Sortie du Procureur sur le cas Foniké Mengué et Billo : Entre démission et diversion
Kidnappés le 09 juillet 2024 par une équipe mixte composée par des éléments Forces spéciales et des agents de la gendarmerie nationale, le sort de Oumar Sylla alias Foniké Mengué et Billo Bah reste toujours incertain.
Alors que les proches et les avocats des ces deux activistes de la Société civile guinéenne sont sans nouvelles d’eux depuis leur arrestation, le Procureur de la République près la Cour d’Appel de Conakry a fait récemment une sortie surprenante.
Dans un communiqué publié sur les ondes des médias d’Etat, Fallou Doumbouya parle d’enlèvement de ces deux responsables du FNDC par des militaires et conduits dans des lieux inconnus .
«Depuis quelques jours, des informations persistantes faisant état des cas d’enlèvements et de séquestration circulent dans la cité concernant notamment : Le Colonel, Cécé Célestin Bilivogui, le Sergent-Chef Moussa Cheikh SOUMAH, Monsieur Oumar Sylla dit Fonikè Manguè et Monsieur Mamadou Billo BAH.
Ces informations qui affectent la sérénité nationale créée en même temps une psychose et un sentiment d’insécurité au sein de la population et portent gravement atteinte à l’image de notre pays tant sur le plan national qu’international », a annoncé le Procureur général.
Fallou Doumbouya a ajouté ensuite qu’au regard des objectifs recherchés par ‘’les manipulateurs’’ de tout bord, « j’informe l’opinion nationale et internationale, en ma qualité de Procureur général qu’aucun organe d’enquête n’a procédé à aucune interpellation ou arrestation de qui que ce soit ; mieux aucun établissement pénitentiaire du pays ne détient ces personnes faisant objet d’enlèvement. »
Une sortie qui suscite des interrogations au sein de l’opinion publique, quelques semaines seulement après le décès du Général Sadiba Koulibaly, ex-numéro 2 de la junte, arrêté puis condamné par un tribunal militaire et décédé quelques jours après sa condamnation dans des circonstances obscures.
« Que c’est triste ! », regrette Me Mohamed Traoré, ancien Bâtonnier et membre du Conseil National de Transition (CNT).
Pour cet avocat bu barreau guinéen, « Ce communiqué du procureur général près la Cour d’appel de Conakry confirme au moins une chose : il y a bel et bien des enlèvements. C’est le magistrat lui-même qui emploie le terme ‘’enlèvement’’. Mais l’annonce d’une enquête pour rechercher les personnes enlevées, identifier et interpeller les auteurs de ces enlèvements crée plus d’inquiétudes encore et fait froid dans le dos. », regrette-t-il.
En ce qui concerne Sylla Foniké Menguè Oumar et Billo Hadjass, poursuit l’ancien Bâtonnier, « Les témoins de l’enlèvement, pour reprendre le terme du procureur général, ont identifié des individus à travers un certain nombre d’éléments concrets. L’enquête devrait commencer par-là s’il y avait vraiment du sérieux dans ce communiqué. Mais ces enlèvements finiront par devenir la norme. Très malheureusement.’’, a-t-il poursuit. Avant de rappeler que : « Le communiqué du procureur général près la Cour d’appel de Conakry signifie aussi que désormais que si un citoyen est enlevé, il ne faudrait pas compter sur la justice pour le retrouver.
La justice n’est au courant de rien ; elle ne sait rien ; elle est informée de la même manière que n’importe qui. », a fait remarquer cet avocat du barreau guinéen.
Devant les inquiétudes liées au sort du Coordinateur national du FNDC et le responsable de la mobilisation de cette plateforme de la Société civile, leurs avocats français, Vincent Brengarth et William Bourdon, ont adressé jeudi un courrier au procureur de la CPI, Karim Khan pour exprimer leur vive préoccupation.
« Nous vous écrivons en urgence pour vous faire part de la plus vive préoccupation de ceux que nous représentons, en lien avec la disparition très inquiétante de deux membres du FNDC« , écrivent-ils.
C’est dans ce contexte d’ailleurs que les avocats guinéens ont entamé, mardi, une grève de deux semaines pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme des « arrestations arbitraires« .
Samedi 20 juillet, les Forces vives de Guinée, qui ont bénéficié du soutien des députés français du Mouvement la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, ont manifesté sur la Place de Clichy, au 17e arrondissement de Paris (en France) pour exiger le retour à l’ordre constitution et la libération des deux activités de la Société civile avec des slogans.
‘’A bas la dictature’’, ‘’vive le retour à l’ordre constitutionnel’’, ‘’vive la démocratie’’, ‘’vive la liberté d’expression’’, ‘’libérez les médias’’, ‘’libérez les détenus politiques’’.
« Aujourd’hui je viens vous apporter le message de solidarité et de soutien fraternel du Mouvement la France Insoumise et de tous ses élus, je viens dire avec vous que nous n’accepterons pas que restent emprisonnés, enlevés nos camarades Oumar Sylla, Mamadou Billo Bah. J’ai la chance de rencontrer plusieurs fois notre camarade Fonikè Menguè à l’Assemblée Nationale les années passées, c’est une personne inspirante pour tout le monde y compris ici pour des militants français », a déclaré le député français Aurélien Saintoul qui interpelle les autorités françaises sur les graves violations des droits de l’homme en Guinée
« Il n’est pas possible d’entretenir un partenariat sécuritaire comme nous le faisons avec la Guinée et de fermer les yeux sur les crimes qui ont été commis ces derniers mois », a-t-il martelé.
A noter que c’est la 3ème arrestation du Coordinateur du FNDC, Foniké Mengué, depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021, qui a porté le Général Mamadi Doumbouya au pouvoir.
De l’avis de nombreux observateurs, cette sortie du Procureur de la République prouve à suffisance que les guinéens ne peuvent plus compter sur la justice. Et par conséquent, l’Etat a démissionné de sa mission régalienne. Il reviendra donc au peuple de Guinée de prendre ses responsabilités pour mettre fin à ce régime militaire qui replonge le pays dans une crise politique inquiétante.
Abdoul Wahab Barry