarme a été incendié par des militants pro-Bakary. Depuis ce jour, un dispositif de forces de l’ordre a été déployé autour de la maison de ce dernier qui était, dans un passé récent, un collaborateur du régime de Biya.
Des événements qui propulsent le candidat du FSNC au-devant de la scène depuis quelques jours, puisqu’il a réussi, selon des analystes, à mettre en difficulté le régime de Paul Biya lors de cette élection présidentielle, une première depuis 1992.
« Tchiroma a déjoué tous les pronostics pour être la première force en termes de suffrages obtenus dans la partie septentrionale du Cameroun », indique le Dr Sehou Ahmadou, analyste et politologue camerounais.
Que représente Tchiroma Bakary au nord du Cameroun ?

« Issa Tchiroma est parmi les leaders politiques de premier plan au Nord Cameroun, à côté de Bello Bouba Maigari et des représentants locaux du Rdpc, parti au pouvoir. Il vient ainsi en troisième position en termes de poids électoral », souligne le Dr Sehou Ahmadou.
Mais avec cette élection présidentielle, « il est devenu le catalyseur du rejet du régime et l’exutoire des frustrations populaires ».
Pour Dr Ahmadou, un nouveau rapport de forces politique se dessine au lendemain de cette élection présidentielle du 12 octobre. Mais dans les conditions actuelles, poursuit le politologue, il sera difficile pour Tchiroma Bakary d’avoir gain de cause face au régime en place depuis plusieurs décennies.
« Il clame sa victoire et une certaine légitimité, face au pouvoir en place solidement ancré et qui voudrait continuer à gérer le pays contre vents et marées. En l’absence d’une proclamation officielle faisant de lui le vainqueur, il lui sera difficile de faire triompher sa position ».
A quoi peut-on s’attendre ?

« En revendiquant une victoire avant la proclamation officielle des résultats définitifs, il se situe sur le terrain politique ».
Il le fait « d’abord pour conforter ses électeurs et ensuite pour mettre la pression sur le régime, dans un contexte de suspicions et de défiance à l’endroit des instances électorales ».
Pour le politologue, M. Tchiroma cherche à affirmer sa victoire et son leadership à l’endroit de ses électeurs.
Cependant, les réactions de cet ancien collaborateur du régime Biya peuvent avoir des conséquences dans le pays.
« Les actes que posent M. Tchiroma conduisent à un durcissement des positions et à un risque d’affrontements dans les rues, entre ses partisans et les forces de maintien de l’ordre », s’inquiète Dr Ahmadou.
Il se demande si le candidat pense aux dommages encourus en termes de vies humaines et de dégâts matériels, aux arrestations et risques judiciaires auxquels il s’expose et expose ses partisans et aux dérapages possibles et l’installation du pays dans une situation de tensions, de crises et de chaos.
« Les risques sont énormes et c’est pour cela que les appels au calme sont nécessaires en direction de toutes les parties. Aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, les amis du Cameroun doivent s’impliquer pour ramener tous les acteurs à la raison et trouver une issue salutaire pour le pays ».
Dans certains quartiers de Yaoundé et de Garoua ce mardi, des affrontements se sont encore produits entre forces de l’ordre et des militants et sympathisants de Tchiroma Bakary, qui réclament la victoire de leur candidat.
Le gouvernement camerounais a décrété un couvre-feu à Garoua, le fief du candidat Bakary, de 20 heures à 5 heures du matin jusqu’à nouvel ordre.
Par Isidore Kouwonou

BBC News Afrique
In. https://www.bbc.com/afrique/articles/cy4pv1dkzw0o
