Restaurer l’autorité de l’État : Par qui ?
S’il y a un argument qui commence à faire du chemin dans les pays qui ont connu des coups d’État en Afrique ces derniers temps, c’est bien celui qui consiste à soutenir que seuls les régimes militaires peuvent mettre de l’ordre dans un pays, de « refonder » de l’État, de procéder à la fameuse « rectification institutionnelle », de restaurer l’autorité de l’État et surtout de moraliser la gestion publique. Cet argument à la mode repose fondamentalement sur deux idées.
D’une part, l’on considère que les civils, issus dans la majorité des cas de partis politiques, ne sont pas capables de prendre et d’assumer des décisions courageuses et parfois impopulaires. D’autre part, le souci de conserver le pouvoir par la fidélisation de leurs électeurs les empêche d’engager des réformes ou de prendre des décisions susceptibles de toucher certains intérêts.
En réalité, un homme politique résolument engagé à défendre les intérêts du pays et non des intérêts partisans ne devrait avoir aucun mal à prendre des mesures ou des décisions allant dans ce sens, d’autant plus qu’il en a la légitimité issue de son élection au suffrage universel direct. C’est peut-être parce que sur ce plan, beaucoup de chefs d’État » démocratiquement élus » ont déçu que certains pensent que des militaires pourraient réussir là où les premiers ont échoué et être une sorte d’alternative plus crédible.
Mais, on semble perdre de vue une dimension importante, en tout cas non négligeable de cette question. En effet, ce qui semble séduire une frange de la population, ce sont les méthodes « fortes » employées par les régimes militaires dans de nombreuses situations. En clair, lorsque des militaires sont au pouvoir et même s’ils s’entourent d’un gouvernement dit civil, certaines de leurs décisions sont souvent fondées plus sur la force que sur le droit. Ils peuvent être animés de bonnes intentions pour leurs pays.
Mais la réalisation de leurs nobles ambitions pêchent souvent au niveau de la démarche suivie ou des méthodes employées. Par exemple, le CNDD avait engagé une lutte farouche contre le trafic international de drogue dont la Guinée était devenue une plaque tournante. Des personnes y compris des hauts responsables de la police et de gendarmerie. Mais les enquêtes de police menées avec légèreté et au mépris des règles de procédure n’avaient pas permis à la justice de faire le travail attendu d’elle.
Et ce n’était absolument pas leur faute. On se souvient d’ailleurs du désaccord spectaculaire, et à la barre de la Cour d’assises, entre le représentant du ministère public et le membre du CNDD qui avait coordonné les interpellations et les enquêtes dans ce dossier. Ce dernier était allé de violation en violation de la loi. Ce qui avait eu pour effet de mettre en difficulté le procureur face aux avocats de la défense.
Par ailleurs, l’image de militaires au pouvoir plus vertueux et plus patriotes que les dirigeants civils est un peu forcée ou surfaite. Les Jerry Rowlings ne courent pas les rues. Dans la plupart de nos pays, les militaires ont été parfois associés étroitement à la gestion du pouvoir, bien que ce ne soit leur rôle premier. Ils sont donc des maillons importants d’un « système » parfois. Ainsi, ils ont tiré profit d’une façon ou d’une autre du « système ».
C’est pourquoi, il faut se garder de tout angélisme et juger à la tâche les dirigeants, qu’ils soient des civils ou des militaires. Les déceptions sont souvent à la hauteur des espoirs suscités.
Me Mohamed Traoré